De la chute du mur de Berlin à celle de Wall Street

Le capitalisme financier dans le coma

De la chute du mur de Berlin à celle de Wall Street

Tarek Ghozlane, Algérie News, 26 octobre 2008 2e partie3e partie

Après avoir commencée en tant que crise bancaire voici que la crise financière n’en est plus une. Dans le jargon soigneusement calibré des médias occidentaux, soucieux de ne pas jeter de l’huile sur le feu et d’affoler les chaumières, il s’agirait à présent de « crise économique-financière ». En l’occurrence ce que l’on suggérait depuis le départ était que la sphère financière n’est pas vraiment dans la réalité et qu’elle aurait peu à voir avec l’économie « réelle ». Hélas pour les spins doctors, les propagandistes cools et les magiciens du marché autorégulé, l’indivisibilité de l’économie est un fait que tous les discours du monde ne peut modifier. La crise est économique et elle est mondiale. Sortie du périmètre de sécurité bancaire ou on a souhaité la confiner, elle atteint à présent les secteurs productifs et pratiquement toutes les régions du monde sont concernées. Les plus habiles circonvolutions de langage n’y font rien : ce qui souffle sur le monde entier est le vent mauvais de la crise économique globale. La première du genre. En effet, l’effondrement du système de crédit, par l’intrication des échanges et la mondialisation, est ressenti partout sur une planète qui a adopté depuis le début des années 1990 un système économique unique. Aucune des précédentes crises cycliques qui ont affecté le capitalisme, pas même celle de 1929, n’a atteint la magnitude géographique de l’onde de choc provoquée par l’effondrement du marché des crédits hypothécaires américains. La version sauvage du marché mondialisé se caractérise par la domination de centres extrêmement puissants dont la dérégulation a été le credo monomaniaque ressassé jusqu’à la nausée par des économistes au service exclusif du capital. Le courant de pensée ultralibéral a été vulgarisé sous les règnes du Président Ronald Reagan aux Etats-Unis et de Margaret Thatcher au Royaume-Uni fondé sur les thèses des économistes autrichiens, Von Hayek notamment, actualisées par l’école de Chicago dont la figure de proue était Milton Friedman. Au nom du profit, les principes antihumains du libéralisme ont été imposés comme la suprême doxa, la sagesse ultime d’un modèle économique sans alternative. L’expression de la modernité par opposition au caractère « ringard » de l’Etat. Dans nos contrées en mal de gouvernance, le FMI et la BIRD ont été les propagandistes acharnés de cette pseudo-modernisation fondée sur la réduction du rôle de l’état et la primauté absolue du marché. Ils n’ont pas manqué de relais locaux, entre intérêt bien compris et profonde inculture malgré un vernis de connaissances fraichement acquises, tous acquis à une représentation du monde où l’affairisme et l’argent-roi sont le moteur de l’efficacité générale et les critères indépassables de la réussite sociale.

Le silence des laudateurs du capitalisme débridé

Il y a quelque chose d’ironique dans le spectacle d’Etats jusqu’ici gardiens soucieux du dogme ultralibéral volant au secours d’établissements bancaires détruits par une dérive spéculative permise par la déréglementation en œuvre depuis le découplage du dollar de l’étalon-or en 1971. Les contempteurs de l’économie duale, ceux qui ne reconnaissaient aucun rôle à l’Etat dans l’économie sont bien silencieux aujourd’hui. Il est à parier que ceux-là mêmes qui chantaient à longueur de colonnes les louanges du capitalisme débridé se préparent aujourd’hui à entonner l’air bien connu en temps de crises de la « modération » social-démocrate. Mais l’ampleur de la crise pourrait bien dépasser de loin toutes les reconversions et les révisions déjà audibles dans les discours des milieux dirigeants occidentaux. En effet, la désagrégation du système financier ne s’arrête pas aux seules grandes banques Des myriades de quasi-banques – d’établissements financiers n’ayant pas le statut de banques mais collectant des ressources et distribuant du crédit – se trouvent aujourd’hui dans un stade de coma dépassé. Ces fonds spéculatifs ont accumulé des milliers de milliards de dollars de créances qui ne pourront jamais être honorées. L’impact de ces défauts de paiement reste à mesurer ; selon beaucoup d’économiste il sera global et dévastateur. Une idée des enjeux est fournie par la crise de la minuscule Islande, moins de 350 000 habitants, soit l’équivalent d’une ville algérienne de taille moyenne. Après avoir emprunté en urgence quatre milliards de dollars à la Russie, cette ile volcanique vient de bénéficier de 2,1 milliards de dollars du FMI qui s’apprête à lui en verser quatre milliards supplémentaires dans les semaines à venir. Quels sont, à cette aune, les besoins financiers susceptibles d’être exprimés par le Pakistan, la Turquie la Hongrie ou l’Ukraine ? Cette liste des économies menacées n’est pas limitative. Il est certain que d’autres pays, pas seulement émergents, vont annoncer sous peu des difficultés critiques. Certains économistes observent avec inquiétude l’évolution de la situation en Angleterre, dont l’économie est déjà entrée en récession, et dont les structures largement dominées par le secteur tertiaire l’exposent à une contraction très sévère aux conséquences sociales imprévisibles. Le sommet de New-York des vingt pays les plus puissants économiquement va certainement tenter d’apporter des réponses d’urgence à une situation critique. En effet, le fonds de 200 milliards de dollars géré par le FMI risque de partir en fumée en quelques jours face à une crise dont les effets, que l’on commence à peine à percevoir, pourraient être ressentis pendant plusieurs années. Mais au-delà, il faut espérer que face aux excès absurdes, dangereux et totalement injustes pour les plus fragiles de la mondialisation marchande et à la tyrannie de marchés structurellement irresponsables, des décisions fondamentales sur l’encadrement de l’activité financière devront être arrêtées. Les dirigeants occidentaux en particulier en seront-ils capables et en ont-ils la volonté ? Est-il encore temps d’interrompre le cycle d’effondrement qui gagne à grande vitesse l’ensemble de l’activité humaine sur toute la planète ?