Spirale Récessive
Said Mekki, Algérie News, 25 octobre 2008
Dans des marchés où les rumeurs alarmistes succèdent aux mauvaises nouvelles et nourrissent la panique, l’annonce par l’OPEP de la réduction de sa production n’a pas d’effet immédiat sur les prix du brut. Au contraire, les cours du pétrole ont poursuivi leur mouvement de recul. La réalité du resserrement du crédit et l’appréciation du dollar face aux autres monnaies ont très nettement réduit l’attrait des matières premières et du pétrole pour des spéculateurs décimés par la crise bancaire. La disparition d’un certain nombre de joueurs, emportés par la tornade financière ou contraints de réduire leurs expositions explique en effet en grande partie l’évolution des cours de l’or noir. Ces éléments participent incontestablement à la chute spectaculaire des prix. Mais le cœur de l’explication de l’indifférence des marchés à la décision de l’OPEP réside incontestablement dans l’irruption du réel dans la sphère financière. En effet, l’ombre de la récession s’étend inexorablement et plombe l’ambiance déjà délétère des salles de marché. La réalité du ralentissement de l’activité et de la chute de la consommation des ménages est à présent directement ressentie par des acteurs momentanément rassurés par les mesures de sauvetage des grands établissements bancaires. Les plans de nationalisation des banques, annoncés par les Etats-Unis et les principaux pays de l’Union Européenne, n’ont pas permis de mettre un terme à la contagion de banqueroutes impulsée par les défauts de paiement provoqués par l’effondrement du marché immobilier américain. Avec ou sans garantie de l’Etat, les banques ne renouvellent qu’avec parcimonie les lignes de crédit à leurs clientèles d’entreprises et multiplient les précautions vis-à-vis des particuliers emprunteurs. On s’en souvient, cet état de fait avait conduit la Federal Reserve, pour la première fois de son histoire, à prêter des capitaux directement à des grandes firmes en difficulté de trésorerie.
Plus gravement, en termes de répercussion et de dissémination de la crise, les acteurs financiers non concernés par les plans de sauvetage sont légion et pèsent très lourd dans la balance. Des Hedge Funds, des Fonds de pension, ou des fonds communs de placement sont ainsi au bord du dépôt de bilan. Les actifs spéculatifs « toxiques » des grandes banques, notamment ceux inhérents aux activités sur produits dérivés et les CDS (Credit Default Swaps), sont également le talon d’Achille de centaines de sociétés financières qui se retrouvent pour beaucoup aujourd’hui contraintes de mettre la clé sous la porte, comme en Argentine par exemple. Même des Hedge Funds anglo-saxons ayant pignon sur rue traversent de très fortes turbulences. La rumeur a couru hier sur les marchés que l’un des plus puissants, la société financière américaine Citadel était mise sous tutelle de l’Etat. Les victimes de ces défaillances se retrouvent eux-mêmes en défaut vis-à-vis de leurs créanciers et de leurs actionnaires. Cet état de fait continue de provoquer, par un irrésistible effet boule de neige, la destruction colossale de valeurs et des faillites en cascade qui ne sont pas circonscrites au seul secteur financier. Les premières conséquences sont d’ores et déjà visibles aux Etats-Unis en termes de réduction de la consommation des ménages, véritable moteur de l’économie mondiale. Le premier secteur concerné est l’industrie automobile qui annonce des réductions massives d’effectifs et une contraction importante de la production. Le secteur est si mal en point que des rumeurs de faillite de General Motors circulent sur des marchés extrêmement nerveux. Les industries européennes ne sont pas en reste, le constructeur français Renault annonce la fermeture temporaire de toutes ses usines en France pour une durée d’une semaine à quinze jours. Ainsi, alimentée en permanence par les indicateurs macro-économiques déprimés, la réalité de la récession s’impose progressivement. Les difficultés financières rencontrées par les grandes entreprises sont également le lot d’un certain nombre d’économies, de l’Argentine à l’Ukraine en passant par la Hongrie, les pays Baltes et ceux des Balkans, qui doivent faire face à des degrés divers à une crise aigue des paiements et à la fuite massive des capitaux. La situation de certains de ces pays est si problématique que le fonds de deux cent milliards de dollars dont dispose le FMI pour l’aide d’urgence risque de très vite d’être épuisé.
L’ensemble de ces ingrédients permet la formation d’une véritable spirale récessive à l’échelle de la planète. Le plongeon de l’ensemble des bourses mondiales est donc déterminé par des éléments quantitatifs indiscutables, des développements inquiétants et des prévisions pessimistes. Devant le risque de chute encore plus brutale, certaines voix s’élèvent déjà pour suggérer la fermeture temporaire des bourses pour stopper une surenchère négative dont personne ne peut fixer les limites.
Dans ce contexte, il est évident que les marchés pétroliers déjà affectés par le retrait d’un certain nombre d’acteurs anticipent une baisse de la croissance de la demande mondiale du fait du ralentissement de l’activité générale. Les marges de manœuvre des pays producteurs pour corriger la tendance sont limitées. La réduction de la production à des niveaux susceptibles de permettre le redressement des cours est un exercice politique complexe en période de récession. Il est clair que les producteurs majeurs, notamment l’Arabie Saoudite, allié obédient des occidentaux, n’accepteront pas des niveaux de réduction qui, en entrainant une reprise notable des cours, les mettraient en position d’accusés, nourrissant la crise par des prix « artificiellement » élevés. Il ne fait guère de doute, à moins d’une chute vers des planchers insoutenables, que la réduction de la production n’aille guère au-delà de ce qui a été décidé hier à Vienne.
En tout état de cause, les perspectives économiques particulièrement pessimistes incitent à considérer que le pétrole est entré dans une période de prix bas dont la durée sera fonction de l’ampleur de la récession. Certains économistes n’envisagent pas de sortie avant douze à dix-huit mois. Il s’agira, pour des pays dont la survie dépend étroitement de cette mono-exportation, d’adapter leurs niveaux de dépense en attendant plus ou moins passivement que les économies productives retrouvent des dynamiques d’expansion. A moins qu’entretemps, cette crise générale du capitalisme ne débouche, comme c’est souvent le cas, sur un conflit de première grandeur. Dans cette hypothèse, les prix du pétrole retrouveraient rapidement (et dépasseraient peut-être) les niveaux qu’ils ont connus au cours du merveilleux été 2007 de la rente.