Brahim Hadjas, proprietaire de l’Union Bank, se confie à El Watan : «J’ai passé dix ans de prison sans voir un seul juge d’instruction»
Salima Tlemçani, El Watan, 17 septembre 2023
«Ils voulaient faire de l’Union Bank ce qu’ils avaient fait avec Khalifa Bank». «Nous sommes dans une nouvelle Algérie qui n’a rien à voir avec celle de la « îssaba »».
Le patron d’Union Bank, la doyenne des banques privées, créée en 1995, Brahim Hadjas, a été libéré le 10 août dernier. Il a quitté la prison, après avoir été blanchi de tous les faits qui lui étaient reprochés.
Il était le 4e patron de banque à avoir été poursuivi, au début des années 2000, marqué par une cascade de mises en liquidation des établissements bancaires privés ayant impacté lourdement le secteur financier.
L’homme d’affaires Brahim Hadjas a quitté, le 10 août dernier, la prison sans faire de bruit, après avoir purgé dix années de détention pour plusieurs chefs d’inculpation dont il a sera blanchi.
Il était le quatrième sur la liste des patrons de banques privées à avoir fait l’objet de poursuites judiciaires au début des années 2000. Aussi bien son établissement financier que les filiales de son groupe ont été prises dans le tourbillon de la procédure de mise en liquidation dès 2004.
Brahim Hadjas réagit par une déclaration, publiée le 30 août 2004 sur le quotidien El Watan, dans laquelle il s’est dit «indigné» de la mise en liquidation de l’Union Bank le 13 juillet de la même année.
Il a par ailleurs dénoncé «la mise en échec délibérée du premier règlement judiciaire en Algérie». Il avait rappelé que «l’Union Bank a volontairement cherché protection auprès de la justice, afin de sauvegarder les intérêts de ses clients».
«Nous faisons face à une crise systématique qui nous dépasse. Aucune banque au monde n’est en mesure de rembourser tous ses clients sans le support des institutions étatiques et la solidarité de la place financière», avait-il expliqué tout en affirmant qu’«en juin 2003, et en raison de la crise systémique qui a frappé le secteur financier privé, l’Union Bank a saisi les autorités monétaires pour un emprunt de deux milliards de dinars».
Celui-ci devait être garanti par des actifs tangibles équivalant à 835 millions de dinars. Le but de cette action était d’éviter la cessation de paiements au terme d’un plan de sortie de crise de 18 mois.
Sans réponse des autorités monétaires, le 6 septembre 2003, l’Union Bank a saisi le tribunal d’Alger pour cessation de paiements.
En vertu de deux jugements prononcés en 2003, le tribunal avait déclaré l’établissement financier «solvable», l’autorisant ainsi à «continuer son exploitation avec l’assistance du syndic-administrateur judiciaire et sous le contrôle du juge-commissaire».
Ainsi débutait, selon lui, la première procédure de règlement judiciaire en Algérie consistant à suspendre les poursuites des créanciers pour permettre à une entreprise de se réorganiser pour y faire face. Hadjas avait alors déclaré «ne pas comprendre» pourquoi l’Union Bank n’a pas été «autorisée à payer ses créanciers avec les produits de ses recouvrements de créances et de ses désengagements».
Pour Hadjas, l’Union Bank «a commencé à connaître des difficultés après la révocation de son président-directeur général (PDG), ancien gouverneur de la Banque d’Algérie, le 30 mars 1997».
Selon lui, en date du 30 mars 1997, «les actionnaires d’Union Bank ont mis fin aux fonctions de l’ex-PDG, après avoir découvert des documents contrefaits». Quelque temps après cette déclaration, Brahim Hadjas quitte l’Algérie vers le Canada.
En 2013, il est incarcéré, jugé puis relaxé à la suite d’une plainte de l’ancien PDG de l’Union Bank, déposée en France. Il est encore une fois interpellé et emprisonné durant 8 mois au Maroc, avant d’être extradé vers l’Algérie.
Il écopa ensuite d’une peine de 15 ans commuée à 10 ans. Le 4 août dernier, il a purgé sa peine. Blanchi, il revient sur ce qu’il qualifie de «terrorisme administratif et judiciaire qu’aucun des hommes d’affaires n’a subi» (voir entretien).
Brahim Hadjas. Fondateur d’Union Bank et homme d’affaire : «Où sont passés les 5,50 milliards de dinars laissés dans les comptes d’Union Bank ?»
Salima Tlemçani
Sorti de prison le 10 août 2023, après avoir purgé une peine de 10 ans, Brahim Hadjas, fondateur d’Union Bank, mise en liquidation en 2003 et obtenu une réhabilitation, accuse la Banque d’Algérie «d’avoir été l’instrument d’exécution du pillage d’Union Bank» et déclare détenir «toutes les preuves de ce système de pillage de l’Algérie». Dans l’entretien qu’il nous a accordé en exclusivité, il parle de son blanchiment» par la justice, après 10 ans d’incarcération, de «la disparition de 5,50 milliards de dinars» des comptes d’Union Bank et de son arrestation en France et puis au Maroc, mais aussi de sa détention durant dix ans «sans rencontrer un seul juge d’instruction».
Le 10 août dernier vous avez quitté la prison après avoir purgé une peine de 10 ans d’incarcération et réhabilité par huit décisions de justice qui vous blanchissent des accusations. Allez-vous demander réparation pour les préjudices subis ?
D’abord il faut savoir que la peine était de 15 ans puis réduite à 10 ans, que j’ai purgée au 10 août dernier et de ce fait, j’ai quitté la prison. Entre temps, j’ai écrit au procureur général près la Cour suprême faisant valoir, comme le stipule l’article 530 du code de procédure pénale mon droit à une réhabilitation sans réparation, c’est-à-dire que l’on reconnaisse mon innocence dans toutes les affaires.
La réponse qu’il m’a envoyée a été claire. Qu’en vertu de l’article 131 du code de procédure pénale, il ne peut y avoir une demande de réhabilitation sans réparation et m’a donc conseillé de solliciter une reconsidération ou une révision de l’affaire. En fait, j’ai fait l’objet de trois condamnations, une de 5 ans, pour l’affaire du terrain agricole de Bouchaoui, annulée et pour les deux autres, on a considéré qu’il n’y avait pas de délit de gestion étant donné que je n’étais pas gestionnaire.
Entre temps il y a eu la dépénalisation des actes de gestion. Et pour ne pas poursuivre les magistrats qui m’ont condamné sans base légale, ils m’ont libéré et renvoyé devant le tribunal commercial. En termes de droit, tous les procès qui m’ont été intentés étaient illégaux tout simplement parce qu’Union Bank s’est mise sous la protection de la justice, en vertu de l’arrêt du 14 octobre 2003, qui l’a placée sous administration judiciaire.
A partir de cette date, aucune poursuite ne pouvait être engagée contre elle.
– A l’époque, les autorités avaient parlé d’une banque en faillite qui a laissé une lourde dette et des actifs loin de répondre à l’indemnisation de ses créanciers. N’est-ce pas le cas ?
C’est un mensonge. Tout a été fomenté….
– Que s’est-il donc passé ?
L’investisseur que j’étais n’avait aucun pouvoir sur la banque. Tous les pouvoirs étaient entre les mains du PDG, à l’époque Hadj Nacer, ancien gouverneur de la Banque d’Algérie. Au bout de quelque temps, j’avais demandé, en tant qu’actionnaire et fondateur d’Union Bank, la tenue d’une réunion du Conseil d’administration. Hadj Nacer m’a répondu : «Ne vous occupez-pas de la banque», puis m’a lancé clairement : «Le système a besoin d’Union Bank. On va dévier l’argent public vers elle.»
– Le scénario Khalifa Bank ?
Exactement. Ils voulaient faire d’Union Bank, ce qu’ils ont fait avec Khalifa Bank. Lorsque je me suis opposé, le PDG a fait signer une résolution émanant d’une assemblée générale dans laquelle il fait état de la cession de mes actions à son profit. Pourquoi le ferais-je ?
Est-il mon fils pour lui céder mes actions ? Il faut être vraiment insensé pour signer un tel document. Au moment où j’ai déposé plainte auprès de la Commission bancaire de la Banque d’Algérie, et au lieu de punir l’auteur de ce faux, ladite commission a mis Union Bank sous administration.
Toute l’équipe de la Banque centrale était sous le contrôle du PDG d’Union Bank et vingt-quatre heures après la révocation de ce dernier, soit le 1er avril, on m’envoie la décision de mise sous administration de la banque. Celle-ci est devenue le témoin gênant des faux dont il faut se débarrasser. Ils sont les instruments de l’exécution d’un pillage. Union Bank était la boîte de Pandore dans laquelle se trouvaient tous les éléments de preuves du pillage de l’Algérie.
– Voulez-vous dire que les raisons de toute cette cabale judiciaire étaient ce que vous qualifiez de faux ?
Absolument, mais pas que. J’ai refusé de marcher dans cette faillite de toutes les filiales du groupe et d’Union Bank et je l’ai déclaré publiquement à travers une lettre publiée le 4 août 2003, par El Watan. En fait, ils avaient besoin de la banque privée pour faire échapper les fonds publics du contrôle du regard du FMI, qui à l’époque a mis l’Algérie dans le viseur. Hadj Nacer, qui était alors PDG d’Union Bank, m’avait dit explicitement : «Ou on prend la banque ou tu seras mis en prison. » Tous les dossiers d’Union Bank ont été transférés et servis pour la création d’une banque française.
– Est-ce la raison qui vous a poussé à quitter le pays pour le Maroc ?
Je n’ai pas été directement au Maroc. Lorsqu’il y a eu la mise en liquidation d’Union Bank, puis la publication au début du mois d’août 2003, de ma déclaration où j’ai dit beaucoup de vérités sur la machine judiciaire mise en branle contre mon groupe.
Au même moment, j’avais introduit un recours auprès de l’Inspecteur général de la justice, qui était à l’époque M. Sahraoui. Il a promis de l’examiner. J’ai également saisi le président de l’Assemblée nationale, alors Amar Saadani, afin qu’il sollicite l’ouverture d’une enquête parlementaire, mais rien n’a été fait. Tous mes courriers sont restés sans réponse. J’étais dans le désarroi.
J’ai décidé de partir au Canada, puisque ma femme, mes enfants et moi-même avons la nationalité canadienne. Tout d’un coup, je vois Hadj Nacer, détourner de l’argent en France et 8 ans après la liquidation, il porte plainte contre moi en France qui m’a valu une arrestation…
– Pourquoi 8 ans après ?
Parce qu’il était impliqué dans une autre affaire en France. Le 13 mars 2013, j’ai saisi la justice française qui a fini par prononcer la relaxe à mon profit et accordé le droit d’engager une procédure de saisie-arrêt sur les biens détournés par l’ancien PDG d’Union Bank. Sept jours après, il dépose une autre plainte à Alger, contre moi, liée à l’affaire Union Bank dans le but de bloquer mes procédures.
Cinq jours après l’audience de Paris, soit le 18 mars 2013, il y a eu l’émission du mandat d’arrêt international contre moi. J’étais en transit au Maroc, lorsque j’ai été arrêté et maintenu en détention durant 8 mois, à la prison de Salé, avant que je ne sois extradé vers l’Algérie, sans aucun dossier. Même lorsque j’ai été présenté devant le doyen des juges, il n’y avait rien et durant les dix ans que j’ai passés en prison je n’ai jamais rencontré un juge d’instruction.
On me condamne à 36 ans de détention sans être entendu par un juge d’instruction. Parce que j’ai contesté les décisions de la Banque d’Algérie, Union Bank a subi un véritable terrorisme administratif. La justice a évoqué la somme de 97 millions de dinars d’actifs d’Union Bank, alors que le montant exact laissé dans les comptes était de 5,50 milliards de dinars. Ils ont inversé les chiffres pour faire passer la mise en liquidation. Où sont donc les 5,50 milliards de dinars ? Qui les a pris ? Des questions que j’ai posées publiquement sans susciter de réaction. Un juge m’avait dit et je l’ai rendu public, que je me battais seul contre tout un système.
– Qu’allez-vous faire maintenant que vous êtes réhabilité ?
Je veux revenir sur la scène économique pour la simple raison qu’il s’agit d’un devoir. Ce que j’ai subi avec l’administration et la justice est la pire des choses qui puisse m’arriver. Si on veut que les investisseurs viennent chez nous, il faudra les protéger de cette machine qui broie tout sur son passage. C’est quand même notre pays. Je ne peux pas l’abandonner. Je ne l’ai pas fait en 1995, lorsqu’il était confronté au terrorisme, je ne le ferai pas aujourd’hui. Je ne baisserai pas les bras.
Nous sommes dans une nouvelle Algérie, qui n’a rien à avoir avec celle de la «îssaba». Pendant les 10 ans d’incarcération, je n’avais pas le droit de recevoir du courrier ni d’écrire à ma famille, placé au bloc disciplinaire, tantôt avec des terroristes, tantôt avec des délinquants et tantôt avec des criminels. Aucun des hommes d’affaires n’a été confronté à une telle épreuve.