Dérives monétaires et chute des cours des matières premières
Dérives monétaires et chute des cours des matières premières
Le second épicentre de la crise
Tarek Ghozlane, Algérie News, 27 octobre 2008 (2e partie) 1ère partie – 3e partie
En effet, comment des dirigeants pour la plupart complètement intégrés dans les jeux d’intérêt du capital qui les a portés au pouvoir pourraient-ils envisager des mesures de redressement qui affecteraient les milieux qui les ont désignés ? Car il ne s’agit pas seulement de coordination des politiques économiques et de mesure d’encadrement de l’activité financière, comme se plaisent à le dire le Président français de l’Union et le Président de la Commission Européenne, mais de mesures drastiques qui pénaliseront frontalement la haute spéculation et le capital financier. Autrement dit les milieux qui dirigent effectivement la politique générale des pays avancés économiquement. Le niveau de contrôle que la gravité de situation requière est en contradiction mécanique avec le laxisme et le laisser-faire favorable à la consolidation des intérêts du capital financier. Des mesures volontaristes sont cependant inévitables, le contrôle des marchés financiers et les prémisses d’une stratégie de relance destinés à réinstaller la confiance s’imposent en tant que dispositif d’urgence. Car, loin de se limiter à des systèmes bancaires localisés, la crise d’élargit et déstabilise des pays encore récemment porté au pinacle de la bonne gouvernance.
Si des économies considérées il y a peu comme particulièrement solides et prometteuses commencent à vaciller dangereusement, le plein effet de la crise reste à venir. Tandis que l’attention des médias restait focalisée la semaine dernière sur la chute des places financières, un autre paramètre-clé de l’élargissement de la crise, celui de la spéculation monétaire, était suivi avec inquiétude par les économistes. La dépréciation très importante des devises certaines de pays émergents indique clairement que la fuite massive des capitaux commence à prendre des proportions hors de tout contrôle. Le phénomène ne concerne pas seulement les pays d’Europe de l’Est mais également des économies comme celles de l’Australie ou de la Nouvelle-Zélande dont les monnaies ont très sévèrement décroché face au dollar et au Yen japonais. La contagion est générale, multisectorielle et s’installe dans la réalité des échanges internationaux. La spéculation sur le dollar impacte directement les monnaies, et les économies, qui lui sont directement corrélées.
La fuite éperdue des capitaux
Après le marché des crédits immobiliers américains le deuxième épicentre de la crise semble bien se situer dans les marchés monétaires. La dépréciation des devises est-européennes et des grandes économies de la région australe et est-européenne est directement liée à la très forte demande de dollars provoquée par l’assèchement des liquidités sur les marchés du nord pour faire face à l’impérieuse nécessité de déboucler des opérations libellées dans la monnaie américaine. Associé à la baisse des prix des matières premières et à l’effondrement de leurs bourses, l’affaiblissement de ces devises est le troisième coup qui inaugure dans ce théâtre de l’absurde une mauvaise pièce dont les actes à venir risquent d’être tragiques en termes de réduction de la pauvreté et de développement. Dans ce chaos général, la chute des prix du pétrole et celles des matières premières ont occulté la décision de certains pays développés, dont la France, de réduire son aide à l’Afrique. Mais si le signal est grave, là n’est pas l’essentiel des dimensions multidimensionnelles de la crise.
Pour des économistes l’interconnexion mondiale des structures de crédit est la base de départ d’une réaction en chaine aux répercussions catastrophiques. Il suffit de replacer par exemple le système bancaire suédois dans ses rapports avec les pays de la région baltique, celui de l’Autriche avec l’Europe centrale et les banques espagnoles avec l’Amérique latine. Examiné sous l’angle de ces connexions le système bancaire européen est dans une situation au moins aussi grave que celui des Etats-Unis ou du Japon.
La crise financière qui s’étend comme un feu de forêt dans les pays de l’ex-bloc soviétique menace de provoquer une seconde crise bancaire en Europe occidentale susceptible de précipiter le vieux continent dans une tourmente de première grandeur.
Les pays émergents touchés au cœur
Les spécialistes des économies d’Europe centrale et orientale craignent en effet que cette débâcle enclenche une réaction en chaine dans la zone euro. Ainsi le risque imminent est celui d’une fuite massive de capitaux d’Autriche, ce pays qui a vu le déclenchement de l’effondrement bancaire mondial de mai 1931 quand la banque CreditAnstalt fit faillite, et d’autres pays de la zone qui dépendent de ressources extérieures pour compenser de très importants déficits en compte-courant.
Les dernières statistiques de la Banque des Règlements Internationaux montrent que les banques d’Europe occidentale détiennent l’essentiel des créances sur ces marchés émergents. Ces banques détiennent les trois-quarts de 4,7 trillions de dollars de financements bancaires internationaux distribués ces dernières années aux pays d’Europe de l’Est, d’Amérique latine and des pays émergents asiatiques et consentis durant la période qui vient de s’achever de crédit à tout va. Ce niveau d’engagement est supérieur à celui du secteur des crédits immobiliers américains.
L’Europe a déjà ressenti un avant-gout de ce que cela signifie en termes d’impact financier. Les pertes bancaires induites par le collapsus du système financier islandais est de l’ordre de 74 milliards de dollars. Les banques allemandes ont à elles seules perdu 22 milliards de dollars.
Les engagements de l’Autriche vis-à-vis de ces marchés représentent 85 % de son PIB et sont fortement concentrés sur la Hongrie, l’Ukraine, and la Serbie. Dans le même ordre d’idées, les créances de la Suisse sur ces mêmes risques représentent 50% de son PIB, 25% pour la Suède et 23% pour l’Espagne. Le montant agrégé des financements espagnols à l’Amérique Latine est évalué à 316 milliards de dollars…Ce qui ne manque de susciter bon nombre d’interrogations sur la viabilité du système bancaire ibérique dont les engagements en Argentine et au Brésil sont violemment dégradés et pèsent trois fois la garantie de cent milliards de dollars annoncée par le premier ministre Zapatero.
Géostratégie de la crise
Il ne faut donc pas attendre que l’aide au développement et les investissements dans les pays du sud connaissent la moindre amélioration dans les mois à venir. Au contraire, il y a fort à parier que les pays développés suivant l’exemple français n’effectuent des coupes claires dans les budgets destinés à ces fins. Conjuguée à la baisse des cours des matières premières, la contraction très prévisible des crédits aux économies des pays émergents va aggraver des situations très fragilisées.
La crise est on le voit loin d’avoir déployé tous ses effets négatifs. Elle aura en tous cas précipité une modification du rapport de force international. La conférence Asie-Europe qui s’est tenue à Pékin s’est achevée sur la décision de tenir un sommet des vingt économies les plus développées le 15 novembre à Washington. Cette configuration ressemble fortement au Conseil de Sécurité élargi dont on discute vainement depuis près d’une vingtaine d’années. La pression des événements oblige ainsi à des adaptations trop longtemps bloquées. Ces réévaluations sous le sceau de l’urgence traduisent également un certain retour à l’esprit du New deal qui avait présidé à la fondation des Institutions de Bretton-Woods en 1944 est aujourd’hui revendiqué par ceux-là mêmes qui avaient jeté Keynes et le rôle de l’Etat dans la fosse commune de l’histoire économique. Les jours qui viennent diront si ces dispositions d’esprit permettront de faire face à une situation qui se détériore à très grande vitesse.