Rumeurs, panique et désespoir

RUMEURS, PANIQUE ET DESESPOIR

par M. Saadoune, Le Quotidien d’Oran, 8 mai 2010

Sur les places financières mondiales, l’atmosphère est plutôt délétère. La Bourse de New York, déjà fort déprimée, a amorcé un plongeon spectaculaire imputé à une erreur d’un agent de change – un de ces fameux traders – qui aurait confondu millions et milliards de dollars. L’alerte a été chaude. Un vent d’incertitude a aussitôt balayé une planète financière très nerveuse. Ce n’est pas la franche panique mais une sorte d’anticipation fiévreuse de turbulences à venir. Quelle est la part d’irrationnel et quel est le soubassement réel d’une telle inquiétude ?

Tout a commencé avec la crise grecque et sa gestion tout à fait étonnante par les « frères » européens. Ses dirigeants, en particulier allemands, ont suscité des doutes sur leur détermination à secourir un pays de la même zone monétaire. Les préteurs en ont profité pour augmenter les taux de crédit à la Grèce, sachant pertinemment que le risque d’insolvabilité de ce pays est essentiellement théorique. De leur côté, les spéculateurs ont joué l’euro à la baisse, ce qui a nourri des hypothèses sur la volonté germanique d’accélérer sa reprise économique par une stimulation supplémentaire à ses exportations. L’Allemagne est l’une des principales économies exportatrices, la baisse de l’euro profite à ses exportations. Mais en laissant planer l’incertitude sur la solidarité européenne vis-à-vis de la Grèce, les Européens ont pris le risque de la propagation des rumeurs déstabilisatrices non seulement à des pays du sud du continent, le Portugal et l’Espagne, mais également au Royaume-Uni dont les comptes publics sont lourdement déficitaires.

Certains voient dans ce tableau aux couleurs sombres, la vengeance des agences de notation, accusées de tous les maux pour n’avoir pas su évaluer la fragilité des banques impliquées dans les produits dérivés issus du marché immobilier américain. D’autres y voient la réponse cyniquement ingrate des banques aux plans d’aide massifs qui leur ont permis de traverser la crise sans dommage. Toujours est-il qu’après bien des atermoiements, le plan d’aide à la Grèce a été approuvé par les principales capitales européennes. Ce plan, assorti de conditionnalités draconiennes, est pire qu’un plan d’ajustement structurel, a estimé l’association altermondialiste Attac. Son objectif évident est d’assurer aux préteurs d’être remboursés au détriment des catégories sociales les plus fragiles de ce pays qui expriment leur désespoir dans des manifestations, parfois violentes. L’argument des évangélistes de marché est le même: l’efficacité de la gouvernance est directement liée à la réduction des budgets « non productifs ».

Sur un plan plus global, l’austérité radicale imposée aux Grecs doit envoyer un signal fort aux marchés sur la détermination européenne à réduire les déficits. Cette crise de la monnaie européenne révèle les limites d’une intégration a minima désirée par les ultralibéraux. Monnaie unique et politiques économiques nationales ne font pas visiblement bon ménage, d’autant que la disparité de niveaux économiques crée des distorsions structurelles entre pays riches et pays moins avancés de la même zone monétaire. Le peuple grec paye ainsi la facture… d’autres suivront peut-être. Les banquiers, eux, font des bénéfices