Pour les riches seulement
par Par K. Selim, Le Quotidien d’Oran, 11 juin 2009
Le discours sur l’ampleur et les probabilités de sortie de la crise est un élément du dispositif mis en place pour interrompre la logique de contraction de l’économie mondiale. La «ligne» est d’éviter ce qui pourrait susciter la panique et d’oeuvrer à rétablir un climat de confiance sérieusement entamé par l’évolution négative de tous les indicateurs. La gestion médiatique de la crise est en définitive aussi importante que les dispositifs financiers et réglementaires d’adaptation et de riposte au ralentissement général de l’activité.
Il reste que la tonalité volontariste et optimiste qui prévalait chez les principaux dirigeants politiques occidentaux, il y a encore quelques semaines, a cédé le pas à un propos beaucoup plus mesuré. Après des économistes proches de l’administration démocrate, c’est le président Barack Obama qui a donné le ton: la fin de la crise est proche, la reprise aura vraisemblablement lieu à la fin de cette année ou au début 2010.
Mais, et ce «mais» est de taille, la reprise sera molle et ses effets peu perceptibles avant longtemps. Le propos d’Obama est repris sur un mode plus technique par le directeur général de l’OCDE qui confirme l’arrêt, ou du moins le ralentissement de la dégradation économique globale. Le responsable d’une institution dont la mission est de propager la bonne parole libérale prévient cependant que la reprise n’entraînera pas le retour des embauches. Le chômage se situera à un niveau plus important que celui où il se tenait avant la crise.
Quelle est donc la nature de cette reprise «molle» qui n’aura pas de conséquences sur le niveau du chômage? La fin de la chute et de la dégradation ne signifiera donc pas une amélioration des conditions économiques pour la majorité des populations affectées par les licenciements, la perte de leurs logements et le basculement dans la précarité. Ce sera une reprise qui ne profitera qu’à ceux-là mêmes qui ont provoqué la crise au nom de l’efficience indiscutable des marchés.
L’aveu des politiques est d’importance. Outre la préparation psychologique aux conséquences dramatiques d’une récession très brutale, il apparaît clairement que les stratégies mises en oeuvre à grand renfort d’argent public et d’endettement colossal – payables par les générations futures – ne sont destinées qu’à sauver les plus riches. Et à maintenir en l’état un ordre social producteur de déséquilibres croissants, de plus en plus déstabilisateurs.
Le ralentissement de la récession est déjà l’occasion pour nombre de théoriciens ultralibéraux, prudemment retranchés dans un silence mortifié, de reprendre du poil de la bête. Ainsi, pour les partisans de Milton Friedman, le défunt pape du monétarisme, la crise actuelle n’est pas celle des marchés déréglementés, la responsabilité en serait imputable à l’Etat qui n’a pas su l’anticiper… L’argument est spécieux, mais il est certain qu’il sera également décliné à tous les modes par une communauté médiatique majoritairement acquise au maintien du désordre établi.
Car, il s’agit bien de désordre. Un rapport de l’Organisation internationale du travail (OIT), publié hier à Genève, alerte l’opinion sur le recours au travail des enfants et la réduction des budgets sociaux, de l’éducation notamment, suscités par la crise. Sous cet angle, rarement évoqué, on comprend plus clairement pourquoi le discours des officiels «modère» les attentes liées à la reprise. C’est qu’au fond, il est difficile de reconnaître que les politiques mises en oeuvre ne servent que les plus riches.