Réunion du G20 à Washington

Réunion du G20 à Washington

Nouveau Bretton-Woods ou aménagements conjoncturels ?

Saïd Mekki, Algérie News, 15 novembre 2008

Les dirigeants des vingt pays les plus puissants de la planète sont attendus à Washington pour un sommet inédit consacré à la crise financière mondiale. Confronté à une situation économique en rapide détérioration, le G7, conseil d’administration occidental autoproclamé du monde est contraint de s’élargir à des pays émergents dont le poids relatif ne peu plus être ignoré. Les dimensions globales de la crise et ses implications ne peuvent pas être appréhendés, et encore moins hypothétiquement résolus, en l’absence d’acteurs nouveaux mais d’importance indiscutable. L’épicentre de la crise se situe certes aux Etats-Unis et dans une moindre mesure en Europe et au Japon mais l’onde de choc s’est étendue au monde entier. Les interactions des économies sont d’une telle intensité qu’il est impossible d’éviter des pays qui, comme la Chine, le Brésil ou la Russie détiennent des créances gigantesques sur les Etats-Unis ou l’Arabie Saoudite dont les réserves pétrolières sont une variable fondamentale de l’économie internationale. Pour sauver ce qui peut l’être et tenter une riposte, les occidentaux sont obligés d’envisager un modus vivendi revisité avec des partenaires qui sont loin de tous adhérer au dogme ultralibéral qui constitue le soubassement de la vision du monde des pays les plus riches. La réunion se présente sous des auspices très mitigés, les arrière-pensées de ceux qui souhaitent conserver des positions dominantes et faire payer à d’autres leurs propres turpitudes se heurtent nécessairement aux intérêts des pays du Sud. L’atmosphère de la réunion à la Maison-Blanche est également influencée par la fin du règne de George W. Bush dont le discrédit est tel que beaucoup se demandent si son successeur entérinera les décisions auxquelles il sera amené à souscrire. Ainsi, les européens pilotés par la présidence française de l’UE ont demandé à ce qu’une seconde réunion soit programmée dans cent jours, soit après l’entrée en fonction de Barack Obama.

Les politiques et les éditorialistes sont unanimes à tempérer l’optimisme de ceux qui voient en la réunion du G20 une étape décisive dans la construction d’un système international de régulation de l’activité financière. Il ne s’agit en effet que d’une réunion inaugurale ou des mesures générales seront annoncées en matière d’encadrement de la spéculation bancaire et de modification, en faveur de certains pays émergents, des équilibres politiques au sein du FMI. En tout état de cause, il serait illusoire d’attendre davantage d’un sommet ou les vues « thérapeutiques » des participants semblent être plutôt éloignées les unes des autres. Il est à cet égard significatif d’observer que les réponses à la crise sont des réponses purement nationales, faiblement coordonnées, y compris dans des espaces économiques comme l’UE. Les divergences franco-allemandes en matière de politique d’urgence pour le sauvetage des institutions financières en étant l’exemple le plus parlant. Les dotations budgétaires annoncées peuvent passer comme des soutiens de nature protectionniste à des systèmes bancaires en compétition plutôt que l’expression d’une approche convergente au niveau européen.

De la crise financière à la crise générale

En attendant, dans un contexte de récession mondiale clairement engagée, la crise financière n’est plus la préoccupation majeure des dirigeants et des économistes. Les signaux d’alerte passent progressivement au rouge dans toutes les économies, y compris les plus faibles et les moins intégrées au système mondial. Ainsi selon le Baltic Dry Index, indice de référence en la matière, a demande de transport maritime pour les matières premières aurait diminué de 91% au cours de ces derniers mois. L’impact sur les pays les mois avancés s’annonce dévastateur d’autant que les pays riches annoncent d’ores et déjà une diminution drastique de leurs programmes d’aide au développement. La situation d’effondrement de l’industrie automobile aux Etats-Unis et dans une mesure moindre en Europe est le signe avant-coureur d’une crise générale d’une intensité inédite que l’on tente de masquer par les performances à contre-courant des bourses mondiales. En effet, la contraction de l’économie minimisée par les officiels semble s’accélérer de manière irrésistible. Les injections massives de capitaux dans les systèmes bancaires, notamment aux Etats-Unis, ne se traduisent absolument pas par une reprise du crédit à l’économie et aux ménages. Au contraire, sur le programme de secours de 700 milliards de dollars dirigé par le secrétaire au Trésor américain, Hank Paulson, 350 milliards ont déjà été consommés sans impact réel. A ce plan, il faudrait ajouter les deux mille milliards (2 trillions selon les nouvelles unités de mesures financières) de fonds prêtés de manière plutôt opaque par la Federal Reserve aux Etablissements de crédit. Les pertes bancaires américaines sont en effet d’une ampleur colossale et leur incidence sur l’économie globale n’a pas encore montré son plein effet. La situation est telle que des pays qui sont des acheteurs massifs de Bons du Trésor américain, la Chine et l’Arabie saoudite notamment, ont commencé à diversifier leurs placements. L’or semble être la valeur refuge choisie par ces créanciers des Etats-Unis, les saoudiens viennent d’en acheter, en deux semaines, pour plus de trois milliards et demi de dollars et la Chine, qui dispose d’un stock de métal jaune de 600 tonnes envisage de le porter au delà de deux mille tonnes.

Les pays riches enfermés dans la logique libérale ne disposent pas des réserves de potentiel de la Chine. Ce pays a les moyens de réorienter partiellement et graduellement sa capacité productive sur la demande interne, tout en continuant de se prévaloir d’une capacité d’attraction favorable pour les investissements des firmes mondialisées à la recherche de marges de profit. L’opération impliquera au maximum quelques années de difficultés sociales. Ce peut être aussi bien relativement le cas pour la Russie ou le Brésil, ainsi que d’autres pays asiatiques et latino-américains s’engageant dans le même type de politique et des solidarités régionales plus accentuées. Les pays en mal développement et sans stratégie devront subir passivement les contrecoups sans possibilité d’amortir les ajustements de marché. L’Europe, les USA enfin ont des marges de manœuvre nettement plus restreintes, à condition de surcroit que les deux grands marchés soient à même de tempérer leurs démarches libérales. Autrement, l’un et l’autre pourraient être tentés de recourir à leur avantage comparatif militaire et stratégique pour faire payer les autres : c’est un des scénarios possibles, mais rien ne garantit qu’il faille l’écarter.

La réunion du G20 est donc d’une importance cruciale et sera surtout jugée à l’aune des signaux qu’elle émettra, nouveau Bretton-Woods ou simples aménagements conjoncturels, et de la détermination qu’elle pourrait montrer à répondre aux défis majeurs posés par la crise.