Quelques réflexions sur la crise grecque
par Paris : Akram Belkaid, Le Quotidien d’Oran, 6 mai 2010
Il y a plusieurs manières d’analyser les difficultés dans lesquelles se débat actuellement la Grèce. On peut opter pour une approche classique qui consisterait à insister sur la coupable créativité comptable d’Athènes au cours des dix dernières années afin de masquer l’ampleur de son endettement. On peut aussi rappeler qu’une union monétaire, dans le cas présent la zone euro, n’a de sens que si elle concerne des pays dont les économies peuvent converger (comment a-t-on pu croire que l’économie grecque ressemblerait un jour à celle de l’Allemagne…). Mais il y a d’autres enseignements qui méritent d’être signalés.
Parlons d’abord de cet incroyable égoïsme des Européens à l’égard de la Grèce. Que de manœuvres dilatoires, que de mesquinerie, que de propos désobligeants notamment en Allemagne où la presse populaire s’en donne à cœur joie pour clouer au pilori des Grecs accusés d’avoir vécu au-dessus de leurs moyens. «Vendez quelques-unes de vos îles» leur a même conseillé le quotidien Bild. Pourtant, que n’avons-nous pas entendu au cours de ces vingt dernières années à propos des bienfaits de la construction européenne. Un bloc, une somme de politiques communes, des souverainetés abandonnées au profit d’un idéal communautaire, celui d’une Europe unie et solidaire. Tout cela n’était-il que du vent ?
Bien sûr, le plan d’aide a été finalement adopté mais quelle lenteur ! Quelle humiliation pour les Grecs ! Et notons au passage que ces tergiversations sont la principale cause de la défiance des marchés qui n’ont eu de cesse de tester la véritable détermination de l’Union européenne (UE) à venir au secours de la Grèce. Est-ce donc cela la fameuse Europe qui se voit comme un havre d’apaisement dans un monde en proie à des crises aussi fréquentes que variées ? Est-ce cela le modèle dont devraient s’inspirer les autres régions du monde, à commencer par le Maghreb, pour bâtir une zone de paix ?
Ce qui arrive à l’Europe est une très mauvaise nouvelle. Personne aujourd’hui ne peut ignorer que la Grèce, peut-être même l’Espagne et le Portugal, risquent d’être éjectés de la zone euro. Et ce n’est pas tant cette sortie qui compte vraiment (c’est peut-être même une solution idéale pour des pays qui n’ont pas la capacité de créer de la croissance sans passer par une dévaluation de leur monnaie) que le fait que cela sera la première fois que les Européens devront faire machine arrière. Et en ces temps de crise, à l’heure où une intolérance xénophobe refait son apparition étrange comme les résultats électoraux en Hongrie et aux Pays-Bas n’affolent personne c’est l’image d’une Europe vertueuse et prospère qui est en train de s’effriter. Mais revenons au plan d’aide à la Grèce. Les pays qui vont lui octroyer des prêts, notamment la France, vont emprunter à 3% sur les marchés et se faire rembourser à 5%, ce qui signifie qu’ils réaliseront une plus-value assez conséquente. Minable. Quelle honte ! Quelle incroyable petitesse ! Voilà donc la France, l’Allemagne et quelques autres pays européens qui se transforment sans vergogne en usuriers au prétexte de se prémunir contre un risque de non-remboursement. Ah bon ? s’exclament d’ailleurs les marchés qui voient là une raison supplémentaire de parier sur un risque de défaut de la Grèce. Comment leur en vouloir quand même les partenaires d’Athènes expliquent qu’eux aussi ont des doutes sur la solvabilité hellénique ?
Pauvres Grecs. Ils auront tout eu. Les propos méprisants, pour ne pas dire racistes, à propos de ces « gens du Sud» qui n’auraient jamais dû appartenir à la zone euro; Les remontrances de la part de pays, en réalité à peine mieux lotis qu’eux sur le plan budgétaire; et bien sûr l’arnaque sous forme d’une aide financière loin d’être désintéressée. Mais ce n’est pas tout. Pour mériter leur prêt et obtenir la possibilité de rester dans la zone euro, la Grèce va devoir se serrer la ceinture comme elle ne l’a jamais fait au cours de son histoire récente. C’est même l’ensemble de l’Etat-providence grec qui est remis en cause et qui devrait être considérablement remanié. Et qui va veiller au grain ? Le Fonds monétaire international (FMI), bien sûr. Cela ne vous rappelle rien ? La Grèce, une démocratie membre de l’Union européenne (UE) traitée comme un pays du tiers monde… Allez ensuite expliquer à un sénateur américain – ou à un officiel chinois – que l’UE est une force politique cohérente.
Abordons maintenant un autre point qui n’a pas été très médiatisé. C’est en 2004, que les premières manipulations comptables grecques ont été connues. A l’époque, c’est le gouvernement de droite, nouvellement élu qui les a rendues publiques. La suite a montré que l’affaire avait été quelque peu gonflée par cette nouvelle majorité afin de discréditer les socialistes. En 2009, la Grèce a changé de majorité avec le retour aux affaires des socialistes et, là aussi, on a appris de nouveau, c’était à l’automne dernier, que les statistiques budgétaires grecques n’ont jamais cessé d’être manipulées depuis 2004. La question est simple : pourquoi l’Europe s’est-elle tue depuis 2004 et pourquoi n’a-t-elle réagi qu’à l’automne dernier ? Pour être plus précis, pourquoi a-t-elle fermé les yeux sur les dérapages budgétaires dont se sont rendus coupables les conservateurs grecs ? A-t-on décidé à Bruxelles d’aider un gouvernement « ami» sur le plan idéologique, celui du libéralisme et de la dérégulation ? Dans le tintamarre d’accusations en tous genres et de recherche de boucs émissaires (les agences de notation, Goldmann Sachs, les marchés,…) personne ne semble vouloir s’interroger sur l’indulgence de la Commission européenne à l’égard d’Athènes. Incompétence, proximité idéologique, pressions d’autres pays membres ? Assurément, la crise grecque n’a pas encore livré tous ses enseignements.