Le FMI chiffre à 4.054 milliards de dollars les pertes du système financier mondial

Le FMI chiffre à 4.054 milliards de dollars les pertes du système financier mondial

La banque joue et perd

par M. Saâdoune, Le Quotidien d’Oran, 22 avril 2009

Quelle est la taille réelle des actifs «toxiques» des banques occidentales ? C’est le grand «secret bancaire» qui intrigue les économistes et pour lequel des estimations ont été données avec des écarts substantiels. La question à mille milliards de dollars est posée depuis des mois. Nouriel Roubini, qui avait prévu le crash financier actuel, a chiffré les pertes pour les seules banques américaines à 3.600 milliards de dollars, ce qui signifie de manière simple que le système financier américain est techniquement en état de faillite. Nouriel Roubini était considéré comme le Monsieur Catastrophe, or voilà que le très prudent Fonds monétaire international se met à se rapprocher de ces chiffres.

En janvier 2009, le FMI estimait le coût de la crise financière à 2.200 milliards de dollars en se basant uniquement sur les actifs américains. Hier, dans un «rapport sur la stabilité financière dans le monde», l’institution financière mondiale a révisé à la hausse son estimation des pertes du coût de la crise financière. Celle-ci a pratiquement doublé. Les coûts à l’horizon 2010 devraient atteindre la somme astronomique de 4.054 milliards de dollars. En affinant ses projections, le Fonds monétaire a inclus 2.712 milliards de dollars de pertes liées à des dépréciations d’actifs financiers américains, 1.193 milliards liées à des actifs européens et 149 milliards liées à des actifs japonais. Environ deux tiers des 4.054 milliards concernent les pertes liées aux seules dépréciations d’actifs financiers américains (2.712 milliards, contre 1.193 milliards pour les actifs européens). Si la tourmente a frappé tous les secteurs d’activité, les banques sont les plus touchées, elles endossent 61% du coût total des pertes.

Un stress-test angoissant pour les banques américaines

«Le ralentissement de l’activité économique pèse encore plus lourdement sur les bilans des banques, dont les actifs continuent de se dévaloriser, compromettant ainsi leurs ratios de fonds propres et l’ouverture de nouveaux crédits», estime les analystes du FMI en soulignant que la détérioration du crédit «pourrait considérablement s’aggraver pour les banques, européennes en particulier, y compris par le biais de leur exposition à l’Europe émergente». Les économistes de l’institution internationale ont calculé que, pour parvenir à retrouver des fonds propres correspondant à 1/25 de leurs crédits, les banques américaines et européennes devraient rassembler, respectivement, 275 milliards et 600 milliards de dollars de capitaux. Des chiffres qui atteindraient 500 et 1.200 milliards si on revenait aux normes qui prévalaient au milieu des années 1990. Des sites américains ont fait un état d’un rapport confidentiel de la SEC (U.S. Securities & Exchange Commission) qui a effectué un stress-test – une simulation d’évolution des comptes – du système bancaire américain. Il s’avère entre autres constats gravissimes que 16 des 19 premières banques américaines sont déjà techniquement insolvables. Selon certains scenarii plus ou moins pessimistes, si deux banques parmi les 19 font faillite, c’est tout le fonds de garantie des dépôts qui se trouve asséché. Les cinq premières banques US sont tellement sous-capitalisées que cela met en question leur capacité à maintenir leur activité.

Une gestion «millimétrée» de la communication de crise

Au vu des conclusions du rapport de la SEC, l’optimisme du président de la Federal Reserve confine à la méthode Coué, la crise bancaire est bien plus importante et plus grave que ce que la communication du gouvernement US le laisse penser. Même les chiffres annoncés hier par le FMI laissent certains experts dubitatifs. Un financier algérien y voit une gestion «millimétrée» de la communication de crise. «Il s’agit visiblement d’une communication organisée, on a mobilisé les meilleurs spin doctors. Le chiffre de 4.000 milliards est en hausse par rapport aux estimations précédentes mais il reste encore sous-évalué, surtout dans la perspective d’une récession durable. C’est une technique d’escalade graduelle destinée à éviter la panique». Selon lui, la formulation du rapport du FMI est «très élaborée et elle est destinée à mettre en garde les gouvernements occidentaux et à prendre date». Le fait est que le rapport n’établit pas une comparaison banques européennes et japonaises est révélateur.

Des estimations des pertes qui donnent le vertige ont été données et apparemment le FMI ne veut pas susciter la panique tout en essayant de tempérer l’optimisme prématuré des politiques. Le fait que l’institution, incarnation jusqu’à l’absurde de l’ultralibéralisme appliquée au tiers-monde, en vienne à relever, incidemment, que la restructuration des banques «peut exiger une prise de contrôle provisoire par l’Etat» est révélateur de l’ampleur de la crise. Le FMI qui préconise la nationalisation des banques (temporaire certes, mais nationalisation tout de même), cela relevait, il n’y a guère longtemps, de l’impensable. On pressent quand même que la réalité des pertes est un secret majeur quand le FMI souligne que le «système financier mondial reste soumis à très rude épreuve (…) tant dans les pays avancés que dans les pays émergents». Il relève que la «prise en compte des pertes est incomplète et le capital est insuffisant dans un scénario de récession». Le FMI appelle à «d’autres mesures énergiques et efficaces et à une plus grande coopération internationale pour nourrir le redressement, rétablir la confiance du public dans les institutions financières et normaliser les marchés». Il y a quelques semaines le financier international George Soros évoquait l’éventualité d’une «désintégration du système financier mondial en état de survie assistée dont la dégradation semble irrémédiable». Les chiffres calculés du FMI ne tempèrent pas ce pessimisme.