L’épaisseur de la crise
par El-Houari Dilmi, Le Quotidien d’Oran, 15 mars 2009
Du jamais vu depuis l’après- guerre : alors que les perspectives de l’économie mondiale se dégradent chaque jour un peu plus, avec une poussée exponentielle du chômage et la précarisation de larges couches de populations dans de nombreux pays, l’épaisseur de la crise se décline avec effroi avec cette «troisième vague» meutrière qui menace les pays pauvres et à faible revenu, s’est alarmé le directeur général du Fonds monétaire international.
Dominique Strauss-Kahn a lancé un appel sous le sceau de l’urgence à la communauté internationale, pour qu’elle consacre davantage d’aide aux pays pauvres, directement menacés par une grave crise humanitaire, voire des risques insurrectionnels accrus. Cela à cause de la dégradation inquiétante de leurs faibles moyens de paiement extérieurs et la contraction à un niveau trop bas de leurs dépenses consacrées aux besoins prioritaires que sont la santé, l’éducation et les infrastructures vitales.
Au moins 25 milliards de dollars de prêts concessionnels urgents seront nécessaires, cette année, pour sauver de la banqueroute une vingtaine de pays directement menacés dans leur survie. Et ce sont surtout les pays les plus riches (et incidemment les plus touchés par la crise), qui sont pressement invités à se montrer les plus généreux en consacrant au moins un pour cent de leurs plans de relance au sauvetage des pays les plus vulnérables. Parce que l’enjeu est de taille : après avoir frappé d’abord les pays nantis puis les pays émergents, celle qui est présentée comme «la troisième vague» de la crise financière mondiale risque de réduire à néant les progrès considérables accomplis durant la dernière décennie par des pays à revenu intermédiaire et à faible revenu. «J’exhorte les bailleurs de fonds à se montrer à la hauteur de l’enjeu, en apportant les financements nécessaires pour préserver cet acquis obtenu au prix de tant d’efforts et empêcher une crise humanitaire majeure», a averti le patron du FMI. Un appel qui résonne comme un aveu d’impuissance, non seulement pour l’institution financière multilatérale, épinglée pour son incapacité à prévenir les crises systémiques majeures, mais aussi pour les pays les plus nantis dont la responsabilité est avérée dans le tsunami financier, économique et humanitaire qui frappe de plein fouet une centaine de pays, allant jusqu’à les menacer dans leur stabilité politique; et c’est manifestement là que se «niche» le plus grand danger dans un monde de plus en plus mouvant, selon les prévisions affolantes de plusieurs études menées dans le monde. En s’employant à mettre en place une riposte extraordinaire à ce qui est une crise extraordinaire, pour les pays les plus pauvres surtout, l’Institution de Bretton Woods se lance le défi de mobiliser des prêts concessionnels de 25 milliards de dollars durant l’année 2009. Trop peu selon les scénarii les plus pessimistes, qui tablent sur une dégradation encore plus grave de l’économie mondiale avec un effet domino dévastateur sur les pays à faible revenu.
Avec tous les clignotants qui passent au rouge, en cas de stagnation de la croissance mondiale d’ici à l’horizon 2012, les besoins en financement des pays les plus vulnérables pourraient prendre l’ascenseur pour dépasser la barre des 140 milliards de dollars. Un «fonds de la vulnérabilité» comme d’aucuns l’ont appelé et qui ne peut être perçu que comme un moyen palliatif, avec peu d’effet, à court terme. Le pari, trop difficile à tenir, restant celui d’éviter, à cause de l’ampleur inédite de la crise, des déplacements migratoires massifs des populations durement touchées vers le nord avec tout ce que cela suppose comme retombées catasrophiques pour les pays concernés.
Des perspectives d’autant plus sombres pour la planète Terre que de nouvelles vagues de refugiés et de victimes de tous les conflits et crises menacent la stabilité du monde, à l’exemple de ceux qu’on appelle les «refugiés environnementaux» qui s’élèveraient à deux cents millions d’individus d’ici à l’horizon 2020.