Fin de récession, crise durable
par K. Selim, Le Quotidien d’Oran, 15 octobre 2009
Les annonces répétées de la fin de la dépression et du retour, vers la fin de l’année, à la croissance signifient elles pour autant que la crise est achevée ?
L’ambiance optimiste qui s’était installée dans les médias avant, pendant et dans les jours suivants la réunion du G20 à Pittsburgh semble, sinon s’estomper, du moins se nuancer très nettement. L’injection massives de capitaux publics dans les économies avancées a certainement permis de sauver les meubles mais l’effort est il approprié pour envisager une réelle sortie de crise ? Ces questions sont posées tant par des économistes que par des politiques qui s’inquiètent de la mollesse de la reprise en perspective et de son faible impact sur la réalité du plus grand nombre. De fait sur la base des données statistiques, le PIB américain en particulier, la récession est terminée mais nul ne constate la moindre amélioration sur le front de l’emploi. Le gouvernement américain essuie des critiques de plus en plus violentes sur les insuffisances et les déséquilibres qui caractérisent son approche générale de la crise. Il est vrai que l’actuelle administration a hérité d’orientations lourdes imposées par les priorités établies par le gouvernement ultralibéral qui l’a précédé. L’effort gigantesque de soutien aux banques n’a pas été accompagné d’une politique économique en faveur des autres acteurs et des ménages. L’engagement en faveur des banques est sans commune mesure avec celui consenti pour la relance.
Sauvetage bancaire et chômage
Le coût agrégé des diverses mesures de sauvetage bancaire et de relance de l’économie devrait atteindre le montant de 23 700 milliards de dollars pour le contribuable américain. Le chiffre pharamineux n’est pas le résultat d’un calcul partisan mais ressort d’un rapport publié il ya quelques jours et signé par Neil Barofsky, inspecteur général spécial du Trésor américain chargé du programme TARP (Troubled Asset Relief Program) de consolidation des actifs douteux des banques. Ce programme décidé par Henry Paulson, l’ancien secrétaire au trésor de l’administration Bush et doté de 700 milliards de dollars ne représente qu’une fraction des aides gouvernementales pour sauver le système bancaire de l’effondrement. Ces aides comprennent notamment l’enveloppe de 6 800 milliards de dollars concédées aux banques et à certaines grandes entreprises par la banque centrale américaine, la Federal Reserve Bank. Cet effort titanesque qui a incontestablement permis de maintenir à flot les banques américaines est l’objet de critiques quant à ses conditions d’attributions et à l’usage qui en fait. L’opacité et les manipulations financières permises par le déversement de cette corne d’abondance suscitent de plus en plus l’indignation de l’opinion publique. Le Trésor a du admettre que les dépassements constatés avaient entrainés l’ouverture de 35 procédures criminelles ou civiles à divers titres. Le mécontentement est d’autant plus profond que si l’Etat-providence qui a magnifiquement fonctionné pour les banques – qui s’apprêtent à distribuer des dizaines de milliards de dollars sous forme de bonus à leurs dirigeants -, est aux abonnés absents quand il s’agit de soutenir les classes moyennes, catégorie sociale la plus affectée par la dépression. Les déclarations rassurantes des politiques et de certains économistes quant au retour imminent à la croissance ne sont pas corroborées par les statistiques du chômage.
Pilote… et garçon de café
Les chiffres relatifs à la destruction d’emplois aux Etats-Unis semblent même s’aggraver de mois en mois. 263.000 emplois ont été détruits au mois de septembre, après 201.000 en août. Un chiffre bien supérieur aux 175 000 prévu par les analystes. La consommation des ménages recule et, phénomène nouveau, les américains ont tendance à épargner. Le spectre de la pauvreté n’épargne aucun secteur. Dans son film le plus récent, « Capitalism, a love story », le documentariste Michael Moore montre ainsi que de nombreux pilotes des lignes intérieures américaines sont réduits, pour nourrir leurs familles, à prendre un deuxième emploi, comme garçon de café par exemple, ou de recourir aux bons d’alimentation que le gouvernement accorde aux nécessiteux. La pression continue sur les salaires et la faiblesse des mécanismes d’assurances chômage se combinent à la dépréciation de leurs patrimoines, immobilier notamment. La consommation continue donc d’être déprimée. Ce désendettement en cours contribue à ralentir l’activité globale. La consommation compte pour près de 70% du PIB des Etats-Unis.
L’économie américaine, moteur de l’économie mondiale, continue donc de corriger les effets de la crise financière d’aout-septembre 2007. Paul Krugman prix Nobel d’économie et spécialiste du commerce international, a ainsi déclaré au Wall Street Journal que la contraction des échanges internationaux est plus importante à l’heure actuelle qu’elle ne l’a été lors de la crise des années trente.
Un moteur au ralenti
Ainsi, la faiblesse de la reprise américaine impacte t elle le monde entier. Les performances attendues des économies européennes ne sont guère meilleures. Seules les bourses, dopées par les résultats financiers des banques et des grandes entreprises stimulées à coups de fonds publics, sont florissantes. Or, les déficits publics générés par les plans de sauvetage et de relance réduisent notablement les marges de manœuvre des gouvernements dans l’hypothèse d’un glissement de la quasi-stagnation actuelle vers la récession. Les pays émergents qui disposent de vastes réserves de croissance interne, comme la Chine où le Brésil, tirent leur épingle du jeu. Le reste des pays en développement est directement impacté par le ralentissement général et durable de l’activité aggravé par la réduction des aides publiques au développement. Les satisfécits auto-décernés à Pittsburgh par les dirigeants du groupe des sept pays les plus riches sont oubliés. L’absence de décisions fortes et de volonté de transformations d’un système financier global qui a montré ses limites incitent à la prudence. La crise financière a été synchronisée à une échelle inédite, les réponses de politique économique sont bien en deçà des défis. Si la récession est peut-être terminée aux plans techniques et statistiques, la crise est toujours d’actualité.