Conspirationnisme

CONSPIRATIONNISME

par K. Selim, Le Quotidien d’Oran, 29 avril 2010

Les marchés – c’est évident, n’est-ce pas ? – ne conspirent pas et ne complotent pas, la main invisible tant célébrée les régulant dans l’harmonie et pour le plus bien de tous. Penser le contraire, ce serait faire preuve de paranoïa, de «conspirationnisme» ou de «complotite», pathologie récurrente des rétifs et des mal-pensants qui doutent fortement de la pureté des lois libérales.

On nous l’a dit et répété : les marchés de capitaux, qui pourtant fonctionnent selon des mécanismes d’une absurde complexité, sont des lieux d’arbitrage économiquement fondés. La crise des subprimes avait quelque peu rabattu l’élégant caquet des évangélistes de la finance libérée.

Dans un grand élan, des chefs d’Etat occidentaux, élus par les marchés boursiers, et des dirigeants politiques soucieux d’atténuer les conséquences sur les populations des dérives bancaires, ont lancé l’opération de sauvetage. Avec à la clé des discours pompeux sur la réforme du capitalisme. Ces gesticulations qui se voulaient soudainement sociales se sont traduites, au prix d’un creusement vertigineux des déficits publics, par un soutien titanesque aux banques en déroute.

Au niveau international, les fondés de pouvoirs traditionnels des grandes maisons capitalistes ont décidé d’élargir leur conclave du G8 à des pays émergents, tenus de faire preuve de responsabilité et de soutenir l’action des nantis. Le G20, né de la crise, a dilapidé au fil des mois le capital espoir placé en eux par l’immense majorité des habitants de la planète.

Aujourd’hui, pour exprimer leur reconnaissance à la sollicitude des Etats, ces libres marchés ont décidé que la Grèce et le Portugal étaient en faillite virtuelle et que les prêts alloués à ces pays devaient refléter le risque qu’ils représentent. En clair, les taux d’intérêts passent à des niveaux usuraires pour la Grèce et le Portugal. En attendant de s’attaquer à plus gros, l’Espagne, l’Italie ? Et, pourquoi pas – après les élections tout de même, sinon ce serait shocking – au Royaume-Uni ?

Quels sont les investisseurs qui prêtent aux Etats ? Des banques. Pour la plupart, ce sont ces mêmes banques qui tendaient la sébile à des gouvernements empressés de comprimer les budgets sociaux pour «sauver» l’économie. La boucle est bouclée. A ce stade, il ne s’agit plus de «pure spéculation» mais de vol en bonne et due forme.

Les politiques européens observent un étonnant silence radio sur ce thème. Nul ne parle des banques ; seuls sont mis en cause, par les suprématistes de la droite allemande notamment, les dirigeants grecs accablés de toutes les tares. Il est plus «sérieux» de parler de burqa, de polygamie et de la sexualité des footballeurs.

Aux Etats-Unis, avant-garde de la communication créative, on fait nettement mieux. Le Sénat a mis en place une commission punitive chargée de sermonner, parfois en termes crus, la banque Goldman-Sachs, accusée d’avoir dépouillé ses clients en leur vendant des produits bancaires contre lesquels elle jouait à la baisse. Pour la réinstauration de réglementations réelles et protectrices, il faudra attendre.

La duplicité n’est pas seulement une affaire de banquiers. Parlez de l’entente implicite entre politiques et financiers et vous serez étiqueté «conspirationniste», ce qui est la pire injure dans la bouche de gens à l’honnêteté bien problématique.