L’Algérie et la Crise mondiale
Après avoir fait la genèse de la crise dans l’article « De la chute du mur de Berlin à celle de Wall Street » (Algérie news du 25 octobre) et évoqué le « second épicentre de la crise » (26 octobre) avec la mise en évidence des graves effets sur les monnaies nationales et sur le cours de matières premières, notre collaborateur explique, dans cette troisième partie, les enseignements que doit en tirer notre pays.
Tarek Ghozlane, Algérie News, 28 octobre 2008 (1ere partie – 2e partie)
Les déclarations apaisantes des hommes politiques et les divers plans de sauvetage des banques ne parviennent pas à redresser une situation économique en détérioration continue. Le recul important des bourses sur lesquelles l’attention du monde est essentiellement fixée a tendance à masquer les données négatives qui émanent non plus seulement des secteurs de la construction automobile ou du bâtiment mais qui proviennent de tous les secteurs d’activité, notamment industriels, à travers le monde. Ainsi selon un expert allemand du commerce international, les ports allemands enregistrent une baisse considérable du trafic maritime de marchandises, de l’ordre de 30 à 50% de réduction du mouvement normal. La contraction drastique du financement courant du commerce international ( trade finance ) expliquerait grandement cette situation. Il apparaît ainsi que les mesures de consolidation des bilans bancaires par les gouvernements occidentaux n’entrainent pas, c’est le moins que l’on puisse dire, la reprise du crédit aux entreprises. De plus en plus d’entreprises exportatrices rencontrent des difficultés pour obtenir des garanties bancaires transfrontières, ou des confirmations de crédits documentaires. Les banques des pays exportateurs ne font plus confiance à des banques de pays importateurs étranglés par la fuite des capitaux.
Du côté des importateurs de certains pays émergents consommateurs de biens industriels, la réalité de l’asphyxie financière est encore plus marquée. La crise des liquidités est d’une ampleur inédite : ses limites vont bien au delà des banques qui malgré les mesures déjà évoquées continuent de subir une pression continue des établissements financiers désireux d’obtenir du cash pour liquider des positions et rembourser des clientèles d’investisseurs paniqués à l’idée de voir leur épargne partir en fumée. Cette situation explique les augmentations de capital en rafale annoncées par des banques européennes et asiatiques et les injections urgentes – 125 milliards de dollars ont été décaissés hier – de fonds publics dans les banques américaines par la Federal Reserve.
Le séisme bancaire et le pétrole
Comme prévu la baisse de la production de l’OPEP n’a pas suffit à enrayer le mouvement de repli du pétrole, le baril est passé hier également sous le seuil des 65 dollars. Le retrait des spéculateurs qui utilisaient le pétrole contre valeur refuge contre la dépréciation du dollar explique partiellement une situation. La disparition des acteurs bancaires de ce segment de marché – la banque Lehman Brothers y était très active avant sa liquidation – mais surtout les anticipations négatives de la plupart des opérateurs en sont les raisons principales. La récession étant le maitre-mot pour qualifier l’évolution de l’économie internationale dans les mois à venir, il est clair que personne ne s’attend à la poursuite de la forte croissance pétrolière observée ces dernières années. La crise monétaire qui affecte bon nombre d’économies émergentes ajoute une dimension supplémentaire à la perte de confiance dans l’avenir de la plupart des investisseurs. Ainsi, malgré les « analyses » lénifiantes et les considérations anxiolytiques, la crise frappe le monde entier, y compris ceux qui du fait de leur faible intégration dans le système financier international se pensaient à l’abri de ses turbulences. Le sous-développement assumé et le retard revendiqué ne constituent qu’une protection fantaisiste contre les aléas du marché mondialisé…
Les pays qui résistent le mieux à la crise sont précisément ceux qui tout en modernisant leurs structures ont maintenu les objectifs d’une stratégie de développement. Ces pays, à l’image de la Chine, ont renforcé les réglementations destinées à empêcher que des mouvements spéculatifs viennent déséquilibrer leurs systèmes monétaires et financiers. L’économie de marché est la seule forme d’organisation efficace, le seul modèle qui permet à la créativité des acteurs de s’exprimer. L’économie de l’Algérie qui a fait l’expérience du dirigisme autiste et liberticide a payé au prix fort la gestion bureaucratique de l’économie. La critique de cette expérience ne signifie à aucun égard, que par effet pendulaire on en vienne à dénier toute capacité à l’Etat d’encadrer le marché par le droit et des institutions. La déconfiture prévisible de l’idéologie ultralibérale a finit de convaincre les plus réticents de la nécessité de la régulation et de l’importance de l’administration économique.
Marché et Etat
Sans Droit ni encadrement, le marché est une arène brutale où les plus vulnérables sont condamnés à la misère par une minorité de nantis uniquement préoccupée par le profit. En Algérie, cette expérience, menée de manière plus ou moins cohérente sous l’égide du FMI, depuis l’abandon des réformes au début des années 1990, a montré toute son inefficience. Sans soutien public, le secteur privé n’a pas les moyens d’impulser une dynamique de développement, particulièrement dans un contexte de pseudo-prospérité rentière. Attendre de l’étranger qu’il vienne suppléer les insuffisances nationales s’est également avéré illusoire. A coté de représentants de commerce qui ont construit des entrepôts et recruté des manutentionnaires, les investisseurs étrangers qui ont été attirés par le marché national figurent essentiellement dans la catégorie des aventuriers et des affairistes uniquement motivés par des culbutes financières dans des secteurs ou les maigres capitaux investis se sont multipliés en transferts pharamineux de bénéfices. Même les banques étrangères qui se sont installées se sont acclimatées dans la distribution antiéconomique, mais très rentable, de crédits à la consommation… La crise pourrait avoir un effet positif en imposant le retour à la rationalité économique et au soutien de la production interne. Ainsi à tous égards, le rôle de l’Etat ne se peut se limiter à celui de régulateur. La promotion d’un secteur public puissant est une nécessité vitale dans une situation où le développement devrait être la préoccupation centrale de la gouvernance.
La récession mondiale s’annonce profonde, durable et ses développements encore largement imprévisibles. La crise sera-t-elle l’occasion d’une réévaluation des objectifs économiques et du mode de fonctionnement actuels ? Il serait en tout état de cause trompeur de considérer que les effets d’une récession mondiale ne seraient que transitoires.