La série Dama : cinématographie du pouvoir entre stigmates et hantise du Hirak
Par Boubaker T., Algeria-Watch, 11 juin 2023
En Algérie, l’EPTV, la télévision d’État, télévision qui n’a de publique que le nom, est depuis toujours un des centres principaux de propagande, de désinformation et d’endoctrinement au service exclusif du régime. Financée par l’argent des Algériens, cette chaîne de télévision reste malgré toutes les tentatives de modernisation d’apparence et de ravalement de façade, une des matrices de manipulation de l’opinion, le vecteur principal du discours du régime, la voix servile de son maître.
Une télévision au garde-à-vous
Cette voix unique n’a en effet qu’une seule vocation et une seule mission : décliner inlassablement propagande et intoxication sous toutes les formes possibles. Ainsi, dans ses développements récents, les téléspectateurs ont subi une série d’épisodes « dahdouhiens (1) » où des terroristes dûment repentis, détendus, dispos et frais comme des gardons ; se confessaient complaisamment face aux caméras de l’EPTV. A ces aveux peu convaincants d’acteurs peu crédibles et péniblement mis en scène, succédaient, sur une note plus menaçante, les « révélations » contraintes de Azzouz Benhelima portant encore les stigmates de la torture (2). Dans le même registre inquisitorial, comment oublier la prestation, entre sinistre et bouffonnerie, d’un journaliste au visage caché, qui présentait comme coupables des individus accusés d’avoir participé au lynchage du jeune Djamel Bensmail (3) alors même que l’affaire était censée être encore en phase d’instruction ?
En plus de sa fonction d’agent médiatique milicien, la télévision nationale maintient contre vents et marées une tradition de programmes articulés autour de feuilletons bâclés et de pseudo-débats bureaucratiques d’une insupportable indigence. Ces discussions de café du commerce, entre protagonistes sans crédit ni légitimité, sont la caution « démocratique » de l’EPTV. Les échanges convenus, compassés et sans substance, entre prétendus experts, élus sans électeurs, opposants de bandes dessinées, ministres notoirement corrompus et imams de télé-réalité ont fini depuis longtemps, comme autant d’insultes à l’intelligence, par écœurer le public algérien.
Le summum de l’absurdité propagandiste appartenant toutefois et sans conteste au Journal télévisé, le « JT » rituel, clou du spectacle pathétique, souvent surréaliste, du bourrage de crâne officiel. La palme de la manipulation cynique revient certainement à cette séquence récente d’« information », en pleine crise de pénurie et d’inflation, qui exhibait des officiels se pavanant dans des marchés très achalandés aux prix imbattables. La fabrication de l’information atteignant en l’occurrence un pic d’irréalité inédit, suscitant sarcasmes et moqueries d’une audience revenue de tout.
Dans la grille des programmes, les journaux télévisés et les « tables rondes » filmées alternent avec des séries de fiction médiocres, sans ambition artistique, aux scénarios d’une insigne pauvreté mais aux budgets tenus secrets, élaborés par des sociétés de production appartenant aux clientèles du système.
Dama, un objet singulier
Pourtant, en ce mois de Ramadan 2023, l’EPTV diffuse une série intitulée Dama dont l’audimat, y compris auprès des Algériens vivant à l’étranger, semble dépasser tous les records et toutes les prévisions. La série de vingt-cinq épisodes diffusés dès le premier jour de Ramadan raconte des aspects de la vie quotidienne dans le mythique quartier populaire algérois de Bab El Oued dans un style « réaliste » inédit. Il s’agit bien d’une production de l’EPTV, Yahia Mouzahem en assurant la réalisation sur un scénario de Sarah Bertima.
Dama serait-il un succès d’audience comme le furent en d’autres temps El Hariq (L’incendie) de Mustapha Badie et Carnaval Fi Dachra (Carnaval au village) de Mohamed Oukassi, ou serait-ce plutôt le pari gagné de réconcilier les Algériens avec la télévision publique ? Quelle est la signification de cet accueil populaire, si tant est que l’on puisse se mettre d’accord sur le sens d’un succès littéraire ou cinématographique dans un pays où toute parole libre est criminalisée ?
Dama est le nom arabe du jeu de dames, jeu de société combinatoire abstrait qui se joue entre deux joueurs, les pions du perdant devant impérativement être tous pris à la fin de la partie. En Algérie, le terme makela (du verbe manger ou dévorer) est employé pour désigner l’élimination d’un pion, une symbolique très forte qu’on retrouve dans la série où, en effet, on ne laisse aucune chance à l’adversaire qui doit être éliminé.
Dama, dont les acteurs s’expriment en dardja, la langue arabe populaire dans sa version algéroise, aborde à sa façon et dans un décor brutal de rues sales, d’immeubles délabrés et de misère, des drames familiaux autour de fléaux sociaux et de crimes comme la circulation des stupéfiants dans les établissements scolaires, les règlements de comptes nocturnes entre gangs, la contrebande d’or et de pièces du patrimoine national, le monde des dealers, la Harga (l’émigration illégale), le milieu carcéral. Et même le viol, une première dans la production nationale de fictions audiovisuelles.
Ces thèmes, peu abordés par ailleurs, et le choix d’un regard « réaliste » ne pouvaient que capter l’intérêt des Algériens. Dès le premier épisode, le spectateur est projeté dans un environnement familier, celui d’un très modeste appartement où les enfants qui dorment à même le sol doivent se lever tôt pour aller acheter ces fameux sachets de lait subventionné et qui une fois dehors, sur le chemin de l’école, côtoient des voisin dealers. Et se font recruter…
Ainsi, la série Dama semble ainsi se distinguer du lot commun ne serait-ce que par le scénario, le langage et les décors. L’écho rencontré et les polémiques suscitées par la série ont peu de précédents. Dama a fait couler beaucoup d’encre et alimenté, du moins en surface, plus d’une controverse dans un pays où tout débat digne de ce nom est, en réalité, prohibé. En effet, ce feuilleton a rapidement divisé le public, pour les uns c’est indignation et désapprobation et pour les autres ovations et éloges. Clivant au point de faire resurgir les vieux antagonismes, « conservateurs » contre « progressistes », avec pour chacun des camps en présence ses relais d’ici et d’ailleurs, et tout un pan de l’opinion via les réseaux sociaux. Dama a aussi bien fait réagir l’Association des oulémas (4), l’Organisation nationale des parents d’élèves, l’Autorité de régulation de l’audiovisuel (ARAV) (5), des médias algériens et… français, notamment Le Point (6), Jeune Afrique (7), TV5 Monde (8).
Dama « à 100 % avec l’État »
L’Association des oulémas a réagi via sa page Facebook, en postant en contrepoint à la représentation dans la série de dealers de Bab El Oued, une photographie des habitants du quartier en route vers la mosquée. Pour l’Association, Bab El Oued est avant tout un quartier qui abrite une population pieuse, respectueuse de sa tradition religieuse et d’une jeunesse éclairée qui connaît le droit chemin…
Bien évidemment, cette sortie oulémiste a immédiatement fait réagir les milieux bien-pensants qui croient encore croiser le fer avec les spectres du FIS, rejoignant dans la foulée les partisans habituels de la liberté de conscience, de la lutte contre le conformisme, l’intégrisme, les tabous et l’hypocrisie sociétale. En parallèle, d’autres figures non moins bien-pensantes, entre populisme et électoralisme, se sont insurgées contre une production accusée de vouloir ternir la réputation du quartier de Bab El Oued et par la même occasion porter atteinte à l’image de bonne moralité de la société algérienne en général et des enfants de ce quartier en particulier.
Surfant sur la même vague, l’Organisation nationale des parents d’élèves, ONPE (9), un satellite du ministère de l’Éducation, s’est sentie obligée de manifester son existence en sommant, au nom de la société civile, l’Autorité de régulation de l’audiovisuel, l’ARAV, d’intervenir contre un feuilleton télévisé « qui encourage la violence et représente une véritable menace pour nos enfants et pour les valeurs morales de toute la société ». Ainsi, cette même ONPE qui n’a jamais identifié la moindre menace pesant sur des enfants qui font des kilomètres sur les autoroutes ou en pleine campagne pour arriver à l’école de tous les échecs, de la dénutrition, de la violence et des cours parallèles payants, se sent soudainement interpellée par un feuilleton de l’EPTV.
L’ARAV (10) a quant à elle décidé de se manifester, dans une étonnante surenchère, en mettant en garde l’EPTV sur un registre inattendu, accusant carrément la série de promouvoir un mouvement terroriste ! Cette Autorité, à la vigilance problématique, indique avoir « enregistré, en visionnant un programme de la télévision publique, en l’occurrence le feuilleton El Dama, dans son premier épisode, à la 19e minute 45 secondes, une scène montrant un mur d’un marché à Bab El Oued sur lequel on peut lire l’acronyme d’un mouvement séparatiste classé comme terroriste ». On l’aura compris, il s’agit d’un tag sur un mur délabré du quartier algérois où on pouvait distinguer les trois lettres fatidiques MAK, pour Mouvement pour l’autonomie de la Kabylie, qui auraient échappé à la vigilance du réalisateur et de son équipe. En l’espèce l’ARAV au regard de lynx a montré sa connaissance des textes : le MAK a été classé, avec Rachad, comme « organisation terroriste » en mai 2021 par le Conseil national de sécurité.
Tous les concernés le comprennent : dans la hiérarchie des menaces bureaucratiques subliminales, l’observation de l’Autorité de régulation ressemble à une épée de Damoclès au-dessus de leurs têtes… La télévision publique interpelle immédiatement le producteur et évoque un « manque de concentration. Que ce soit lors du tournage, du montage ou encore lors de révision des épisodes ». Le réalisateur Yahia Mouzahem se rend immédiatement sur le lieu du tournage et enregistre une vidéo justificative qu’il publie très rapidement sur son compte Instagram officiel (11). On y voit le réalisateur, entouré d’un groupe d’habitants, démentir l’information ; ces derniers indiquent à tour de rôle que l’inscription sur le mur ne représente aucunement le groupe « terroriste ». Il s’agirait plutôt d’un ancien graffiti « aléatoire » de jeunes du quartier. Yahia Mouzahem conclut son intervention en rassurant les pouvoirs publics quant aux opinions politiques de l’équipe et du casting de Dama : « Nous sommes à 100 % avec l’État et le soutenons. » Le public n’en saura pas davantage sur le sens de ce phénomène « aléatoire ». L’incident est donc clos. Les protagonistes agréés, autorisés à s’exprimer publiquement, les uns et les autres convaincus de représenter exclusivement le peuple, peuvent poursuivre le show des éloges, des critiques et des diatribes.
Il reste que dans leur unanime pluralité, tous ces relais zélés du régime, nourris par le seul souci de démontrer leur utilité aux maîtres du pays en donnant libre cours à leur incompétence et leur inaptitude à comprendre les raisons profondes du succès d’audience de Dama auprès des Algériens, ont poussé sans le vouloir le réalisateur à annoncer sans équivoque la véritable couleur et les véritables objectifs du cinéma promu par ce qu’il appelle l’« État »…
Signe de reconnaissance ultime, dans ses dimensions néocoloniales bien entendu, Dama a été également remarqué, analysé et noté en France. Ainsi des chaînes de télévision publiques en ont fait état et un magazine africaniste lui a consacré un article élogieux… Le feuilleton bénéficie même de l’onction sans réserve du correspondant algérois de l’hebdomadaire néoconservateur Le Point qui salue (dans un article précité) le réalisme du scénario « dans un environnement audiovisuel cadenassé par la doxa du “bien parlé” et soucieux, sous le regard de la censure, de rester dans les clous de la bonne morale et les valeurs familiales, la religion, les “constantes nationales” ».
Décidément, Dama, qui semble n’avoir laissé personne indifférent, a le mérite d’avoir fait parler des commentateurs de tous bords, surtout celui de l’islamophobie. Dûment conditionnée, l’opinion française « sait » qui sont ceux qui empêchent Bab El Oued et toute la société de voir la vérité en face.
De la fiction Dama à la réalité du pouvoir
Fort de ses succès contre les militants pacifiques du Hirak traqués, torturés, qualifiés de traîtres et de terroristes, emprisonnés et condamnés à de lourdes peines, le régime confirme que son seul langage est celui du mépris et de la violence. Mais son omnipotence a des limites ; la répression ne peut pas contrôler l’impact des réseaux sociaux et des médias extérieurs à son influence sur la population, malgré toutes les censures, toutes les escouades de « mouches électroniques » et de délateurs.
Mais ce régime sait en revanche comment doser les festivités sportives, en même temps que les pénuries en tout genre, il sait créer de faux scoops et surtout alimenter de faux débats. Raison pour laquelle, les « décideurs » ont besoin plus que jamais pour conforter leur emprise de piloter étroitement la production cinématographique. Cela dans le contexte particulier d’un pays où il n’existe plus que de très rares salles de cinéma, ce qui renforce l’importance stratégique de l’EPTV.
La télévision publique, qui ne diffusait jusque-là que des films pseudo historiques outrageusement censurés malgré des scénarios sortis droit de leurs officines ou bien des productions sans âme dont l’action se déroule souvent dans des villas ou des appartements luxueux avec des dialogues ineptes dans une langue qu’aucun Algérien ne parle, doit à tout prix redorer son image et celle de la direction du pays. D’où la décision de tenter d’offrir, ne serait-ce que l’espace d’un mois de Ramadan, l’illusion d’une Algérie nouvelle et d’un cinéma libéré qui sait toucher les cœurs des Algériens d’ici et de la diaspora.
Bab El Oued en tant que décor
Il n’est pas nécessaire de s’attarder sur les performances de certains acteurs sans expérience, il est certainement plus utile d’évoquer le déploiement narratif de Dama et de ses arbitrages sociopolitiques. La série commence par la présentation de la famille d’un docker habitant Bab El Oued dans un très modeste appartement sans salle de bain. Les enfants fréquentent l’école du quartier où l’on tient à nous faire écouter l’hymne national symbolisant l’« unité nationale malgré tous les fléaux », selon la formulation soigneusement calibrée du réalisateur.
Il est frappant d’observer que Bab El Oued, espace chargé d’histoire de la guerre de la libération au Hirak en passant par la sale guerre, n’est exposé que sous l’angle de la misère et de la délinquance. La politique est une dimension inexistante. L’absence totale de cet élément critique dans un quartier d’Alger qui demeure l’un des cœurs palpitants des contestations populaires a pour effet d’affaiblir le scénario. L’évacuation d’un élément central de la vie du quartier, en complet décalage avec ce que tout un chacun peut observer au quotidien, altère manifestement le réalisme revendiqué de la série.
Le seul barbu qu’on voit dans le film est un docker père de famille qui meurt au premier ou deuxième épisode et qui est de stricte observance religieuse : pieux et seulement pieux. Il ne tolère pas la présence des dealers et leur interdit d’approcher ses deux garçons. On apprend vers la fin de la série que ce dévot docker a sauvé le principal personnage féminin d’un destin tragique (la chute dans enzenka, la rue), presque sans famille et violée par l’acteur principal dont elle était amoureuse. Le croyant, au-delà des préjugés, assume en toute discrétion son rôle social par excellence, celui de bon samaritain.
La série est éloquente aussi tant par ce qu’elle ne montre pas que par ce qui est montré. Ainsi, pas une seule scène n’est filmée dans une mosquée ou une salle de prières, aucun imam n’est visible. En revanche, l’on voit beaucoup la salle de sports de combats où le coach joue un rôle positif et non négligeable pour juguler la violence et éloigner les jeunes de la délinquance.
Ce que montre Dama et ce qui est occulté
Les lieux de divertissements nocturnes, de « débauche » dans la représentation commune, sont totalement absents de la série, aucune consommation d’alcool n’apparaît à l’écran. Les night-clubs des quartiers huppés fréquentés par les dealers et contrebandiers « arrivés » et les bouges interlopes des quartiers populaires ne font pas partie du décor. Or c’est dans ces espaces que se nouent des intrigues et que se dénouent bien souvent des drames qui jalonnent la vie des marges délinquantes de la capitale.
Il n’est pas question non plus d’exposer les relais puissants qui distribuent la drogue aux petits dealers. Pour le port non loin par lequel transite la contrebande, centre de trafics notoirement contrôlé par les polices, il est à peine fait allusion à des personnages puissants dont on ne cite pas la fonction.
Le scénario, pourtant qualifié de réaliste par le journaliste du Point, ne connaît ni les responsables ripoux, ni les geôles de Bab Jedid, ni la torture, ni le rôle glaçant des indicateurs, ni l’origine des stupéfiants, ni les enfants des quartiers chics fournis par des dealers protégés. Plus encore, alors même que le tribunal de Sidi M’hamed continue de terroriser les Algériens, ce haut lieu de la « justice du téléphone » et du DRS (12) est présenté dans une série tournée à l’ère de l’Instagram et des « lives » sur Youtube, comme une institution exemplaire où seuls les méchants sont condamnés. Les prisons quant à elles ressemblent presque à des auberges de jeunesse, chaque prisonnier disposant dans cette représentation totalement irréaliste d’un lit et d’une couverture flambant neuve…
La galerie des héros positifs est incarnée par l’unique personnage du quartier qui a réussi à sortir de son milieu en devenant officier de police. Il exerce dans le commissariat du coin en personnifiant à lui seul les valeurs de la République.
Au cours de l’une de ces émissions télévisées auto-promotionnelles (13), le réalisateur de Dama a exprimé sa fierté d’avoir participé à réconcilier les Algériens avec la télévision d’État. Selon le cinéaste, les habitants de Bab El Oued avaient tellement apprécié le feuilleton auquel ils ont participé de leur plein gré, que le nom de la série est aujourd’hui peint sur certains murs du quartier.
Un réalisme de surface pour un changement cosmétique
Les acteurs principaux ainsi que la scénariste qui participaient à l’émission ont promis de demeurer fidèles à l’esprit de la série, car ce serait leur façon de contribuer à l’édification d’« El Jazaïr El Jadida » (« La nouvelle Algérie »), formule magique martelée par le président Tebboune pour se distancer du règne de son prédécesseur et donner l’illusion du changement. Tous savent pourtant qu’il n’y a rien de nouveau dans une continuité régressive : les changements de personnels s’effectuent sans aucune modification dans les usages du système. Pour enfoncer le clou de l’adhésion au discours politique du moment, l’équipe du film a dénoncé lors de la même émission la « main étrangère », reprenant à son compte l’un des leitmotivs de la communication officielle pour justifier la répression et le bâillonnement de la presse. La messe est dite.
Il ressort en définitive que la série pointe certes des fléaux dont pâti la société algérienne mais sans se risquer à la moindre analyse de leurs origines, se contentant de déplorer des effets sans même esquisser l’identification de causes pourtant notoires. Le narratif ainsi vidé de contenu critique est bien conforme à la superficialité de cette « Algérie nouvelle », mantra sans contours précis, répété à l’envie par un chef d’État imposé par l’état-major de l’armée.
Il reste cependant que Dama est une série originale par sa thématique, son espace cinématographique et son choix de la langue populaire. Ces seules dimensions, ainsi que sa qualité technique, en font un objet remarquable dans la morne production télévisuelle d’une Algérie sous l’emprise d’un système policier brutal, corrompu et d’une incroyable pauvreté morale et intellectuelle. Mais, a n’en pas douter, quelles que soient ses qualités Dama n’est qu’une série de divertissement et certainement pas une représentation pertinente des conditions socio-culturelles de Bab El Oued. Le réalisme revendiqué est celui d’un quotidien d’apparences dont les soubassements sociopolitiques sont rigoureusement ignorés. Le Bab El Oued du peuple, dans ses couleurs réelles, sa diversité et ses profondeurs, reste à filmer.
L’Algérie foisonne de talents et de compétences cinématographiques, de capacités artistiques en jachère, de tant de jeunes réalisateurs et réalisatrices qui ne demandent qu’à s’exprimer hors du carcan imposé par un régime inculte et liberticide. Dama, en dépit de ses limites et ses insuffisances, par sa seule originalité, est un indicateur de ce potentiel. Le succès rencontré par cette série montre également l’attente du public pour une production alternative de qualité. Un cinéma de grand et petit écran qui devra sortir du conformisme bureaucratique, des sentiers stériles de l’allégeance, afin d’aller vers la représentation authentique d’une société qui souffre, qui étouffe mais qui bouge.
Notes
1. Du nom de Ali Dahdouh, terroriste repenti (ou présenté comme tel) dont la confession télévisée avait suscité la perplexité – souvent hilare — de l’opinion. Cf. https://www.youtube.com/watch?v=PrqFnvgaEY0
2. https://www.youtube.com/watch?v=6Hb3eTtnOI0
https://algeria-watch.org/?p=84113
3. https://www.youtube.com/watch?v=8OWQEb0AoWU&t=241s
4. https://lapatrienews.dz/el-dama-lassociation-des-oulemas-musulmans-algeriens-reagit/
8. https://information.tv5monde.com/afrique/algerie-le-succes-de-la-serie-el-dama-2308961
9. https://www.facebook.com/photo.php?fbid=598344645672769&set=a.458634196310482&type=3
10. Sur l’ARAV, on lira avec profit cette intervention du professeur Redouane Boudjema : https://algeria-watch.org/?p=78283
11. https://www.algerie360.com/scene-polemique-du-feuilleton-eddama-le-realisateur-repond-a-larav-video/
12. Département du renseignement et de la sécurité, police politique relevant du haut commandement militaire.