Les habitants de plusieurs villes du royaume ont manifesté contre la misère et la hogra : Le Maroc au bord de l’explosion sociale

Mokrane Aït Ouarabi, El Watan, 10 avril 2023

La colère sociale va grandissante au Maroc. Des milliers de personnes ont manifesté durant la soirée du samedi 8 avril dans les rues de plusieurs villes du pays contre la cherté de la vie, ont rapporté nombre de médias étrangers.

Les manifestants ont répondu à l’appel d’une coalition de partis de gauche et de syndicats pour dénoncer vigoureusement la sourde oreille du gouvernement face à la persistance de la flambée des prix des denrées alimentaires, ce qui a plongé des pans entiers de la société dans la misère. A Rabat comme à Tanger en passant par Casablanca et Marrakech, les manifestants ont réclamé la liberté, la dignité et la justice sociale. «Unis contre la cherté de la vie et contre l’appauvrissement du peuple», «Bled sahiliya ou sardine ghali alina (pays côtier et la sardine trop chère)», «La hausse des prix est une honte» ou encore «Notre pays est agricole mais les légumes y sont chers» sont quelques slogans affichés par des manifestants rassemblés devant le siège du Parlement à Rabat.

«C’est un sit-in de protestation contre la cherté de la vie, contre les politiques qui bafouent les droits socioéconomiques des Marocains et qui violent aussi leurs droits politiques, puisqu’il y a des militants politiques en prison», a déclaré la militante de la défense des droits humains, Khadija Ryadi, à la chaîne de télévision France 24, présente au rassemblement qui a eu lieu dans la capitale marocaine.

Selon un journaliste de l’AFP, à Casablanca, c’est la place Sraghna, dans un quartier populaire de la ville, qui a été prise d’assaut par des manifestants en furie, scandant des slogans hostiles au gouvernement dirigé d’une main de fer par l’homme d’affaires Aziz Akhannouch. Un autre manifestant, qui fait partie de la coalition du Front social, a battu en brèche les politiques jugées antisociales du gouvernement marocain qui a pris à contre-pied les syndicats et les partis plaidant pour une équité sociale. «Nous dénonçons la politique du gouvernement qui avait promis d’être un gouvernement de l’Etat social mais qui s’avère être celui des disparités sociales», a déclaré à l’AFP Abdelkader Amri, membre du bureau exécutif de la Confédération démocratique du travail (CDT, gauche).

Interrogé par l’AFP, Fouad, un jeune manifestant de 21 ans, a affirmé qu’il n’en pouvait plus. «La vie est devenue pénible à cause de la hausse des prix», a-t-il confié, considérant qu’il n’avait plus d’avenir dans son propre pays. Comme lui, d’autres jeunes Marocains souffrent du chômage et de la pauvreté à un point où certains d’entre eux risquent leur vie dans de périlleuses traversées clandestines de la Méditerranée pour rejoindre l’Europe, lorsqu’ils ne s’adonnent pas au trafic de drogue.

Les manifestants s’en sont pris à l’establishment marocain qui, selon eux, a généralisé la corruption et accentué l’oppression sociale qui s’abat sur le peuple. «Non à la rente, non aux privilèges, non au makhzen», peut-on lire sur une pancarte brandie par un protestataire à Rabat. Les Marocains ont ainsi exprimé leur ras-le-bol face aux inégalités sociales qui ne cessent de s’aggraver d’année en année.

Plus de deux millions de Marocains vivent dans l’extrême pauvreté. Cela alors que la richesse de la famille royale et de ceux qui gravitent autour d’elle ne cesse d’augmenter. Selon Forbes, la fortune du roi Mohammed VI est estimée à plus de 6 milliards de dollars. De quoi nourrir tout un pays.

Les images diffusées par des chaînes étrangères présentes sur les lieux des manifestations renseignent sur les tensions sociales qui secouent ce pays de près de 38 millions d’habitants. Une crise sociale qui s’aggrave au fil des mois, accélérant ainsi le processus d’appauvrissement d’une population qui vient à peine de sortir d’une longue crise sanitaire qui a mis à mal plusieurs secteurs d’activités, tels que le tourisme.

Le conflit en Ukraine a donné un coup d’accélérateur à la poussée inflationniste qui a déjà fortement écorché le pouvoir d’achat des Marocains. En effet, le taux d’inflation a atteint 9,4% au premier trimestre de 2023, contre 4% à la même période l’an dernier, selon le Haut-Commissariat au plan (HCP). Cette inflation est accentuée par la montée en flèche des prix des produits alimentaires (+18,2%) en plein mois sacré du Ramadhan, lors duquel le niveau de consommation augmente habituellement, a relevé l’AFP.

Dans un communiqué repris par l’APS, «le Front social» a également appelé à «la libération de tous les détenus politiques et à la levée de la marginalisation et de la discrimination à l’endroit des habitants des zones rurales, et ce, à travers le renforcement des capacités hydriques dans ces régions, la subvention des prix des engrais, l’ajournement des délais de remboursement des prêts bancaires des agriculteurs, ainsi que le renforcement des programmes de logements dans ces régions».

Il faut souligner que des appels ont été déjà lancés par plusieurs organisations et syndicats pour de nouvelles actions de rue tout au long de ce mois d’avril, pour dénoncer l’inertie et l’arrogance des dirigeants marocains.

Le Maroc est devenu une véritable bombe sociale qui peut exploser à n’importe quel moment.


3,2 millions de pauvres en plus en 2022 : Les Marocains s’enlisent dans la crise

M. Abdelkrim

Entre 2014 et 2022, 3,2 millions de Marocains ont basculé dans la pauvreté, selon une note du Haut-Commissariat au plan marocain (HCP) publiée en octobre 2022.

Une note qui fait état d’une augmentation alarmante de la pauvreté au Maroc avec, en prime, un retour à la case départ – celle du niveau de pauvreté de 2014 –, ont révélé cette semaine des médias marocains, sur fond de manifestations contre la cherté de la vie à travers tout le royaume. «Sept années de lutte contre la pauvreté s’évaporent littéralement», déplore Rachid Achachi dans une chronique publiée la semaine passée dans le média Le 360, proche du palais royal. «Mauvaise nouvelle : la pauvreté risque de toucher de plus en plus de Marocains, notamment dans le monde rural», annonçait, pour sa part, le quotidien Libération, proche du parti de gauche USFP. La note du HCP révèle que 45% de la détérioration de la situation sociale au Maroc est due à la Covid-19 tandis que la flambée des prix des biens a contribué à hauteur de 55% à la pauvreté et à la vulnérabilité des Marocains.

La crise sanitaire et l’inflation ont contribué à une baisse du niveau de vie de 7,2% sur le plan national entre 2019 et 2022, explique le HCP. Les ménages déjà défavorisés ont vu le niveau de vie baisser de 8% par personne, entre 2019 et 2022.

Corrélativement, les dépenses alimentaires ont baissé de 11% par personne au niveau national en 2022, 12,9% en milieu rural et 10,1% en milieu urbain. Dans son dernier rapport, intitulé «Le Maroc face aux chocs d’offres», la Banque mondiale (BM) constate une forte inflation en ce début de l’année 2023. «Après un fort rebond post-Covid-19 l’an dernier, l’économie marocaine a subi la pression croissante de chocs d’offres se chevauchant : une grave sécheresse couplée à la flambée des prix des matières premières qui ont nourri l’inflation», lit-on dans le rapport. La BM estime, selon le même rapport, que «les risques de détérioration persistent en raison des tensions géopolitiques, notamment le conflit en Ukraine, la décélération des principaux partenaires commerciaux de la zone euro et les nouveaux chocs climatiques potentiels».

Elle révèle, en outre, une croissance réelle du PIB en forte chute, passant de 7,9% en 2021 à 1,2% en 2022, tandis que le déficit de la balance courante a augmenté de 2,3% à 4,1% du PIB. Dans un autre rapport publié le 11 janvier dernier, la BM prévoit une baisse de la croissance pour le Maroc en 2023 de 4,3% à 3,5%. Une baisse due en partie à la détérioration du secteur agricole du fait de la sécheresse qui a fortement sévi en 2022.

Le rapport Davos 2023 du Forum économique mondial, publié le 14 janvier dernier, dresse le même constat que celui établi par l’instance monétaire mondiale. Il souligne que «le Maroc est sérieusement menacé par la crise du coût de la vie, ainsi que l’inflation, la hausse sévère des produits de base, les risques d’approvisionnement et la dette».

L’inflation, qui est la cause essentielle des récentes manifestations de rue, a atteint un pic : 9,4% au premier trimestre de 2023 contre 4% à la même période l’an dernier. A fin 2022, l’inflation se maintenait en hausse à 8,3%, «son plus haut niveau depuis trente ans dans ce pays», selon des experts cités par l’APS. Cette inflation est accentuée par la montée en flèche des prix des produits alimentaires (+18,2%) en plein mois sacré du Ramadhan. Parallèlement, la Banque centrale du Maroc (BAM) a relevé en mars son taux directeur de 50 points de base, à 3%, afin d’enrayer la hausse des prix qui affecte les ménages modestes et vulnérables.

C’est la troisième fois que la BAM augmente son taux directeur depuis septembre 2022. Dans ce contexte, le Maroc a, encore une fois, eu recours à l’endettement extérieur. Il s’est vu attribuer, lundi dernier, une nouvelle ligne de crédit du Fonds monétaire international (FMI).

Le Conseil d’administration du FMI a, en effet, approuvé un accord de deux ans en faveur du Maroc avec un montant fixé à environ 5 milliards de dollars. La dette extérieure du Maroc avait atteint un niveau inquiétant avec plus de 65,41 milliards de dollars à fin 2021, faisant de lui le 5e pays africain le plus endetté du continent, selon la BM.


Musellement, répression et prison pour toutes les voix discordantes !

Madjid Makedhi

La situation des droits de l’homme au Maroc ne cesse de se dégrader. A l’image de tous les régimes dictatoriaux, celui du royaume chérifien n’admet aucune présence d’une voix discordante dans le pays.

Le décor ne change pas. Et le tableau de la situation des droits de l’homme ne cesse de s’assombrir : détenus politiques, chasse aux activistes et aux journalistes qui osent exercer librement leur profession et emprisonnement des opposants ainsi que des porteurs d’idées considérées par le pouvoir en place comme étant «subversives».

En effet, les organisations internationales, dont l’ONG Amnesty International, ainsi que des défenseurs des droits de l’homme et des voix politiques et syndicales au Maroc ne cessent de lancer des appels à la libération des détenus du hirak du Rif et de tous les détenus d’opinion du royaume.

Parmi ces détenus, il y a Nasser Zefzafi et ses compagnons, condamnés arbitrairement à 20 ans de prison ferme pour avoir été des leaders du mouvement du Rif, qui a dénoncé le traitement réservé à la population dans la région d’Al Hoceïma. Maintenus en détention depuis près de 10 ans déjà, Zefzafi et ses camarades ont subi des actes de torture avant leur condamnation, et continuent à être maltraités en prison.

Sensibilisée par les proches de ces détenus, Amnesty International, en collaboration avec des organisations de défense des droits humains, a mené une campagne internationale pour demander aux autorités marocaines de les libérer.

La campagne avait reçu des milliers de courriels adressés au gouvernement marocain pour lui rappeler que l’arrestation et la condamnation de Zefzafi étaient inacceptables, tout en appelant à sa libération immédiate. Dans sa «lettre de pétition» adressée au Chef du gouvernement marocain et diffusée le 13 décembre dernier sur son site, Amnesty International a demandé de «libérer immédiatement et sans condition Nasser Zefzafi (…), et d’annuler sa déclaration de culpabilité injuste».

Les arrestations et les condamnations dans le cadre de simulacres de procès ont concerné également des journalistes, dont le seul tort est d’avoir tenté d’exercer librement leur profession dans un environnement médiatique totalement inféodé au pouvoir.

Parmi les cas les plus connus, il y a Omar Radi et Soulaimane Raissouni, deux journalistes indépendants condamnés en appel en 2022 respectivement à six et cinq ans de prison pour des allégations d’«agressions sexuelles». Un autre journaliste, en l’occurrence Taoufik Bouachrine, éditorialiste arabophone influent, incarcéré depuis 2018, a écopé de 15 ans de prison pour une accusation de «viol» et «traite d’être humain». Les trois journalistes ont nié ces accusations, affirmant être visés pour leurs opinions critiques vis-à-vis du pouvoir.

Selon l’ONG Human Rights Watch, les «autorités emploient tout un manuel de techniques sournoises pour réprimer les opposants, tout en s’efforçant de conserver intacte l’image du Maroc en tant que pays respectueux des droits». «Ces techniques forment un écosystème de répression visant non seulement à museler les voix critiques, mais aussi à effrayer tous les détracteurs potentiels de l’Etat marocain», avait dénoncé Human Rights Watch.