Les informaticiens, l’autre exode méconnu des cerveaux algériens
Ryad Hamadi, TSA, 03 Avril 2023
Travailler en Europe ou au Canada après avoir étudié en Algérie, c’est le choix que font chaque année des milliers de diplômés universitaires algériens dont les médecins et les informaticiens.
Ils partent à la recherche de meilleures conditions de travail, d’une rémunération à la hauteur de leurs compétences, d’un cadre de vie agréable ou de perspectives d’évolution.
On parle beaucoup des milliers de médecins algériens qui quittent le pays et font fonctionner les hôpitaux français, mais on évoque peu les informaticiens qui sont également nombreux à s’installer aux quatre coins de la planète, au Golfe, aux États-Unis, en France, au Canada, en Allemagne ou ailleurs.
Farid, la trentaine, est ingénieur en informatique diplômé du prestigieux Institut national d’informatique de Oued Smar (Alger). Après avoir travaillé pendant quelques années dans une société privée à Alger, il a saisi la première opportunité qui s’est présentée à lui pour prendre le chemin de l’exil.
Son départ n’est pas motivé par des considérations économiques. Il avait un salaire convenable et sa faible charge de travail lui permettait de monnayer ses services en devises auprès de sociétés étrangères.
Ses talents de développeur ont tapé dans l’œil des dirigeants de l’une d’entre elles, une grande entreprise basée au Canada. Les conditions qu’ils lui offrent ne le font pas réfléchir.
Les formalités faites, l’ingénieur laisse tout tomber en Algérie et prend l’avion avec sa famille pour Ottawa. Il y trouve tout à sa disposition, maison, salaire mirobolant, cadre de vie agréable.
Mais il assure que tout cela n’a pas été déterminant dans son choix de quitter l’Algérie. S’il est au Canada, c’est d’abord pour travailler dans d’autres conditions et de nouvelles perspectives, avec la garantie d’évoluer.
« Dès qu’un informaticien acquiert une petite expérience et commence a émerger, il s’en va a l’étranger« , témoigne un chef d’entreprise à Alger, contraint de fonctionner avec des informaticiens juniors.
Environ 250 000 nouveaux bacheliers entrent chaque année dans les universités et grandes écoles algériennes et en sortent diplômés quatre ou cinq ans après.
L’Algérie forme beaucoup de cadres, toutes spécialités confondues. Mais il y a un grand décalage entre l’université et le marché du travail. Une partie des diplômés se retrouve au chômage et ceux qui se font recruter doivent dans la plupart des cas se contenter d’une faible rémunération, en tout cas par rapport à ce qu’ils peuvent gagner dans le Golfe, en Europe ou en Amérique du Nord.
Cela est le cas par exemple des médecins spécialistes et généralistes du secteur public, dont beaucoup ont fini par partir. En 2022 seulement, 1200 médecins algériens ont été admis pour travailler dans les hôpitaux français. Les estimations situent le nombre de médecins algériens en activité en France à 15 000.
Selon l’économiste et ancien gouverneur de la Banque d’Algérie, Abderrahmane Hadj Nacer, il faut 1 million d’euros pour former un médecin, et une fois en activité, il rapporte à la société 500.000 euros par an. C’est une véritable saignée pour l’Algérie.
Un informaticien devrait rapporter autant sinon plus dans les sociétés en phase de digitalisation totale. Et comme pour les médecins, l’Algérie forme beaucoup d’informaticiens et ne peut pas rivaliser avec les pays occidentaux ou du Golfe pour les garder tous.
Exode des informaticiens algériens : l’autre saignée
En 2009, l’Algérie formait 5000 informaticiens par an et avait mis en place un programme pour arriver à tripler ce nombre pour atteindre en cinq ans 15 000 diplômés en informatique chaque année.
Néanmoins, le gros des diplômés finit à l’étranger. Un chiffre fourni par l’expert en cyber-sécurité, Abdelaziz Derdouri, donne le tournis : 80 % des ingénieurs en informatique algériens finissent par quitter le pays trois ans seulement après leur sortie de l’université.
Tous ne partent pas pour les mêmes raisons que Farid. Certains entament les démarches dès qu’ils obtiennent leur diplôme, n’étant pas sûr de se faire recruter en Algérie où de gagner décemment leur vie s’ils arrivent à décrocher un emploi.
D’autres démissionnent au bout de quelques années de travail, dans le public ou le privé, dès qu’ils ont la possibilité de s’exiler. C’est le cas d’Akli, qui a quitté son poste d’informaticien dans une mairie de Kabylie lorsque sa procédure d’immigration au Québec a abouti.
Dans cette province canadienne, où il s’est installé depuis une dizaine d’années, il est aujourd’hui à la tête de sa propre boîte de développement d’applications.
Selon les données de l’organisme Africa Developer Ecosystem, l’Algérie comptait 29.000 développeurs en 2021. Si le chiffre peut paraître important, il devient moins consistant quand on le compare avec ceux des autres pays africains.
Le Maroc en comptait 50 000, l’Égypte et le Nigeria 89 000, l’Afrique du Sud 121 000 et le Kenya 40 000. Ces données sont à relativiser. D’abord, si l’Algérie arrive derrière tous ces pays, ce n’est pas par ce qu’elle a formé moins, mais parce qu’elle n’a pas pu garder tous ses diplômés en informatique.
Ensuite, si d’autres pays du Sud gardent mieux leurs informaticiens, ce n’est pas parce que leurs économies les absorbent nécessairement. Beaucoup restent en effet en Afrique ou en Asie, notamment en Inde, et travaillent à distance avec des entreprises occidentales qui trouvent leur compte en délocalisant certaines tâches informatiques, comme le développement ou la programmation.
Les conditions de travail et l’environnement des affaires y sont souvent favorables, ce qui n’est pas le cas en Algérie où créer une entreprise, exporter des services, importer des produits et des services ne sont pas faciles.
En plus, la taille de l’économie algérienne et sa très faible digitalisation ne permettent pas d’absorber tous les contingents d’informaticiens qui sont formés chaque année, encore moins de leur assurer les mêmes conditions que peuvent leur offrir les pays occidentaux qui eux recrutent les informaticiens à tour de bras pour les besoins de numérisation de leurs administrations et de leurs économies.
Mais un début de solution à cette saignée peut être trouvé en codifiant et en levant les entraves devant la délocalisation. Ce serait faire d’une pierre deux coups : garder les informaticiens qui contribueront un jour au développement et à la digitalisation de l’économie et assurer une source de rentrées de devises pour le pays.