Agriculture dans le sud de l’Algérie : entre succès et déconvenues

Djamel Belaid, TSA, 25 Mars 2023

L’Algérie compte énormément sur l’agriculture saharienne pour réduire les importations de biens alimentaires, notamment des céréales.

Que ce soit à Ménéa ou Adrar, la production de blé et de fourrage de maïs est palpable. Mais en milieu aride cette production s’avère jonchée d’écueils.

À Ghardaïa, des balles de maïs fourrager dans leur plastique blanc sont disposées en bordure de route. Depuis plusieurs semaines, des investisseurs les ont placées à la vue d’éventuels acheteurs. La saison des semis de maïs approche mais la récolte de l’année dernière n’a pas encore trouvé preneur.

Pour les agriculteurs attirés par le sud algérien, la mise en valeur des terres s’avère être une course d’obstacles. Les succès sont largement médiatisés mais bien moins que les échecs et rares sont les témoignages.

Un cas emblématique est celui du Complexe agroalimentaire du Sud (CAAS). Ce complexe initié par des promoteurs privés venus du nord du pays, prévoyait la mise en valeur de 30 000 hectares de terres pour cultiver des céréales et des tomates de conserve. Mais à la suite d’erreurs de gestion et de l’accumulation de dettes, le CAAS a fait faillite en 2007.

Agriculture dans le sud de l’Algérie : de nombreuses contraintes

Au sud, l’eau des nappes souterraines est abondante. Mais elle est extraite à l’aide de pompes fonctionnant à l’énergie électrique. Durant la saison de culture, les rampes-pivots fonctionnent sans arrêt jour et nuit.

Comme le note Tayeb Otmane, co-auteur d’une étude sur le Touat (Adrar) : « Les équipements d’irrigation importés de l’étranger impliquent une dépendance structurelle à une technicité extérieure qui peut se traduire, en cas de panne, par une mise en péril de la récolte ».

Les factures d’électricité représentent une lourde charge pour les agriculteurs qui est d’autant plus élevée lorsque la concession n’est pas encore rattachée au réseau électrique. Il s’agit alors d’alimenter en carburant des groupes électrogènes indispensables pour actionner les roues des pivots.

Les longues distances qui séparent les zones de mise en valeur dans le sud algérien et des villes du nord renchérissent les coûts. Par exemple, le pôle céréalier d’Adrar se trouve à 1500 km d’Alger ou Oran.

Un récent témoignage recueilli par Ennahar TV permet d’alerter les investisseurs à propos des écueils à éviter. Il s’agit de celui de Zakaria Alam, un ingénieur agronome de Ménéa disposant d’une solide expérience de terrain.

Une dalle rocheuse recouverte de terre

L’une des premières difficultés pour l’investisseur novice concerne le choix de la concession agricole. Si les sols du nord du pays sont cultivés depuis des années et leur qualité connue, ce n’est pas le cas au sud algérien.

Le choix de l’emplacement à mettre en valeur s’avère crucial. La nature des sols sahariens est hétérogène : sol sableux, étendues de cailloux ou sol où des argiles et limons se mêlent au sable. Ce dernier cas est à priori propice à la mise en valeur ; cependant il peut réserver des surprises.

C’est le cas d’un investisseur dont le blé pourtant régulièrement arrosé par la rampe-pivot restait chétif. Il s’est finalement rendu compte de la présence d’une dalle rocheuse sous les 20 premiers centimètres de sol.

À elle seule, la couche superficielle du sol ne garantit donc pas la fertilité de la concession. D’où le conseil avisé de Alam Zakaria : « Assurez-vous qu’il n’y a pas de dalle rocheuse sur la concession agricole convoitée. Mais, ce n’est pas le seul critère. Une analyse du sol est nécessaire, car il peut être plus ou moins salé ». Il conclut : « Le choix de terrain s’avère très important ».

Des disponibilités variables en eau dans le sud

Sous le climat aride du sud de l’Algérie, la clé du succès reste la disponibilité en eau. Là encore, l’investisseur novice n’est pas au bout de ses peines.

« On dit qu’au Sahara, il y a de l’eau. Mais à chaque région correspond une quantité d’eau variable », explique l’ingénieur. Il ajoute : « Il faut considérer le débit de la nappe et sa profondeur. Il y a des investisseurs qui se sont installés dans des endroits et quand ils ont foré, ils ont constaté que l’eau se trouvait à une profondeur de 100 mètres. Une telle profondeur exige une plus grande dépense d’énergie pour pomper l’eau »

À Ménéa, Mohamed Hedjadj est l’un des pionniers de la mise en valeur dans le sud de l’Algérie. Installé sur 2.000 hectares, cet investisseur aime expliquer à ses interlocuteurs qu’en 1989, à ses débuts, l’eau affleurait à quelques mètres sous le sol. Aujourd’hui, elle se situe à 30 mètre de profondeur.

Au sud, le blé est une industrie

D’un ton posé, Alam Zakaria poursuit ses mises en garde : « Il y a donc des éléments de base à prendre en considération avant même de parler technique ».

Il en vient à la mise en culture proprement dite de la concession : « Il y a aussi le choix du matériel. Le sud, c’est une industrie. L’industrie du blé ». Suit alors l’énumération des investissements nécessaires : « Cela commence par le matériel pour le forage, les pivots d’irrigation, le matériel de semis, celui destiné aux apports d’engrais puis les engins de récolte ». Il avertit : « Tous ces éléments doivent être réunis pour produire sous peine d’échec ».

Comme le note le géographe français Daniel Dubost : « Les sols [sahariens], pratiquement inexistants, impliquent un apport indispensable en fertilisants pour développer des cultures et augmenter le rendement à l’hectare ».

Mais ces sols à dominante sableuse ne retiennent pas les engrais, il faut alors majorer les doses. Venant de plus de 1000 km, chaque cargaison d’engrais est très recherchée.

Comme le fait remarquer Alam Zakaria, certains investisseurs peu scrupuleux n’hésitent pas à revendre au prix fort une partie de leur dotation d’engrais. Ils trouvent facilement preneur auprès des investisseurs sur fond propres encore non régularisés auprès de l’administration.

Mévente du maïs fourrage

Produire n’est pas tout, il s’agit également d’écouler la production. Chose pas facile quand une partie des utilisateurs se situent à plusieurs centaines, voire des milliers de kilomètres.

C’est à quoi sont actuellement confrontés les producteurs de maïs fourrage de la région de Ghardaïa. Récemment rassemblés devant un immense entrepôt en plein air de balles rondes de maïs fourrage, des agriculteurs ont confié à la chaîne Iktissadia-Première leurs déboires.

La récolte de l’année précédente n’est pas écoulée alors que la nouvelle saison de semis du maïs approche. Parmi eux Moussa Ould Haddar, président des producteurs de blé de Ghardaïa, ne cache pas son mécontentement : « Dans la région, après la récolte du blé, on sème du maïs. On a mis tout notre capital dans cette production de fourrage et on est endetté. On ne peut plus travailler ».

La double culture sous pivot, est une pratique que le président de la République a recommandée lors des dernières assises de l’agriculture.

Ismaïl Bouamar, un autre investisseur ajoute : « Notre endettement ne nous permet pas de poursuive notre activité. Nous en appelons aux plus hautes autorités pour qu’elles interviennent ».

Mohamed Benhamouda explique : « Il y a un retard dans le versement des primes aux éleveurs laitiers. Aussi, ils ne peuvent pas acheter notre fourrage. Et les petits intermédiaires qui transportaient nos produits n’ont plus le droit de les commercialiser ».

Moussa Ould Haddar revient à la charge : « On a demandé à vendre nos produits à l’étranger. Il y a des acheteurs étrangers qui nous ont contactés, mais les autorités nous ont répondu que la production ne devait pas franchir les frontières ».

À bout de nerf, il poursuit : « D’accord, mais alors que l’État nous achète notre produit pour ne pas qu’il s’abîme et afin que nous puissions entamer un autre cycle de culture ».

Désignant des centaines de balles enrubannées d’une tonne chacune, El Hacine résume l’ampleur du problème : « Toutes ces balles représentent d’énormes dépenses. Si elles restent stockées, cela va être une pure perte ».

En bordure de route, le plastique des balles rondes de fourrage s’effiloche. Un retard de versement d’une subvention, un simple grain de sable qui grippe tout l’édifice.