Statistiques : l’autre talon d’Achille de l’économie algérienne

Ryad Hamadi , TSA, 01 Mars 2023

L’une des tares que traîne encore l’économie algérienne a trait à l’information économique, indisponible, incomplète ou parfois inexacte.

Une insuffisance qui n’aide pas à prendre les bonnes décisions. Seule la numérisation et la clarification des procédures pourrait permettre d’avoir des statistiques fiables et en temps réel sur l’économie algérienne.

Lors de sa rencontre avec des représentants de la presse nationale vendredi 24 février, le président Abdelmadjid Tebboune s’est emporté contre le retard mis dans la mise en œuvre de la numérisation de tous les secteurs, rappelant que cela fait trois ans qu’il insiste en vain sur cet aspect.

Quelques jours plus tard, à l’occasion de l’ouverture des assises nationales de l’agriculture, mardi 28 février, le président Tebboune est revenu à la charge, citant cette fois des exemples concrets de statistiques erronées concernant les performances de l’agriculture algérienne.

Pendant longtemps, il a été admis que les céréaliculteurs algériens emblavent chaque année 3 millions d’hectares, or, les révisions faites par le président Tebboune mardi 28 février ont divisé le chiffre presque par deux, révélant que, bon an mal an, les surfaces emblavées n’ont jamais dépassé 1,8 million d’hectares.

L’utilisation de nouvelles techniques de recensement, avec notamment le recours aux drones, a démontré que le cheptel ovin de l’Algérie était surévalué de 10 millions de têtes (19 millions au lieu des 29 millions annoncés par le passé).

Pour le lait, les seules statistiques qui existent en Algérie concernent uniquement le lait subventionné, a encore déploré le président Tebboune.

Si telle est la situation dans l’agriculture, les choses ne devraient pas être trop différentes dans les autres secteurs. Et on parle là d’une activité formelle suivie par les différents services de l’État et exercée par des professionnels bénéficiant de l’accompagnement des banques et autres organismes.

Economie algérienne : la numérisation pour mettre fin à l’opacité

En plus de voir une partie importante de son économie, celle de l’informel, lui échapper totalement, l’État algérien ne sait pas encore avec exactitude ce qui se passe dans la sphère économique légale.

Et c’est un véritable problème. Car dans la gestion, une statistique inexacte s’apparente à un faux diagnostic qui débouche inévitablement sur la préconisation de faux remèdes.

C’est peut-être ce qui explique que certains problèmes posés ne trouvent pas solution depuis des dizaines d’années. Ou encore, que l’investissement étranger ne se bouscule pas au portillon de l’Algérie malgré ses innombrables avantages comparatifs. Car la visibilité fait partie des critères qui font la réputation du climat des affaires d’un pays.

Dans son rapport d’évaluation de novembre 2022, le Fonds monétaire international (FMI) a d’ailleurs appelé les autorités algériennes à prioriser l’information économique pour « mieux informer les politiques et les décisions du secteur privé ».

Cela est aussi valable pour les politiques publiques. Abdelmadjid Tebboune a exposé un exemple simple mais très illustratif devant les agriculteurs : la stratégie algérienne actuelle, qui est de réguler les importations en fonction de la production nationale, ne peut pas fonctionner correctement si l’on ne sait pas avec exactitude les quantités produites, les capacités de production de chaque unité et le potentiel de chaque secteur.

Dans son entrevue télévisée de vendredi dernier, le chef de l’État a pointé du doigt l’ « opacité » qui arrangerait certaines parties, citant ce responsable local qui a menti concernant la disponibilité du lait dans sa commune.

Des responsables chercheraient à se mettre en valeur en avançant des chiffres pompeux mais faux, d’autres pourraient le faire pour le compte de cercles d’intérêt occultes, mais le fond du problème réside dans la défaillance du système de remontée de l’information qui permet de telles tromperies.

Outre la remontée de l’information via la hiérarchie des démembrements de l’Etat, l’Algérie dispose de plusieurs organismes qui centralisent les données et en font des statistiques plus ou moins exhaustives, comme l’Office national des statistiques (ONS), ou la Banque d’Algérie et les Douanes pour les aspects monétaires et le commerce extérieur.

Des efforts ont été faits et des mesures sont prévues pour mieux huiler la machine, salués par le FMI dans le même rapport comme des mesures susceptibles d’ « améliorer la qualité et la disponibilité des données statistiques ».

Mais à voir les énormes différences révélées par le président Tebboune, entre la réalité du terrain et les chiffres longtemps admis comme officiels, il est évident que beaucoup reste à faire en la matière.