36e sommet de l’Union Africaine à Addis-Abeba : L’enjeu de la Zone de libre-échange

Omar Berbiche, El Watan,19 février 2023

Les travaux du 36e Sommet de l’Union africaine (UA) se sont ouverts, hier, à Addis-Abeba, en présence de 35 Présidents et quatre Premiers ministres, dont Aïmene Benabderrahmane, en qualité de représentant du président Abdelmadjid Tebboune à ce sommet. Les dirigeants africains sont appelés, à l’occasion de ce sommet, placé sous le thème de «L’accélération de la mise en œuvre de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf)» et qui se tient dans un contexte géopolitique et économique mondial marqué par des défis majeurs : politique, sécuritaire, alimentaire, climatique…, à conjuguer leurs efforts pour concrétiser ce vieux rêve de l’intégration économique du continent. L’Afrique reste le seul continent au monde où le flux des échanges intra-africains demeure toujours en deçà des espérances en dépit de l’existence d’organisations régionale, à l’échelle maghrébin, et continentale dédiées à la promotion de l’intégration économique dans ses volets liés à la libre circulation des personnes et des marchandises. Des facteurs historiques, politiques, économiques, l’inégalité du niveau de développement des pays africains, les convoitises dont le continent, théâtre de rivalités des grandes puissances, est l’objet, l’absence de volonté politique de la part des dirigeants et des élites africaines pour s’émanciper des influences extérieures, tous ces aléas ont fait que l’Afrique a longtemps considéré que le salut du continent ne pouvait venir que d’autres horizons. Le volume des échanges intra-africains, n’excédant pas 15% des échanges globaux du continent, reflète l’ampleur des défis qui attendent l’Afrique. Ceci, alors que les potentialités autant humaines, avec une population majoritairement jeune et de plus en plus formée et riche en cadres de qualité, qu’en richesses naturelles prédestinent l’Afrique à devenir une puissance économique, une voix diplomatique qui compte dans les relations internationales. Pour en arriver là, l’Afrique doit faire son examen de conscience, faire la paix, pour elle-même, entre les enfants d’un même peuple entraînés dans des guerres civiles, ethniques ou religieuses d’un autre âge, alimentées de l’extérieur, ou entre des pays voisins, avec leurs cortèges de victimes, de destructions et de déplacement de populations.

Au plan institutionnel, l’Union africaine s’est pourtant dotée des mécanismes opérationnels appropriés de prévention et de règlement pacifique des conflits internes ou intra-africain. Il n’empêche, les démons de la violence, le langage des armes persiste. Les engagements pris solennellement par l’UA dans la voie de la pacification du continent en proie à des guerres fratricides dans certaines pays, à l’instar du Mali, du Burkina Faso, de la Libye, de la République démocratique du Congo…, peinent à mettre les belligérants en face de leurs responsabilités. Le secrétaire général de l’Union africaine, Moussa Faki, s’est félicité, hier, lors de son intervention devant le sommet africain, des «progrès enregistrés dans le processus de mise en œuvre de la feuille de route relative au projet de ‘‘faire taire les armes’’» à l’horizon 2030. Un optimisme loin d’être partagé par les observateurs et les populations des pays en conflit, qui vivent encore et toujours au quotidien les affres de la guerre. Comment faire taire définitivement les armes alors que de nouveaux conflits meurtriers surgissent, fragilisant la paix et la sécurité sur le continent ? Et que des régimes arrivés au pouvoir par la force, suite à un putsch militaire, bien que non reconnus et condamnés par les textes fondateurs de l’UA, finissent toujours, avec le temps, par se faire accepter par les instances africaines sur la base de négociations d’une période de transition politique devant conduire à la restitution du pouvoir aux civils et au retour à l’ordre constitutionnel. Cette espèce de mansuétude affichée va à l’encontre des coups de force militaire en Afrique, qui contraste avec le discours officiel de fermeté à l’égard du changement des régimes en place par la force à encourager la persistance de ce fléau qui menace la stabilité politique du continent.

Une diplomate israélienne éconduite du Sommet

Ces plaies, avatars du passé, empêchent l’Afrique de se donner les ambitions légitimes qu’elle mérite, à l’instar du projet de la ZLECAf, qui dominera les travaux de ce 36e Sommet de l’UA et dont l’objectif visé est de créer, à l’horizon 2035, 18 millions d’emplois supplémentaires et pourrait contribuer à sortir jusqu’à 50 millions de personnes de l’extrême pauvreté, avec un PIB combiné estimé à 3400 milliards de dollars, selon l’ONU. Au plan politique, l’Afrique ne pourra faire entendre sa voix sur la scène internationale que si elle constitue une force économique et financière lui permettant d’intégrer, en position de force, les regroupements internationaux. Ce n’est qu’à cette condition que les portes du «paradis» s’ouvriront devant le continent ; les demandes d’adhésion au G20, de sièges permanents au Conseil de sécurité de l’ONU réclamés avec insistance par l’UA, ne rencontreront, alors, aucune objection. Malheureusement, à chaque fois que l’Afrique fait un pas en avant dans la voie de son décollage économique, de son émancipation politique des visées extérieures qui ambitionnent d’exercer une puissance tutélaire sur le continent pour l’asservir et piller ses richesses, des Etats africains, à la solde d’agendas étrangers, tentent de saborder le mouvement de renouveau de l’Afrique en semant les germes de la division de ses rangs. C’est ce qui est arrivé encore une fois lors de ce sommet, où le dossier de l’accréditation de l’entité sioniste en qualité d’observateur au sein de l’UA est remis sur le tapis, suite à des tractations secrètes et la complicité d’Etats membres, dont l’allié marocain. Alors que la cause était loin d’être entendue, la tentative d’Israël d’arracher un siège d’observateur ayant essuyé un échec cuisant lors de la dernière session du Sommet de l’UA, les participants au présent sommet ont appris avec stupeur et consternation l’invitation officielle lancée à l’ambassadeur israélien auprès de l’UA pour prendre part aux travaux du sommet. Et comme les Israéliens ne font jamais les choses à moitié et se moquent des formalités protocolaires et des usages diplomatiques, une haute fonctionnaire du ministère israélien des Affaires étrangères, non invitée au Sommet, a pris place, on ne sait comment, aux côtés des participants, avant que décision ne fut prise pour l’éconduire de la salle, sans doute suite aux protestations de pays comme l’Algérie et l’Afrique du Sud, entre autres, qui ont toujours eu des positions tranchées sur cette question.


La Zone de libre-échange africaine (ZlecAf) : Un marché unique pour éradiquer la pauvreté

R. N.

Au moins 35 présidents et quatre Premiers ministres participeront au 36e Sommet de l’UA, qui se tiendra au siège de l’organisation continentale à Addis-Abeba. Azali Assoumani, président des Comores, petit archipel de l’océan Indien d’environ 850 000 habitants, doit prendre la présidence tournante de l’UA, à la suite de Macky Sall, le chef de l’Etat sénégalais. Le projet de la ZlEcaf a été signé en mars 2018 à Kigali (Rwanda) par 54 pays et ratifié par 44 pays. Initialement, la zone de libre-échange devait être effective dès le 1er juillet 2020, mais la fermeture de la plupart des frontières à cause de la pandémie de coronavirus a repoussé le calendrier. Elle doit réunir 1,3 milliard de personnes et ainsi devenir le plus grand marché mondial avec un PIB combiné de 3400 milliards de dollars, selon l’ONU. Pour l’heure, le commerce intra-africain ne représente que 15% des échanges totaux du continent. La Zlecaf doit, selon ses promoteurs, favoriser le commerce au sein du continent et attirer des investisseurs. Selon la Banque mondiale, d’ici 2035, l’accord permettrait de créer 18 millions d’emplois supplémentaires et «pourrait contribuer à sortir jusqu’à 50 millions de personnes de l’extrême pauvreté».

L’Algérie l’a ratifié officiellement en 2021 et s’est, depuis, déclarée prête à investir les marchés de cette zone de libre-échange, par l’achèvement de la route transsaharienne, l’ouverture de postes-frontaliers terrestres, le lancement d’une ligne maritime avec la Mauritanie et de nouvelles lignes aériennes vers d’autres capitales africaines, le renforcement de la présence des marchandises algériennes en Afrique de l’Ouest et la création de succursales de banques algériennes dans plusieurs pays de la région.

Selon la Banque mondiale, la ZLECAf représente une véritable occasion de stimuler la croissance, de réduire la pauvreté et d’élargir l’inclusion économique dans les pays concernés. Sa mise en œuvre permettrait de sortir 30 millions d’Africains de l’extrême pauvreté et d’augmenter les revenus de près de 68 millions d’autres personnes qui vivent avec moins de 5,50 dollars par jour. Il permettrait aussi d’augmenter les revenus de l’Afrique de 450 milliards de dollars d’ici à 2035 (soit une progression de 7%) tout en ajoutant 76 milliards de dollars aux revenus du reste du monde. Il permettrait également d›accroître de 560 milliards de dollars les exportations africaines, essentiellement dans le secteur manufacturier, de favoriser une progression salariale plus importante pour les femmes (+10,5%) que pour les hommes (+9,9%) et d’augmenter de 10,3% le salaire des travailleurs non qualifiés et de 9,8% celui des travailleurs qualifiés. La Banque mondiale ajoute que dans le cadre de la
Zlecaf, l’extrême pauvreté diminuerait sur l’ensemble du continent, les améliorations les plus importantes se produisant dans les pays où les taux de pauvreté sont aujourd’hui très élevés. L’Afrique de l’Ouest connaîtrait la plus forte diminution du nombre de personnes vivant dans l’extrême pauvreté, avec une baisse de 12 millions (plus d’un tiers du total pour l’ensemble de l’Afrique). La baisse serait de 9,3 millions en Afrique centrale, de 4,8 millions en Afrique de l’Est, de 3,9 millions en Afrique australe. Les pays dont les niveaux de pauvreté initiaux sont les plus élevés enregistreraient les plus fortes baisses. En Guinée Bissau, le taux de pauvreté passerait de 37,9 à 27,7%, au Mali, le taux passerait de 14,4% à 6,8% et au Togo, le taux passerait de 24,1% à 16,9%.

Des obstacles à lever

Toujours selon la Banque mondiale, la création d’un marché à l’échelle du continent exigera une action volontariste pour réduire tous les coûts commerciaux. Il faudrait pour cela adopter des lois et réglementations permettant aux marchandises, aux capitaux et aux informations de traverser librement les frontières, de créer un environnement commercial compétitif à même de stimuler la productivité et l’investissement, et de promouvoir la compétitivité vis-à-vis de l’extérieur ainsi que les investissements directs étrangers pour favoriser la productivité et l’innovation des entreprises nationales.

Reste que d’importantes obstacles freinent la bonne tenue de la
Zlecaf. Il y a des pays qui sont un peu hésitants sur certains points, notamment sur le protocole de libre-circulation des personnes et des biens. Certains pays africains craignent que l’ouverture des frontières n’entraîne un afflux de personnes qu’ils ne peuvent pas contrôler. De plus, persiste la question des réductions des droits de douane, notamment pour les pays les moins développés. Par ailleurs, la guerre entre la Russie et l’Ukraine et les sanctions internationales ont ébranlé les économies africaines et plongé nombre d’entre elles dans de graves difficultés et le continent reste toujours le théâtre d’affrontements armés, notamment dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC) ou dans le bassin du lac Tchad. La guerre au Tigré (nord de l’Ethiopie) – qui a fait plusieurs centaines de milliers de morts, selon l’UA – a pris fin en novembre dernier, avec la signature d’un accord de paix sous l’égide de l’Union africaine. Le Mali, le Burkina Faso et la Guinée, trois pays dirigés par des militaires issus de coups d’Etat, ont demandé le 10 février la levée de leur suspension de l’UA.