Réforme du système de santé : Aux origines des faillites
El Watan, 12 février 2023
Plus de vingt après avoir été affublé de l’extension «réforme hospitalière» (ministère de la Santé, de la Population et de la Réforme hospitalière, MSPRH), le ministère de la Santé est revenu à sa dénomination initiale ou presque car même «la population» a été enlevée de son fronton. Est-ce à dire que la mission de la «réforme hospitalière» a été menée à bien et qu’il n’est plus utile de l’accoler à la dénomination de ce département ? Ou bien, bien au contraire, cela voudrait-il dire que la «réforme hospitalière» ne peut pas être menée telle qu’imaginée au début des années 2000 et qu’il faudrait se contenter de quelques améliorations du fonctionnement du système ?
Piloté par le Pr. Abdelhamid Aberkane, alors Premier ministre à être à la tête du tout nouveau MSPRH, le dossier de la réforme hospitalière a vu la mise en place du conseil national de la réforme hospitalière dont les travaux, après un long processus de concertation avec l’ensemble des parties concernées, ont débouché sur l’élaboration d’un document stratégique sur les actions à mener pour faire aboutir cette réforme. Le Ministre Aberkane, ayant démissionné suite au conflit ayant opposé le chef du gouvernement Ali Benflis au président Bouteflika, seul le décret portant création d’une nouvelle catégorie d’établissement de santé, EHU d’Oran, a vu le jour ainsi qu’un projet de nouvelle loi sanitaire basée notamment sur une nouvelle organisation du système de santé et de nouveaux modes de gestion et de financement.
Avec le départ du Pr. Aberkane, le document du Conseil national de la réforme hospitalière est passé aux oubliettes, et les ministres qui se sont succédé avaient, chacun, sa propre conception des choses, et ce, jusqu’à la promulgation, en 2018, de la nouvelle loi sanitaire qui est une version édulcorée, quoique actualisée sur certains aspects, du projet de la loi Aberkane. La loi promulguée en 2018 n’est toujours pas appliquée.
On peut donc légitimement se poser la question de savoir «pourquoi tous les ministres de la Santé et les gouvernements qui se sont succédé depuis 2003 ont botté en touche et remis aux calendes grecques le dossier de la réforme hospitalière alors que tous les professionnels de la santé ont statué depuis le début des années 90 sur le fait que le système avait atteint ses limites et qu’il nécessitait une révision en profondeur» ?
Par-delà les questions liées à la qualité de la gouvernance, à l’absence de vision stratégique, ou à la peur d’ouvrir des chantiers qu’on croit, à tort, attentatoires à la paix sociale (cas de la contractualisation), il est un fait que le dossier de la réforme du système de santé est extrêmement compliqué avec des chantiers imbriqués les uns aux autres et même, chevauchant souvent les prérogatives de plusieurs départements ministériels (Santé, bien sûr, mais aussi Enseignement supérieur, Affaires sociales, Finances, Collectivités locales …).
En effet, en matière de réforme du système de santé il n’existe presque pas un seul dossier relevant de la seule compétence du département de la santé. Tout comme il n’existe pas un seul dossier pouvant être mené indépendamment d’un autre ou même de plusieurs autres. L’exemple le plus édifiant est celui de la contractualisation des relations entre le secteur de la santé et les bailleurs de fonds (sécurité sociale pour le moment).
Si la finalisation de la nomenclature des coûts (quelle que soit la formule : forfait pathologie, journée hospitalière, valeur monétaire des actes…) est une affaire entre le département chargé de la sécurité sociale et celui en charge de la santé mais devant néanmoins faire attention aux équilibres financiers de la sécurité sociale, sa mise en œuvre implique le ministère des finances qui est le gardien de l’orthodoxie des finances publiques. Elle implique aussi (la mise en œuvre) la révision des statuts des établissements hospitaliers qui sont dans leur grande majorité des EPA (établissements publics à caractère administratif) dont la gestion financière est basée sur la comptabilité publique alors que la mise en œuvre de la contractualisation exige des établissements hospitaliers dotés d’un régime spécifique pour une gestion basée sur la comptabilité analytique.
Pour l’instant, seuls quelques établissements hospitaliers disposant du statut EH ou EHU utilisent la comptabilité analytique mais, même là, ces statuts posent problème avec l’orthodoxie du ministère des Finances en matière d’allocations budgétaires car ces établissements sont réputés générer leurs propres ressources financières pour couvrir les dépenses de fonctionnement autres que celles supportées par le Trésor public.
Si tous ces problèmes peuvent être réglés à coups de nouveaux textes juridiques (toutes natures confondues), il reste néanmoins d’autres défis à relever dont le moindre n’est pas celui des établissements hospitaliers enclavés ou couvrant un bassin ayant une faible population. Ces établissements n’auront pas, compte tenu de la faible densité de la population, un volume d’activité à même de générer des ressources suffisantes pour couvrir les frais de fonctionnement non pris en charge par le Trésor public. Il faudra soit leur garder le statut d’EPA soit prévoir un système de péréquation à l’image de celui en vigueur pour les collectivités locales.
Un autre défi lié à la contractualisation concerne le nécessaire système d’intéressement à mettre en place, sur la base de normes minimales d’activité pour motiver les équipes soignantes et gestionnaires à l’effet d’améliorer l’attractivité des services fournis par le service public de santé et endiguer les dérives inacceptables induites par l’activité complémentaire (détournement de patients du public vers le privé, détournement du personnel infirmier alors même que la loi sur l’activité complémentaire ne le concerne pas, détournements de médicaments, de consommables et même parfois de petits équipements, parfois, comme dans un service d’un CHU de l’ouest du pays, les résidents sont obligés d’orienter les patients vers la clinique privée du chef de service sous peine d’être recalés aux examens…).
Si la formule du forfait pathologie (la seule envisageable puisque concernant aussi le secteur privé) est retenue, certaines spécialités hospitalières risquent de ne pas être concernées par le système d’intéressement.
Que dire alors des personnels en charge de la prévention et des soins de santé de base qui sont de facto exclus du forfait pathologie ? Des pistes existent mais il faudra du temps et beaucoup de travail pour les exploiter et faire aboutir des propositions viables et acceptables.
Les mêmes défis posés par la mise en œuvre de la contractualisation se retrouvent dans pratiquement tous les dossiers qui doivent être ouverts. A commencer par celui des statuts particuliers des personnels de santé. Le statut général de la fonction publique, la problématique du positionnement des hospitalo-universitaire ainsi que l’existence du système LMD, particulièrement pour les paramédicaux et les sages-femmes rendent très difficile une révision cohérente des statuts particuliers des personnels de santé notamment dans le volet régime indemnitaire.
Si la révision de ces statuts devra obligatoirement s’inscrire dans le cadre d’une vision globale et cohérente sur «qui fait quoi, comment et où et avec quels niveaux de ressources», le régime indemnitaire nécessaire à une juste rémunération des servitudes particulières au secteur et au statut social de ses personnels devra s’affranchir des limites que pose le statut général de la fonction publique, dont les règles sont les mêmes pour tous les secteurs, quitte à opter pour une fonction publique hospitalière qui semble être la seule alternative. Ce qui suppose le retour dans le giron de la santé des personnels hospitalo-universitaires. Tout comme il faudra trouver une réponse courageuse aux problèmes posés par l’introduction du système LMD pour la formation paramédicale ainsi que les problèmes qui vont se poser pour la progression dans la carrière des sages-femmes au titre du statut actuel.
Ce qui nous amène à parler du volet formation. En plus du problème LMD qui vient d’être brièvement soulevé (il pose aussi, et notamment, le problème de la qualification magistrale des encadreurs), la réforme du système de santé et l’amélioration de la qualité des soins (notamment en milieu hospitalier) impose une véritable révolution du système de formation universitaire médicale graduée et post graduée.
Pour bien fonctionner, le système de santé a l’impérieux besoin de maîtriser les flux et les filières de formation médicale pour que le quantitatif et le qualitatif soient en adéquation avec les ressources dont a besoin le secteur de la santé pour offrir des services disponibles et de qualité dans tous les établissements hospitaliers du pays. Inutile de citer ici certaines pratiques qui ont conduit certaines spécialités à une quasi extinction.
Là aussi, le secteur de la santé est le réceptacle quasi passif de ce que produit le secteur de l’enseignement supérieur dans le domaine médical. Les interfaces de coordination qui existent entre les deux secteurs sont inopérantes et, faute d’une vision claire de ce qui doit être fait en matière de nombre et de spécialités, n’ont que peu de prise sur les acteurs du terrain.
Les cas cités ici l’ont été à titre strictement illustratif car les chantiers à ouvrir pour améliorer significativement le service public de santé maintes fois demandé par le président Tebboune sont nombreux et tous aussi complexes et inextricablement liés. Le secteur de la santé seul ne peut pas mener cette réforme car dépendant des autres secteurs qui ont presque tous préséance sur lui dans le protocole du gouvernement. Seule une vision claire, cohérente, globale et pouvant être opposée à tous les secteurs concernés peut permettre de mener à bien cette réforme. Et cette vision ne peut être qu’un chantier présidentiel coordonné à un niveau supra ministériel. Slim Belkessam, Cadre supérieur de l’Etat à la retraite