Tout le nord du pays en activité sismique constante : Alger a peur du Big One
Omar Kharoum, El Watan, 12 février 2023
Par sa situation géographique à la proximité de deux plaques tectoniques, le nord de l’Algérie est exposé aux aléas naturels et surtout à des risques sismiques majeurs. Les Algériens ont une expérience des tremblements de terre et sont très touchés, pour les avoir vécu, par la peur et la douleur qui ont frappé les populations de Turquie et de Syrie, l’angoisse des nuits froides à la proximité des habitations familiales dans la peur d’une énième réplique ou la situation pénible née de la désorganisation de la vie sociale. Les citoyens connaissent donc la peur du séisme soudain et ont acquis une certaine expérience en matière de maîtrise de soi dans ces moments difficiles. Certaines régions du pays ont subi de plein fouet ces catastrophes inattendues, qui ont été parfois coûteuses en dégâts matériels et en vies humaines. Pendant ces vingt dernières années, l’Algérie a subi, entre autres, un séisme ravageur d’une magnitude de plus de 7 sur l’échelle de Richter en 2003 à Zemmouri et Boumerdès (2278 morts, 180 000 sans-abris, 19 800 habitations endommagées et 16 715 bâtisses effondrées). Peu auparavant, une inondation soudaine ayant fait 900 morts a été observée à Bab El Oued, due à des négligences dans le système d’évacuation des eaux pluviales. D’autres inondations meurtrières ont frappé des villes comme Bordj Bou Arréridj, Adrar, Béchar et Ghardaïa, ont endeuillé des dizaines de familles et causé la destruction de nombreuses habitations.
L’Algérie est confrontée a de fréquents feux de forêt qui mettent en péril son patrimoine forestier, comme en Kabylie il y a deux ans, où il a également été dénombré une cinquantaine de morts. Mais il reste incontestable que le phénomène sismique est le plus craint car le plus ravageur et surtout le plus coûteux en vies humaines.
Depuis le séisme de Chlef (anciennement appelée El Asnam), en 1980 (7,2 sur l’échelle de Richter et 3000 morts), une volonté politique a permis de mettre en place une organisation de la prévention et de la prise en charge des catastrophes naturelles ou industrielles. Les pouvoirs publics ont promulgué deux décrets ( 85-23 et 85-232) portant prévention des catastrophes et organisation des secours. C’est surtout après le séisme de Boumerdès du 21 mai 2003 que le président Bouteflika a promulgué la loi 04-20 relative à la prévention et à la gestion des catastrophes et des risques majeurs. Mais l’expérience nous a appris, qu’au-delà des textes, la pratique sur le terrain pour un retour à une vie normalisée se fait souvent au ralenti et au détriment des sinistrés, qui voient leur calvaire plus ou moins prolongé. Si la reconstruction des logements pour les sans-abris à Chlef en 1980 a été menée avec célérité grâce à l’acquisition, sur le marché international, de chalets commodes et confortables qui ont résorbé en partie le cas de milliers de sinistrés, il n’en a pas été de même pour ceux de Boumerdès et de Zemmouri, très touchés par le séisme de 2003. C’est donc la gestion de l’après-séisme qui est chez nous est le plus à déplorer à cause des lenteurs des interventions des pouvoirs publics, particulièrement en ce qui concerne la réhabilitation des habitations endommagées, la construction de logements en dur, la reprise des activités économiques, l’indemnisation des victimes…
des carences marquantes
Une intervention généreuse de l’Etat lors du séisme de Boumerdès, mais nous avons eu tout de même à observer une grande colère d’une partie des sinistrés qui ont même pris à parti le cortège présidentiel venu s’enquérir des sites les plus touchés. Après avoir relevé les carences les plus marquantes, les gouvernants ont pris en charge en 2004 de revoir le plan d’organisation des secours en mettant en place un groupe de travail interministériel afin de revoir et de mettre à jour le plan Orsec et réfléchir sur un dispositif d’alerte par type de risque. Mais dans la réalité, y a-t-il une stratégie de prévention des risques majeurs ? Nous ne sentons franchement pas qu’il existe, dans la vie de tous les jours, une stratégie préventive d’alerte et de mobilisation immédiate de manière à prendre, dès la survenue d’une catastrophe, des mesures adéquates et efficaces dictées par l’urgence du moment. Le plus utile est de mettre à profit l’expérience impliquée par un sinistre majeur de manière à amoindrir, sinon annihiler le facteur risque sur les populations. Enfin, comment ne pas évoquer la vétusté du cadre bâti de certaines de nos grandes agglomérations, qui ont hérité d’infrastructures datant de la période coloniale. Dans la capitale, la moitié de ce parc de logements ainsi que certains édifices publics remontent à plus d’un siècle, si ce n’est plus, conçus et érigés selon l’ancien temps avec des procédés de construction peu fiable et des agrégats friables, hétérogènes et sans consistance lorsqu’elle sont mis sous pression par des tremblements de terre. Chacun de ses résidents n’hésitent pas le dire : Alger et ses faubourgs risquent énormément en cas de survenance subite d’un tremblement de terre à haute intensité. Les Algérois craignent énormément d’être surpris par le Big One, appellation donnée par les Américains au supposé tremblement de terre de pointe à la magnitude très élevée que les sismologues prédisent un jour à la mégalopole de San Francisco (aujourd’hui près de 10 millions d’habitants). Cette ville a déjà été détruite en 1906 par un tremblement de terre de magnitude 7,9 sur l’échelle de Richter suivi d’un incendie ravageur. On y a dénombré 3000 morts et 300 000 sans-abri (les deux tiers de la population) dans une ville qui comptait à l’époque 400 000 habitants. Depuis ce temps jusqu’à nos jours, les résidents de San Francisco et les scientifiques s’attendent à un séisme total et fatal qu’ils ont dénommé le Big One, c’est-à-dire, traduit, «le grand numéro un».