Torture et exaction au temps du Hirak : le cas de Ayoub Chahetou

A.T., Algeria-Watch, 26 janvier 2023

Jeune commerçant ayant rejoint le Hirak, les exactions et abus qu’a subis Ayoub Chahetou continuent de choquer l’opinion publique.

Ayoub Chahetou est né le 2 décembre 1999 à El Bayadh où il continue de résider. Chef-lieu de wilaya, cette cité des hauts plateaux située à 500 km au sud-ouest d’Alger, est célèbre pour sa tradition de tissage de tapis. Ville de taille moyenne, elle compterait un peu plus de 100 000 habitants ; ses habitants, de modeste condition pour la grande majorité, tirent leurs revenus de l’élevage ovin et de l’agriculture. El Bayadh est loin de ressembler aux grandes métropoles où le régime voulait cantonner et contenir la révolte du Hirak.

Ayoub Chahetou gagne sa vie en faisant du commerce dans une petite boutique dont il loue les murs. Il a arrêté ses études secondaires et quitté le lycée en 2020. Comme beaucoup de jeunes, il a rejoint dès ses débuts le mouvement du Hirak le 22 février 2019, désireux de contribuer au changement politique et d’exprimer son opposition à un système qui a fait de l’arbitraire son unique mode de fonctionnement. Comme des millions d’autres citoyens pacifiques mais résolus, ce jeune homme rêvait de vivre enfin dans une Algérie libérée où l’injustice serait bannie.

Repéré par les services de sécurité dès les premiers temps de sa participation aux manifestations hebdomadaires du Hirak, Ayoub Chahetou a été victime d’un harcèlement policier ininterrompu : en dépit de son jeune âge, il a fait l’objet de plus d’une vingtaine d’arrestations. Arrêté pour la première fois le 12 décembre 2019, il a été détenu dans un commissariat de police de 9 heures du matin à 23 heures. Par la suite, il a été systématiquement appréhendé à la fin des manifestations, aux abords du domicile familial ou tout simplement dans la rue alors qu’il vaquait à ses activités.

Le vendredi 26 mars 2021, jour de manifestation du Hirak, Ayoub Chahetou a été de nouveau arrêté par la police alors même qu’à peine une semaine avant il avait déjà été interpellé et embarqué au commissariat pour huit heures de garde à vue. Ce jour-là des policiers de la daïra (sous-préfecture) d’El Bayadh l’ont interpellé avec d’autres activistes du Hirak et emmené au commissariat central d’El Bayadh où il a été victime de tortures et de sévices sexuels.

Dès son arrivée au commissariat, les policiers lui ont intimé l’ordre de signer un procès-verbal établi à l’avance ou il reconnaissait avoir endommagé un véhicule de police. En réalité, une voiture de police avait foncé sur ses amis et lui au cours de la manifestation. Pour avoir refusé, un policier l’a poussé violemment de la chaise sur laquelle il était assis, l’a jeté à terre et, aidé par un autre collègue, lui a asséné des coups de poing et de pied pendant une heure. Après avoir été frappé sur toutes les parties de son corps, l’un des policiers a posé une planche sur le dos d’Ayoub Chahetou pour s’y jucher et peser ainsi de tout son poids sur le thorax du supplicié, l’empêchant de respirer. Le jeune hirakiste pleurait en suffoquant, la douleur généralisée était insupportable.

Il a été ensuite reconduit en cellule. Une heure plus tard, deux policiers l’en ont extrait pour le transférer vers un autre commissariat où l’on a consenti enfin à lui donner à boire un peu d’eau. Il a été ensuite de nouveau transféré au commissariat central où des policiers ont rejoué le même scénario, réitérant l’exigence de signer le procès-verbal préétabli dans les mêmes termes et portant la même incrimination. Ayoub Chahetou ayant maintenu son refus de parapher ce procès-verbal, il a été menotté et placé dans une cellule avec cinq autres détenus. Peu après, un des policiers est revenu le voir et lui a demandé s’il avait changé d’avis. Devant son refus, l’agent l’a giflé, un autre policier bâton en main le rouant de coups. Les policiers lui ont retiré ses lunettes, l’ont déshabillé complètement et l’ont frappé sans relâche. Mis à terre, Ayoub Chahetou ne pouvait plus bouger : la souffrance était insoutenable, d’autant plus que ses tortionnaires utilisaient aussi un Taser, un pistolet à impulsions électriques. Au bout de la douleur, le jeune homme a perdu connaissance.
Il a été laissé au sol, nu, blessé et évanoui. Après deux heures environ, deux policiers dont l’un nommé Abderrahmane Zahzouh, qui appartient au premier commissariat où le jeune militant du Hirak avait été emmené, sont revenus vers lui. Ils se sont livrés à des attouchements sur ses parties intimes, lui assénant des coups de pied et le couvrant d’obscénités en présence de tous les policiers et des autres détenus. Il a été ensuite autorisé à se rhabiller et conduit vers un autre commissariat où encore une fois, le même procès-verbal lui a été présenté. Ayoub Chahetou a encore refusé de le signer. Violemment battu pendant une demi-heure, il a été ensuite emmené à l’hôpital de la ville où il a exhibé les marques du Taser sur son bras à une femme-médecin qui n’en a pas tenu compte, refusant même de lui adresser la parole.

En fin de journée, les parents d’Ayoub Chahetou se sont rendus au commissariat central pour apporter à leur fils nourriture et vêtements chauds, mais ils n’ont pas été autorisés à le voir. Le lendemain 27 mars 2021, dans un bureau situé à l’étage, Ayoub Chahetou a encore été sommé de signer le fameux procès-verbal, ce qu’il a refusé catégoriquement. L’enfer des coups a repris dans la cellule, suivi d’une sorte d’action psychologique par des policiers qui ont tenté de le convaincre d’abandonner ses activités politiques et de laisser tomber le Hirak. Le dimanche matin, 28 mars 2021, Ayoub Chahetou a été présenté au juge d’instruction à qui il a relaté tout ce qu’il avait subi, y compris les attouchements, et montré les traces des coups et de Taser. Mais le juge a refusé de l’entendre à ce sujet en l’interrompant systématiquement. Ayoub Chahetou a été finalement condamné à six mois de prison ferme et à une amende de 20 000 dinars. Incarcéré à la prison d’El Bayadh, il y a côtoyé d’autres prisonniers du Hirak ayant enduré un semblable parcours de violences et les mêmes sévices…

Un mois à peine après sa sortie de prison, en août 2021,Ayoub Chahetou a été convoqué au commissariat central. Il y a retrouvé les mêmes fonctionnaires de police, chargés cette fois-ci de rédiger un procès-verbal pour « atteinte à la personne du président de la République », « outrage à corps constitué et diffusion de fausses informations ». Ayoub Chahetou ainsi que d’autres hirakistes d’El Bayadh attendent depuis leur verdict dans les procès qui s’annoncent, risquant ainsi de subir à nouveau l’arbitraire d’un appareil judiciaire asservi.
Constamment surveillé, le jeune hirakiste d’El Bayadh est la victime d’autres formes de harcèlement mesquin. Ainsi, la petite boutique qu’il loue a été fermée en mai 2022 pour une durée de deux mois par les autorités au motif qu’il exposait une partie de sa marchandise sur la voie publique, alors même que tous les magasins mitoyens (et même au-delà) occupent allègrement rues et trottoirs…