Le scandale du Marocogate agite les institutions marocaines : Une corruption d’état

Omar Berbiche, El Watan, 24 janvier 2023

Suite aux graves accusations de corruption d’eurodéputés par le Maroc, en échange de leur asservissement pour défendre, auprès du Parlement européen, l’occupation marocaine du Sahara occidental, le Parlement marocain a annoncé, dimanche, la tenue d’une réunion conjointe en séance plénière de ses deux Chambres pour examiner «les dernières positions du Parlement européen sur le Maroc». Depuis l’éclatement du scandale, à la mi-décembre, lorsque la police belge avait annoncé des soupçons de corruption au Parlement européen et procédé à la détention provisoire des premiers eurodéputés impliqués, dont le cerveau de la bande, l’ex-eurodéputé Pier Antonio Panzeri, les autorités marocaines se sont murées dans un silence total. La seule réaction officielle est venue, sous la forme d’une déclaration du ministre des Affaires étrangères marocain, Nasser Bourita, qui a saisi l’occasion de la visite, à Rabat, du chef de la diplomatie de l’Union européenne, Josep Borell, début du mois courant, pour dénoncer des «calculs visant à nuire au partenariat entre le Maroc et l’Union européenne». Ce à quoi le chef de la diplomatie de l’UE a répondu, solennellement, «qu’il n’y aurait pas d’impunité pour la corruption». Le même Bourita s’est fendu d’une seconde déclaration dans laquelle il soulignait, sur un ton suspect de bravade, que son pays «ne saurait être effrayé ou intimidé» par les attaques dont il est l’objet. Habituellement prolixe, prompt à dégainer à la moindre attaque contre son pays, le chef de la diplomatie marocaine s’est fait très discret, face à la gestion de ce scandale qui a fait l’effet d’un séisme dans l’establishment du makhzen. Si les autorités marocaines ont entrepris de ne pas aller au combat politique et médiatique pour répondre aux graves accusations ciblant le pays, ce n’est certainement pas l’envie qui leur manquait, mais plutôt des arguments et des preuves de leur innocence que détiennent, pour leur malheur, les limiers de la police belge, les juges du tribunal belge et le parquet européen qui s’est saisi, lui aussi, du dossier après la levée de l’immunité parlementaire des eurodéputés ripoux.

Les magistrats marocains …dénoncent

Plusieurs jours sont passés depuis l’intervention du ministre des Affaires étrangères marocain sans qu’il se passe rien, au niveau de la communication institutionnelle marocaine, jusqu’à cette annonce, bien tardive de la programmation prévue pour hier d’une réunion en séance plénière du Parlement marocain. L’événement a coïncidé avec la réaction du Conseil supérieur du pouvoir judiciaire (CSPJ) marocain qui a rendu public, samedi dernier, un communiqué dans lequel il condamne, pince-sans-rire, «les accusations et les allégations graves portant atteinte à l’indépendance du pouvoir judiciaire marocain». On l’aura compris, les magistrats marocains ciblent, à travers leur communiqué, la résolution adoptée la semaine dernière par les eurodéputés sur les violations des Droits de l’homme et de la liberté de la presse, les emprisonnements et la torture à l’encontre des militants opposants au régime et des journalistes. On ne sait rien encore de ce qui a filtré de la réunion d’urgence convoquée par le Parlement marocain. Mais, à l’évidence, il ne faudrait pas s’attendre à autre chose que de voir les parlementaires marocains, emboîter le pas à la diplomatie du makhzen qui s’est exprimée, du bout des lèvres, faute de preuves solides de nature à convaincre que le Maroc est victime d’une cabale comme on le prétend. Quel poids, autorité ou influence ont les parlementaires marocains pour influer sur le cours des événements, influencer les députés europeéns et stopper la révolte qui s’est emparée du Parlement de Strasbourg, suite au scandale du Marocogate ? Aucun. La motion qui en sortira ne pourra pas empêcher l’enquête judiciaire de suivre son cours et le voile de l’impunité dont s’est drapé, pendant des années le Maroc, avec des complicités d’institutions étrangères, se déchirer et déboucher sur la mise à nu du régime du makhzen. Un déballage, inédit, des dossiers noirs du royaume marocain, longtemps couverts par la raison d’Etat et les intérêts des puissances étrangères alliées du Maroc, commence à sortir des cartons des archives classifiées des institutions étrangères, comme on l’a vu avec la résolution votée, cette semaine, par le Parlement européen sur les questions des violations Droits de l’homme et de la liberté de la presse au Maroc. Le scandale du Marocogate pourrait bien, si les politiques ne s’en mêlent pas au niveau de l’institution européenne, pour sauver le makhzen, parce que c’est une affaire d’Etat, les ramifications mènent inéluctablement les enquêteurs, selon les premiers éléments des investigations, vers des hommes forts du makhzen, fidèles parmi les fidèles du Roi, à l’instar du chef des services de renseignement marocains de la Direction générale des études et de la documentation (DGED), Yassine Mansouri, de l’ambassadeur du Maroc en Pologne, Abderrahim Atmoun, présenté par les juges belges comme étant l’argentier du réseau de corruption des eurodéputés. Les révélations fracassantes faites par le quotidien allemand Der Spiegel, hier, confirment la thèse selon laquelle il s’agit, bel et bien, d’une affaire de corruption institutionnelle impliquant politiquement et pénalement la responsabilité pleine et entière du makhzen. «L’implication de la DGED est un détail politiquement sensible. Si elle était fondée, cela signifierait que les tentacules du scandale s’étendraient aux plus hauts niveaux de l’Etat marocain», pointe l’article cosigné par cinq journalistes du quotidien allemand. Autrement dit, il s’agit bien d’une corruption d’Etat qui doit être traitée judiciairement comme telle, en imposant des sanctions exemplaires, comme cela s’est produit avec d’autres Etats mis au ban des nations, sous le coup de sanctions internationales pour d’autres délits. La corruption institutionnelle est une forme de terrorisme d’Etat .

«Il n’aura pas d’impunité pour la corruption», avait juré le chef de la diplomatie européenne lors de son séjour à Rabat «au tout début du scandale du Marocogate». Wait and see


Les tentacules du scandale s’étendent aux plus hauts niveaux de l’Etat

Les tentacules du scandale éclaboussant le Parlement européen (PE) et dans lequel le Maroc est notamment impliqué, s’étendraient aux plus hauts niveaux de l’Etat marocain, selon de nouvelles révélations du journal allemand Der Spiegel qui met en évidence des accointances entre le chef des renseignements du makhzen et des eurodéputés corrompus. Après avoir consulté plus de 1300 documents internes permettant une reconstitution détaillée de l’enquête, le journal allemand a précisé que «les enquêteurs (belges) ont recueilli encore plus de preuves indiquant que le réseau de l’ex-eurodéputé Pier Antonio Panzeri travaillait apparemment secrètement pour influencer les institutions de l’Union européenne (UE), en particulier le Parlement européen, au profit du Maroc». «Le chef des services de renseignement marocains (DGED), Yassine Mansouri lui-même aurait été directement impliqué dans la tentative d’influencer les parlementaires européens», souligne Der Spiegel. «L’implication de la DGED est un détail politiquement sensible. Si elle était fondée, cela signifierait que les tentacules du scandale s’étendraient aux plus hauts niveaux de l’Etat marocain», selon l’article cosigné par cinq journalistes du quotidien allemand. Juste en dessous de lui se trouve Abderrahim Atmoun, l’ambassadeur du Maroc en Pologne, qui dispose de relations à Bruxelles et Paris. A ce titre, l’article du quotidien allemand a fait savoir que «le enquêteurs pensent qu’il dirigeait les activités du groupe Panzeri sur le terrain», rappelant qu’en 2014, Atmoun a posté une photo sur Facebook le montrant avec son «cher ami» Panzeri. Lorsqu’il se rendait à Paris via Bruxelles, Atmoun apportait fréquemment de l’argent, a déclaré l’assistant parlementaire Francesco Giorgi, lui aussi impliqué dans le «Marocgate», selon le procès-verbal de l’interrogatoire du 10 décembre. Les personnes impliquées étaient «pleinement conscientes que leurs actions sont illégales, ce qui explique leur utilisation de mots de passe», écrit Der Spiegel. «Le fait que le gouvernement de Rabat était apparemment prêt à user de sournoiserie pour défendre ses intérêts à Bruxelles n’est pas sans raison», soulignent également les signataires de l’article, rappelant, entre autres, que lors de son récent déplacement à Rabat, le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, avait indiqué que le Maroc était le plus grand bénéficiaire des fonds de coopération de l’UE dans la région – avec un total prévu de 1,6 milliard d’euros de 2021 à 2027. Si les accusations sur l’implication du Maroc dans le scandale de corruption qui éclabousse le Parlement européen seront confirmées au terme de l’enquête, «il y aura des conséquences», assure un responsable de l’UE, cité par Der Spiegel. Les sanctions possibles, a déclaré le responsable, «vont des mesures restrictives au niveau diplomatique et de la coopération entre les services secrets à des sanctions contre des individus spécifiques». (APS)


Le Parlement marocain décide de reconsidérer ses relations avec le Parlement européen

Le Parlement marocain réuni, hier à Rabat, a unanimement rejeté les accusations «fallacieuses» des députés européens et toute «ingérence» dans les affaires du royaume, en réponse à une résolution du Parlement européen s’inquiétant de la détérioration de la liberté de la presse dans le pays. Les deux Chambres du Parlement se sont réunies en séance plénière pour «évaluer» la résolution du Parlement européen (PE) qui s’est également inquiété des allégations de corruption pesant sur le Maroc. Le Parlement «a décidé de reconsidérer ses relations avec le Parlement européen et de les soumettre à une évaluation globale», sans plus de détails, a indiqué Rachid Talbi Alami, président de la Chambre des représentants. Ce n’est pas la première fois que le Maroc menace de représailles les institutions européennes. A chaque fois qu’il est acculé , le makhzen brandit l’arme de la menace et de l’intimidation, rarement suivi d’effet. Si le makhzen joignait à chaque fois l’acte à la parole, il ne serait présent dans aucune organisation régionale, continentale et internationale. Le précédent de son retrait de l’ex-organisation de l’Unité africaine (OUA) aujourd’hui Union Africaine (UA) que Rabat a regagné, avec un profil bas, en acceptant de siéger aux côtés de la Rasd (République arabe démocratique sahraouie» en est la meilleure preuve. R. N.