Le dessalement de l’eau de mer devient incontournable
Sofia Ouahib, El Watan, 10 janvier 2023
Le président de la République, Abdelmadjid Tebboune, a ordonné, dimanche lors de la réunion du Conseil des ministres qu’il a présidée, d’élaborer un plan pour la généralisation des stations de dessalement de l’eau de mer tout le long de la bande côtière, afin d’éviter les répercussions de la situation climatique difficile que connaît le monde. En effet, les ressources en eau se raréfient chaque année à cause du changement climatique. D’ailleurs, certains spécialistes craignent même que ces dernières atteignent leurs limites d’ici 2050. Ainsi, face aux changements climatiques et à la rareté des pluies, le dessalement de l’eau de mer devient essentiel. Une source bien informée au niveau de l’Agence nationale des barrages a d’ailleurs affirmé que «le pays va aller vers le dessalement de l’eau de mer à raison de 42% en 2024 et 60% à l’horizon 2030. Les stations de dessalement vont couvrir une profondeur de 150 km jusqu’aux Hauts-Plateaux». A noter que l’Algérie produit plus de 2 700 000 m3/j, ce qui n’est pas négligeable. En effet, selon Noreddine Ghaffour, professeur à l’université internationale King Abdullah et spécialiste en traitements des eaux et de dessalement de l’eau de mer et des eaux saumâtres, l’Algérie a connu un développement spectaculaire en un temps record dans le domaine, surtout avec la réalisation des stations de très grande taille. L’Algérie est passée, selon le spécialiste, dans le Top 10 et actuellement peut-être même dans le Top 5 en matière de capacité installée. «Ce que les citoyens ne savent peut-être pas, c’est que l’Algérie possède depuis bien longtemps un acquis en dessalement, notamment dans des installations de Sonatrach pour la production d’eau ultra pure destinée à alimenter les chaudières, turbines etc. Ce sont généralement des petites unités thermiques à multiple effets ou multi-étages qui sont utilisées», explique M. Ghaffour. De son côté, Azzedine Hani, professeur en hydrogéologie à l’université Badji Mokhtar d’Annaba, estime que le recours au dessalement est une bonne chose, précisant que compte tenu de la situation géographique, il constitue même une bonne solution. «En ce qui concerne le coût énergétique de ces stations, je pense qu’il faut aller vers l’utilisation du renouvelable (solaire) pour réduire notre consommation de gaz», recommande-t-il. Selon le chercheur, même si le dessalement apparaît comme étant la solution la plus indiquée, il faut qu’on arrive à instaurer une vraie politique de gestion intégrée des ressources en eau en jouant sur l’ensemble des paramètres de la GIRE. Un avis largement partagé par Djamel Belaid, ingénieur agronome, spécialisé en vulgarisation des techniques innovantes qui ajoute : «Etant donné que cette eau coûte cher vu ce que sa production consomme comme énergie, il est nécessaire de développer une tarification qui incite aux économies d’eau.» Dans ce sens, M. Tebboune a également donné des instructions, lors du dernier Conseil des ministres, à l’effet de mobiliser les services de l’Intérieur, des Ressources en eau, de l’Agriculture, de l’Industrie et de l’Environnement, à grande échelle, en vue de créer un plan d’urgence visant à mettre en place une nouvelle politique permettant d’économiser l’eau à l’échelle nationale et de préserver la richesse hydrique souterraine. Par ailleurs, le président de la République a ordonné, lors d’une réunion du Conseil des ministres, tenue en novembre, de créer une nouvelle spécialité académique pour la formation d’étudiants et cadres algériens en matière de dessalement de l’eau de mer. «C’est un rêve qui devient réalité !», estime M. Ghaffour. Pour lui, il est important d’établir deux axes principaux. Le premier : un programme en ingénierie spécialisé pour former des techniciens et ingénieurs d’application capables de faire fonctionner des installations et résoudre des problèmes d’exploitation, mais aussi de design (dimensionnement) de nouvelles stations. Le second : un programme débouchant sur la recherche et le développement de nouvelles technologies pour le futur, couvrant tous les volets du dessalement de l’eau de mer, eaux saumâtres et les eaux de rejet super-salines. «Le dessalement est un sujet multidisciplinaire comportant les aspects technologiques, énergétiques, chimiques, matériaux et environnementaux», précise-t-il. Autre décision importante prise par M. Tebboune en ce qui concerne le dessalement, c’est la création d’une agence nationale de dessalement de l’eau de mer. Une nouvelle bien accueillie par les spécialistes. A cet effet, M. Ghaffour explique que cette agence apportera beaucoup d’avantages en commençant par l’organisation et la planification des installations de dessalement de l’eau de mer et des eaux saumâtres à court et à long termes, et ce, selon les besoins de chaque région du pays. «Elle jouera un rôle important dans le choix des technologies et de la taille des installations, la localisation des sites où celles-ci seront construites, la préparation et le suivi des appels d’offres en consultation avec les administrations concernées, la supervision des réalisations et du commissioning», poursuit M. Ghaffour. Ce dernier ajoute que l’agence assurera aussi le lien entre les entreprises qui auront la charge d’exploitation, la gestion et la maintenance ainsi que les institutions en charge de la distribution de l’eau pour optimiser la consommation de cette matière précieuse en suivant la stratégie, vision et objectifs de l’agence. «L’acquisition de la technologie et du savoir-faire y afférents pour assurer la sécurité hydrique sont d’une immense importance pour notre cher pays en mettant en place un mécanisme qui permet la collaboration entre des entreprises nationales qui seront à moyen terme capables de réaliser et exploiter les unités de dessalement», confie M. Ghaffour. Par ailleurs, cette agence jouera aussi, selon M. Ghaffour, un rôle très important pour la maîtrise et la modernisation de cette industrie. «En parallèle, je souhaiterais qu’il y ait création d’une association algérienne de dessalement qui représentera une plateforme de discussions et échange d’idées entre les spécialistes et toutes les personnes intéressées des différents secteurs, académiques, de recherche, industries et agences gouvernementales à travers l’organisation de conférences, workshops, etc. A mon avis, cette association sera utile pour l’agence», suggère-t-il.
Station de dessalement d’eau de mer : Une technologie largement répandue dans le monde
Conséquence du dérèglement climatique, le stress hydrique est l’un des plus grands défis de la planète. Selon l’OMS, un tiers de la population mondiale n’a pas accès à l’eau potable. Une des techniques les plus usitées pour y faire face est le dessalement de l’eau de mer disponible dans de nombreux contrées. L’Algérie y a opté depuis une vingtaine d’années et compte en faire son principal atout compte tenu de l’immensité de sa façade maritime. Ce procédé qui est cher et énergétivore est appelé à s’améliorer du fait d’innovations technologiques constantes.
Dans le monde, chaque jour, 100 millions de mètres cubes d’eau sont dessalés, un chiffre qui devrait augmenter à vive allure dans les décennies à venir du fait de la croissance démographique, du réchauffement climatique, de la pollution environnementale. Près de 2 milliards de personnes vivent dans des régions où, du moins pendant une partie de l’année, l’eau douce disponible ne suffit pas face à la demande. Un demi-milliard est même concerné par cette rareté tout le temps, selon l’Organisation des Nations unies (ONU). Depuis les années 1960, une solution s’est donc progressivement imposée : le dessalement, notamment de l’eau de mer. Il est aujourd’hui pratiqué dans plus de 15 000 usines répandues dans près de 190 pays. Actuellement, il existe trois techniques pour retirer les molécules de chlorure de sodium de l’eau. Les pays du Golfe utilisent principalement la distillation thermique pour déminéraliser totalement l’eau de mer et obtenir une eau sans sel. Le traitement des eaux par osmose inverse, reposant sur des couches de sable et de charbons engendre le rejet d’un substrat ou concentrât en sel, immédiatement rejeté en mer. Une autre technique permet de traiter les eaux dont la salinité est faible : l’électrodialyse. Cette dernière assure le passage d’ions à travers des membranes sous l’effet d’un champ électrique. Le dessalement est lié à la disponibilité d’une énergie abondante et d’un faible coût et il a un impact important sur l’environnement en raison de la saumure, à savoir de l’eau chaude très concentrée en sel et autres minéraux. 80% de la saumure étant produite dans un rayon de 10 kilomètres d’un littoral, elle est le plus souvent rejetée en mer. Sans dilution ou traitement, elle a des effets écologiques observables tout au long de la chaîne alimentaire. Se pose donc à l’échelle mondiale «le besoin urgent de rendre les technologies de dessalement moins chères et de les étendre à des pays à faibles revenus ainsi que d’aller vers des amélioration de stratégies de gestion de la saumure», notamment dans un contexte où le recours à de l’eau de mer est destiné à encore croître. Les progrès constants de la technologie permettent cependant d’envisager une meilleure maîtrise des techniques et des coûts et des impacts de l’environnement. A. B.