France : ces Franco-Algériens qui rêvent d’un avenir ailleurs

Soraya Amiri, TSA, 30 novembre 2022

L’été 2022 a sonné un nouveau départ pour Halima, âgée de 38 ans, une Franco-Algérienne qui est chef de projet dans une ONG internationale. Elle vient de quitter Paris pour s’installer à Rabat.

« Jamais je n’aurais pensé que je poursuivrais mon chemin au Maroc, mais maintenant que j’y suis, cela m’apparaît comme une évidence », confie Halima.

En réalité, elle a toujours rêvé de travailler en Algérie, le milieu professionnel dans lequel elle évolue aurait pu lui offrir des belles perspectives, mais ses liens familiaux compliqués et la vie difficile pour une femme célibataire dans le pays l’ont dissuadé. Elle a fini par choisir le Maroc qui s’est présenté comme un excellent compromis pour elle.

Depuis quelques années, Halima sent le vent tourner en France. Du moins, elle est de plus en plus mal à l’aise. »Je ne sais pas, j’ai commencé à remarquer les comportements déplacés, les petites plaisanteries sur mes origines, une obsession autour de ma foi musulmane. Je me suis retrouvée à tout dissimuler. Faire le ramadan en cachette, taire mes voyages en Algérie. Je ne m’étais pas rendue compte de cet effacement auquel j’avais eu recours ».

Le déclic est venu lors de son dernier contrat dans un grand groupe français, elle a senti qu’elle luttait depuis des années contre un plafond de verre. Impossible d’évoluer davantage dans sa carrière, à chaque fois les promotions lui étaient refusées malgré un travail parfait.

Lucide sur le fait qu’elle ne pouvait pas espérer mieux comme statut professionnel, elle a franchi le pas. Démission, une année de chômage et de réflexion l’ont menée à accepter un poste au Maroc.

Halima n’y vit que depuis quelques mois mais elle apprécie vraiment sa vie. « En réalité c’est parfait, parce que je ne suis pas intimement liée au pays, donc je n’ai pas le poids de la représentation ici. Je peux être qui je veux au Maroc, c’est-à-dire juste Halima. Mais je sens comme un parfum de maison ici, le pays m’est tout de même très familier », explique Halima.

S’exiler encore une fois : un héritage familial

Halima n’est pas la seule à opérer ce type de bouleversement de vie. Ces enfants d’immigrés optent pour un autre type d’exil. Leurs parents ont quitté l’Algérie pour la France, souvent pour des motifs économiques ou de sécurité, notamment durant la période de la décennie noire. L’espoir de donner une autre chance à leurs enfants s’est transformé en une autre forme de désir de départ.

On observe un changement de vision dans les migrations, les Algériens de l’étranger ou les enfants d’immigrés algériens tentent de plus en plus leur chance dans les pays arabes. L’Europe et notamment la France ne les séduisent plus, ou du moins proposent des opportunités beaucoup trop réduites.

Beaucoup d’entre eux tentent leur chance dans des pays qui font écho à leur culture algérienne comme l’Algérie, le Maroc ou la Tunisie. D’autres se tournent vers le Moyen-Orient pour des opportunités professionnelles. De Dubaï à l’Arabie saoudite, ils profitent de leur attachement au monde arabe pour créer des entreprises là-bas ou s’expatrier.

Entreprendre dans le monde arabe

Le monde arabe qui s’ouvre de plus en plus aux étrangers offre une option intéressante pour ces profils. Ce n’est pas seulement parce qu’ils promettent l’absence de discrimination de personnes comme celles issues de la diaspora algérienne.

Mais parce qu’en plus ils vendent un rêve de réussite. Notamment pour ceux qui ont des projets entrepreneuriaux.

Dubaï par exemple est très compétitif, grâce à ses facilitations fiscales et la possibilité d’ouvrir des structures entrepreneuriales rapidement dans les zones de libre-échange. Un pays qui ouvre ses portes à ceux qui sont prêts à s’investir physiquement et financièrement.

Les Emirats arabes unis dans leur ensemble sont présentés comme le fer de lance des entreprises émergentes et des start-up. Leur écosystème est très intéressant pour les startupers et autres entrepreneurs.

Dans l’indice de compétitivité mondiale (GTIC) 2022 de l’Insead, cette région du monde est classée 25e sur 133 pays. C’est aussi cela qui est recherché par des enfants d’immigrés. La réussite grâce à leurs compétences et leurs moyens financiers.

C’est en réalité toute la zone Mena qui est envisagée par la diaspora algérienne en France. Les immigrés de deuxième et troisième génération ont de nouvelles aspirations.

Diplômés, maîtrisant plusieurs langues, ils aspirent à une forme d’immigration économique. La tentation de jouer sur leur culture arabe est grande. Parler l’arabe n’est même plus nécessaire, puisque le français et l’anglais ouvrent déjà de nombreuses portes.

Asma a seulement 27 ans mais de nombreux projets en tête. La jeune franco-algérienne a décidé de se lancer dans l’entrepreneuriat. Amoureuse de gastronomie, elle a choisi la restauration.

Elle n’est pas attirée par le Moyen et le Proche Orient mais plutôt par le Maghreb. Elle a grandi en Algérie mais est ensuite partie en France avec sa famille. Lorsqu’elle a pensé à monter son projet, elle avait le choix d’ouvrir un restaurant en France ou en Tunisie, elle a privilégié la capitale tunisienne.

C’est à Tunis qu’elle va essayer d’ouvrir un restaurant de street-food qui réunira sa culture algérienne et française. « C’est vrai que ça a surpris ma famille quand j’ai parlé d’aller à Tunis. Ils s’imaginaient qu’éventuellement je tenterai d’aller en Algérie, mais la Tunisie ce n’était pour eux qu’un pays où j’aimais aller en vacances », confie Asma.

En réalité, c’est un choix qui s’est fait par élimination. « Je supporte de moins en moins l’ambiance en France. Les dernières élections en France m’ont choqué, j’ai été lassée d’entendre constamment des discours anti-étrangers. De voir des personnalités comme Zemmour émerger. Je n’avais aucune envie de participer à l’économie d’un pays qui laisse le racisme tout grignoter ».

La pandémie de Covid-19 et la fermeture des frontières de l’Algérie durant presque deux années l’ont dissuadé de retourner dans son pays d’origine.

« La Tunisie m’est apparue comme une évidence. Déjà j’y vais souvent et j’ai plein d’amis qui se sont récemment installés là-bas, ils m’ont convaincu que l’on pouvait faire quelque chose en Tunisie. En plus je serai proche aussi bien de la France que de l’Algérie. Parce que ça reste un déchirement de quitter à chaque fois son pays. Parfois j’ai l’impression qu’on ne sera jamais autorisé à poser définitivement nos bagages et nous sentir heureux », souffle Asma, sur un ton attristé.

Opter pour un pays musulman pour vivre librement sa foi

S’ils ne se tournent pas vers des pays arabes, beaucoup de personnes de la diaspora algérienne envisagent des pays musulmans où leur foi ne posera pas problème.

Le dernier rapport sur l’islamophobie en 2021 en Europe pointe du doigt plusieurs pays européens. La France est en tête de file. Elle apparaît de plus en plus comme un pays hostile aux musulmans.

Le rapport cite notamment la loi contre le séparatisme religieux qui stigmatise les femmes portant le voile. Mais aussi la dissolution d’associations musulmanes considérées comme radicalisées ou ayant des liens troubles avec des extrémistes musulmans.

Nourredine, 42 ans vit à Nantes avec sa femme et ses trois enfants. Il est chef d’entreprise dans le secteur du transport. Sa petite entreprise, il l’a créée il y a 15 ans, seul et sans soutien. Malgré une activité soutenue, il envisage d’aller voir ailleurs.

Cet enfant d’Algériens rêve de l’étranger. « J’ai pensé à m’installer en Algérie, après tout c’est le pays de mes parents, mais c’était compliqué de recréer une entreprise là-bas et je ne parle pas vraiment arabe. Mais maintenant je pense à d’autres destinations, peut-être ailleurs au Maghreb. Ou un pays musulman ».

En effet, Nourredine a commencé à déchanter au moment de la crise des gilets jaunes en France. Depuis cette période, la politique française lui donne envie de fuir. Il a participé à toutes les manifestations de gilets jaunes et a même cru « mourir lors d’un rassemblement à Paris. Avec des collègues, les policiers nous ont coincés dans une bouche de métro et on s’est fait tabasser ».

Un épisode choquant pour le citoyen français d’origine algérienne. L’entrepreneur assommé par les obligations fiscales et le coût de la vie voulait seulement faire entendre sa détresse de ne pouvoir subvenir aux besoins de sa famille.

Déjà fragilisé par la précarité économique, Nourredine a reçu un énième coup de massue en remarquant une montée du racisme. « Je livre des meubles, de l’électroménager et parfois je fais des déménagements avec ma société. Je vois donc tout type de personnes. C’est comme ça que j’ai remarqué les regards qui changent, les remarques limites. La télévision allumée sur Cnews en continu, à entendre que tel musulman était une menace, un autre à exclure. Le dégoût est monté petit à petit », admet Nourredine.

Le Franco-Algérien a donc commencé à envisager une expatriation. « Je dois rester en France pour mes parents, ils ont besoin de moi. Mais si j’ai l’occasion de partir je la saisirai. Je pense au Maroc ou même à la Turquie, j’ai des employés turcs qui m’ont parlé de belles opportunités dans ce pays. Au moins là-bas je n’aurais pas à avoir peur de ce que vont subir mes enfants parce qu’ils ont des origines algériennes ou parce qu’ils sont musulmans. »