Pourquoi il est difficile pour les États-Unis de s’aliéner l’Algérie
Riyad Hamadi, TSA, 16 Novembre 2022
Des parlementaires américains, démocrates et républicains ont appelé en septembre dernier le secrétaire d’État Antony Blinken à imposer des sanctions à l’Algérie pour ses liens avec la Russie.
Un appel qui n’est pas très partagé aux États-Unis où, au contraire, des voix s’élèvent pour réclamer la consolidation des liens entre Washington et Alger.
Les 27 députés des deux partis ont emboîté le pas au sénateur républicain Marco Rubio qui avait appelé à sanctionner l’Algérie au nom de la loi américaine dite de « lutte contre les adversaires des États-Unis par les sanctions », ou le Countering America’s Adversaries Through Sanctions Act (CAATSA).
En vertu de ce texte adopté en 2017, des sanctions ont été imposée à des pays comme l’Iran, la Corée du Nord ou la Russie.
A l’Algérie, il est reproché dans les deux initiatives citées, ses achats d’armes à la Russie considérés comme susceptibles de contribuer à l’effort de guerre de Vladimir Poutine en Ukraine. Les parlementaires ont soutenu que l’Algérie a acheté l’année dernière pour 7 milliards de dollars d’armes à l’industrie militaire russe.
Non seulement l’idée n’est pas très partagée à Washington, mais certaines voix très crédibles soupçonnent les parlementaires concernés de courir derrière d’autres fins autres que celles officiellement déclarées.
« Pourquoi l’Algérie, et pourquoi maintenant ? », s’interroge par exemple James Durso, directeur général d’AKM Consulting LLC, un fournisseur de services de développement commercial et de gestion de projets internationaux. Dans un long article paru cette semaine dans le média spécialisé en énergie, Oil Prices, James Durso a fait un plaidoyer pour que Washington ne s’aliène pas un partenaire important comme l’Algérie.
Concernant les appels à sanctionner l’Algérie, et si Marco Rubio est connu pour son lobbying au profit du Maroc, James Durso se demande « pour qui travaillent » les 27 membres de la chambre des représentants.
Algérie – Etats-Unis : des relations généralement positives
« Ils peuvent avoir une inquiétude légitime quant aux revenus que la Russie tire de l’Algérie, bien qu’un accord d’armement de 7 milliards de dollars ne soit rien à côté de l’argent illimité que Washington remet à Kiev. Il se pourrait qu’ils fassent la promotion de fabricants d’armes américains pour capter les achats algériens », soupçonne-il.
Si telle était leur visée, c’est peine perdue, selon l’analyste qui compare ceux qui feraient un tel calcul à ceux qui ont misé sur le Viêt-Nam pour devenir un allié des États-Unis contre la Chine.
Les relations de l’Algérie avec la Russie remontent aux années 1950, et le secrétaire d’Etat Blinken, interpellé par un journaliste américain sur la question lors de sa visite à Alger en mars dernier, avait indiqué qu’il comprenait que des Etats puissent avoir des « relations historiques » avec Moscou.
Les principaux fondamentaux de la diplomatie algérienne sont la souveraineté, le non-alignement et la non-ingérence dans les affaires intérieures des Etats. Même pendant la guerre froide et bien qu’elle ait adopté un système de gestion socialiste, elle est restée l’un des leaders du mouvement des Non-alignés.
James Durso rappelle la position du président Kennedy en faveur de l’indépendance de l’Algérie et le rôle de cette dernière dans la libération des otages américain lors de la révolution iranienne ainsi que sa coopération avec Washington dans la lutte contre le terrorisme après le 11 septembre. Les relations entre les deux pays ont toujours été « généralement positives ».
« Une Algérie cordiale mais indépendante »
Mais, souligne-t-il, il y a cette « mentalité américaine » qui veut que « soit vous êtes avec nous, soit avec les terroristes ».
Cette mentalité « ne tient pas compte de la coopération passée et des relations positives », regrette-t-il.
C’est l’idée même du Non-alignement qui n’est pas comprise, et qui fait que Washington soit « apparemment incapable de croire qu’une nation puisse préférer s’occuper d’abord de ses propres intérêts et voit toute réticence à se placer sous l’emprise de l’Amérique comme une manière de se ranger du côté de l’ennemi du jour », poursuit-il.
« Nous ne sommes pas intéressés par des lignes de division en Asie. Ne nous forcez pas à choisir. Nous refuserons de choisir », a récemment déclaré le Premier ministre de Singapour.
Même des alliés de Washington ont exprimé le vœu d’adhérer à un groupe indépendant, les Brics, rappelle Durso, citant par exemple l’Arabie saoudite. L’Algérie a récemment déposé officiellement sa demande d’adhésion au bloc comprenant le Brésil, la Chine, l’Afrique du Sud, la Russie et l’Inde.
Égrenant les capacités économiques, notamment énergétiques, de l’Algérie, James Rubio invite Washington à ne pas « s’aliéner un pays avec lequel l’Union européenne cherche un partenariat stratégique à long terme pour le gaz naturel et l’électricité ».
« Tout investissement énergétique de Pékin (en Algérie) sera exclusivement au profit de la Chine », met-il en garde.
L’Europe peut toutefois être « un avocat efficace » de l’Algérie à Washington, « si elle peut faire comprendre à l’administration que l’intérêt de l’Amérique dans une Europe sûre est mieux servi par une Algérie cordiale avec les États-Unis mais indépendante », conclut James Durso.