Entretien avec Stéphane Troussel, le président de la Seine-Saint-Denis
Makhlouf Mehenni, TSA, 25 Octobre 2022
Stéphane Troussel, président socialiste du conseil départemental de la Seine-Saint-Denis (France), effectue une visite en Algérie depuis lundi 24 octobre.
Dans cet entretien accordé à TSA, il parle des actions de coopération décentralisée menées en Algérie, de son département qui abrite une très forte communauté algérienne (300 000 des 1,6 millions d’habitants du département sont des Franco-Algériens), de l’affaire Lola…
Un département qui connaît certes des difficultés, reconnaît-il, mais qui est économiquement dynamique et surtout fier de son « identité plurielle », assure-t-il.
Pouvez-vous nous indiquer l’objet de votre déplacement en Algérie ?
Stéphane Troussel : cela fait longtemps que nous avons des actions de coopération décentralisée. Et puis, après la crise sanitaire, nous nous sommes dit que c’était le bon moment, y compris parce qu’il y a ce moment un peu nouveau entre la France et l’Algérie avec la visite du président Macron ou le déplacement de la Première ministre.
Nous espérons que ça va développer davantage de projets parce qu’il y a une communauté aussi importante que les Franco-Algériens dans le département de la Seine-Saint-Denis.
Pour nous, la qualité de la relation entre la France et l’Algérie est essentielle. Il faut qu’elle soit faite de respect mutuel.
L’année 2022 est une année importante, c’est le 60e anniversaire de l’indépendance, nous avons donc aussi organisé beaucoup d’actions pour célébrer l’indépendance de l’Algérie parce que dans l’histoire de la Seine-Saint-Denis, il y a eu beaucoup de militants politiques très engagés en faveur de l’indépendance de l’Algérie.
C’est un des premiers sinon le seul département de France à avoir commémoré la répression sanglante du 17 octobre 1961. Nous allons installer une stèle d’un artiste algérien, le 1er novembre, dans un grand parc public.
C’est une grande stèle pour rendre hommage à toutes celles et tous ceux qui sont engagés en faveur de l’indépendance de l’Algérie. Voilà autant d’éléments qui nous ont incités à venir.
Et puis, dans deux ans, Paris va accueillir les Jeux Olympiques et Paralympiques et c’est en Seine-Saint-Denis que vont se dérouler l’essentiel des jeux, et du coup, j’aimerais aussi qu’il puisse y avoir des échanges entre des établissements scolaires d’Algérie et de Seine-Saint-Denis notamment autour du sport et des Jeux olympiques.
Je crois beaucoup à la relation entre la France et l’Algérie. Nous avons une histoire douloureuse en commun, il faut absolument que la France regarde lucidement ces pages terribles et qu’elle reconnaisse les faits qui se sont déroulés pendant cette période pour justement se tourner vers l’avenir. Je crois vraiment à notre destin commun.
Votre visite s’inscrit-elle dans le cadre de la concrétisation des engagements pris dans la Déclaration d’Alger, signée en août dernier par les présidents des deux pays, d’autant plus que vous évoquez beaucoup la jeunesse, un des segments importants de la déclaration ?
Stéphane Troussel : la Seine-Saint-Denis est le département le plus jeune en moyenne d’âge de toute la France métropolitaine et donc évidemment cette question de la jeunesse est essentielle.
Cela fait longtemps que je souhaitais revenir et puis, encore une fois, l’année 2022 est une année un peu singulière. Vraiment, nous souhaitions faire le point sur nos actions de coopération.
Cela faisait longtemps qu’on voulait préparer ce déplacement, mais c’est vrai que « cela tombe bien » avec cette Déclaration d’Alger des deux présidents. Concrétiser cette déclaration ? D’une certaine manière, oui. En tout cas, nous nous inscrivons pleinement dans son contenu. Si nous pouvons concrétiser des actions justement en phase et en cohérence avec cette déclaration, cela nous va très bien.
Quelles sont les actions que vous menez en Algérie ?
Stéphane Troussel : nous avons mené par exemple une action avec une association qui fait de la restauration du patrimoine à Oran, des actions à Béjaïa et avec des associations sportives et de jeunes. Nous avons même un projet du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères autour de la participation des jeunes à la vie citoyenne.
Il y a un autre sujet aussi qui préoccupe nos interlocuteurs algériens, qui est la gestion des déchets et des ordures ménagères à Bejaia. Nous avons une organisation en Île-de-France sur cette question et donc nous allons voir aussi comment agir autour de cela.
Il y a un concours dans la wilaya de Béjaïa autour du village le plus propre, nous allons visiter et voir quel type d’action nous pourrions soutenir et mener en commun. Toujours à Béjaïa, nous allons donner le coup d’envoi d’un tournoi de football à Akbou, auquel participe une équipe de la Seine-Saint-Denis.
Nous avons aussi soutenu des projets d’associations de Seine-Saint-Denis qui sont intervenues pendant les incendies de l’été dernier, il y a des associations de la diaspora qui ont mené des projets de reforestation et autres.
Le département de Seine-Saint-Denis est pleinement engagé dans l’égalité femmes-hommes et dans la lutte contre la violence faite aux femmes. Il y a quelques-uns de nos interlocuteurs qui souhaitent aussi qu’on regarde comment agir et mener des projets dans ce domaine.
Aussi, la loi en France nous donne des responsabilités en matière de protection de l’enfance et donc nous allons regarder aussi s’il y a des projets communs que l’on pourrait mener là encore.
Vous apportez quel genre de soutien ? Un soutien financier important ou juste symbolique ?
Stéphane Troussel : oui, il y a parfois un soutien financier. C’est très variable, nous avons aidé plusieurs associations. Par exemple, après les incendies, des associations de Seine-Saint-Denis ont mené des actions écologiques et environnementales, notamment de reforestation.
Cela peut être de plusieurs milliers d’euros, jusqu’à 10 000 ou 15 000 euros, c’est variable en fonction des projets. Il y a des projets de petite taille et d’autres plus importants.
En tout cas, ce ne sont pas des actions symboliques. Nous répondons aux besoins qui sont exprimés et nous agissons en fonction des besoins et des projets qui nous sont présentés.
La dimension humaine est un élément important de la relation entre l’Algérie et la France et le président Emmanuel Macron veut faire de la diaspora un pont entre les deux rives. Quel rôle pourrait jouer la diaspora et comment peut-être être utile à son pays d’origine ?
Stéphane Troussel : il faut d’abord mieux faire connaître les réalités du pays, mieux faire connaître un certain nombre de besoins, partager certains projets, favoriser les échanges.
En Seine-Saint-Denis plus qu’ailleurs, parce qu’il y a une forte diaspora, parce qu’il y a eu un engagement très tôt de la population, des élus et d’un certain nombre de responsables politiques en faveur de l’indépendance de l’Algérie et la coopération franco-algérienne.
Forcément, la diaspora a un rôle particulier, y compris pour lever les malentendus et reconnaître les pages sombres de notre histoire. En tout cas, je crois à la place de l’Algérie dans le bassin méditerranéen et à la relation franco-algérienne.
Bien sûr que la diaspora a un rôle à jouer, mais aussi nos collectivités qui ont des responsabilités en matière de coopération décentralisée avec des collectivités des autres pays.
Votre département concentre justement une forte communauté immigrée, à propos de laquelle on entend beaucoup de choses. A travers le prisme des médias et des réseaux sociaux, on a l’impression qu’il y a beaucoup de problèmes en Seine-Saint-Denis, particulièrement parmi la population d’origine étrangère…
Stéphane Troussel : je crois que ce sont globalement des clichés contre lesquels nous luttons. La Seine-Saint-Denis est le département le plus jeune de France. Il fait partie des cinq plus grands départements créateurs d’entreprises.
C’est le département qui va connaître les plus grands événements pendant les dix années qui viennent à l’échelle de la région parisienne, avec les jeux olympiques et paralympiques.
Il va accueillir un tiers de toutes les gares du futur métro Grand Paris express (200 kilomètres de métro autour de Paris). On va réaliser en moins de 15 ans ce que nos ancêtres avaient réalisé en un siècle.
Oui, c’est un département qui a des difficultés, c’est vrai : des taux de chômage et d’allocataires du RSA élevés, un niveau de délinquance important.
Mais il n’y a pas d’autre territoire en France qui va connaître autant de transformations dans les années qui viennent comme la Seine-Saint Denis.
Et puis surtout dans un pays et un continent qui sont en train de vieillir, , avoir une natalité aussi forte que la nôtre, je crois que c’est plutôt un atout.
Aujourd’hui, c’est l’un des départements les plus créateurs de richesse, nous sommes le troisième contributeur en France à la TVA. C’est vrai que, parce que nous sommes plus jeunes, parce que nous sommes plus divers, nous revendiquons notre diversité et notre mixité.
C’est un atout et une richesse d’avoir des gens qui viennent d’un peu partout parce qu’ils sont à l’image de la France. La France, ça n’a jamais été « nos ancêtres les Gaulois », il n’y a que les racistes qui pensent cela.
La France s’est toujours constituée avec des gens venus d’un peu partout. 25 à 30 % des Français ont un parent ou un grand parent né à l’étranger et bien sûr, en Seine-Saint-Denis, c’est plus.
S’il y a autant de clichés autour de la Seine-Saint-Denis, c’est peut-être aussi parce que parfois le pays ne veut pas voir son identité plurielle, mais nous, on y croit.
La population ayant des origines étrangères est-elle bien représentée dans les institutions locales de la Seine-Saint-Denis ?
Stéphane Troussel : oui, il y a des élus de toutes les couleurs, de toutes les origines, de toutes les religions. Pour ne citer que quelques-uns de mes collaborateurs, il y a le maire de Saint-Ouen, qui est mon vice-président à la culture, Karim Bouamrane, le vice-président à l’écologie, Belaid Badreddine, le vice-président au numérique et maire de Stains, Azeddine Taibi, le vice-président aux relations internationales.
Doucouré, qui est un de mes collaborateurs, est aussi maire-adjoint de la ville de la Courneuve. La conseillère départementale qui a été élue avec moi dans mon canton est d’origine comorienne, parce qu’il y a aussi une forte communauté comorienne en Seine-Saint-Denis. Nous avons des élus qui représentent la diversité de la population du département.
Qu’avez-vous à dire sur l’assassinat de la petite Lola à Paris, que certains politiques tentent d’instrumentaliser pour stigmatiser les Algériens et particulièrement les étrangers en situation irrégulière ou faisant l’objet d’une OQTF ?
Stéphane Troussel : j’ai surtout une pensée pour la victime, pour ses proches, ses amis, sa famille. C’est un crime odieux, horrible.
Je trouve scandaleuse l’instrumentalisation politique qui est faite de ce drame. Ceux qui se livrent à cette instrumentalisation politique sont des charognards, je n’ai pas d’autres mots.
Ce crime aurait été tout aussi odieux s’il avait été commis par un Français ou par un étranger en situation régulière. Des barbares, des fous, hommes ou femmes, il en existe de tout temps, de toute origine et de toute nationalité.
Donc je refuse de rentrer à l’occasion de ce drame dans le débat sur la question des expulsions, c’est un autre débat. Il faut qu’il ait lieu entre les deux pays, mais ce n’est pas notre sujet.
La question des OQTF (Obligation de quitter le territoire français, NDLR), c’est un sujet de politique migratoire qui doit être traité entre la France et l’Algérie, c’est normal.
Pourquoi cette forte concentration de la population d’origine immigrée dans votre département ? Est-ce parce qu’il y a plus de facilités à obtenir les papiers en Seine-Saint-Denis ?
Stéphane Troussel : non, ce n’est pas une responsabilité ou une compétence du département. Il y a un certain nombre de règles en vigueur et qui autorisent ou pas le droit au séjour, c’est en fonction de la situation de chaque personne.
Cette forte concentration est liée à notre histoire. C’est toujours comme cela dans les vagues de migration, quand il y a des communautés d’étrangers qui s’installent dans un territoire, c’est humain, on essaye de se regrouper pour faciliter son intégration.
La Seine-Saint-Denis a une histoire industrielle, notamment de grandes entreprises dans l’automobile ou la métallurgie qui, dans les années 1950-1960, avaient accueilli beaucoup de travailleurs immigrés.
Et cette tradition d’accueil s’est maintenue plus encore qu’ailleurs. Et puis, c’est un territoire populaire avec une part de logements sociaux (35 %) plus importante que dans d’autres territoires. C’est tout cela qui explique notre identité plurielle et diverse, plus qu’ailleurs.