Exactions au temps du Hirak : le cas de Malik Riahi et ses frères

A.T., Algeria-Watch, 16 octobre 2022

Condamnés par la Cour d’Alger le 27 juillet 2022 à 16 mois de prison ferme, les hirakistes Mohamed Tadjadit, Soheib Debaghi, Noureddine Khimoud et Tarik Debaghi ont quitté la prison le 7 août 2022 après avoir purgé la presque totalité de leur peine. 

Jugé pour la même affaire, Malik Riahi est contraint de passer une année supplémentaire en prison. En effet, en raison d’une condamnation ultérieure, il n’a pas été élargi en même temps que ses camarades.

Originaire d’Aïn Témouchent, Malik Riahi est un jeune algérien âgé de 31 ans qui travaille dans le secteur de l’hôtellerie. Depuis son jeune âge, Malik essaie de subvenir aux besoins de sa famille, particulièrement depuis le décès de son père. Comme pour des millions d’autres Algériens, le Hirak a été un grand moment de politisation pour M. Riahi. Mais son engagement pour l’évolution démocratique du pays lui a valu des menaces de la part de la police politique ainsi que des condamnations prononcées par un système judiciaire soumis à l’exécutif. Malik Riahi a également perdu son emploi.

Le cas de Malik Riahi est emblématique des multiples pressions auxquelles font face les militants pacifiques du Hirak et leurs familles. Il ne s’agit pourtant ni de délinquants ni de criminels, le seul objectif de ces femmes et de ces hommes est de contribuer à l’instauration d’un État civil et démocratique.

Confinement et première arrestation

Le jeudi 30 avril 2020, en plein confinement et alors que les marches du Hirak sont suspendues, deux véhicules de la BRI (Brigade de Recherche et d’Investigations), ainsi que d’autres voitures de police stationnent face au domicile de Malik Riahi. Dès son retour dans son quartier, il est abordé par des agents en civil qui lui demandent, sans s’identifier, de les suivre et l’embarquent dans un véhicule au vu et au su de tous les voisins. La méthode peut être assimilée à un kidnapping en bonne et due forme.

Dans le véhicule, les agents lui assurent que son interpellation a pour seul but de lui faire signer un certain nombre de documents et qu’il devrait rendu aux siens le jour même. Arrivé au Commissariat Central de Aïn Témouchent, il est immédiatement menotté et injurié. Des policiers l’informent qu’il doit demeurer trois jours en garde à vue avant d’être présenté au procureur général.

Une feuille de papier sur laquelle ses droits sont transcrits lui est présentée ; il y est mentionné qu’il a droit à une communication téléphonique, à la visite de sa famille ainsi qu’à celle d’un avocat. Une fois dans la cellule de garde à vue, il ne bénéficiera d’aucun de ces droits. Plus gravement, en plein mois de Ramadan, il est privé du panier familial et n’a droit qu’à de maigres sandwichs. Dans une cellule infecte, avec des couvertures malodorantes, M. Riahi, affamé et à bout de force, sera en plus privé de sommeil et de repos. Tour à tour, les policiers vont se relayer pour faire du bruit, rire à haute voix et jouer, même la femme de ménage contribue à la cacophonie ambiante, ayant été instruite de faire du vacarme durant son service.

Malik Riahi, après avoir insisté sans relâche pour voir sa mère, finit par obtenir gain de cause. Il n’a droit malheureusement qu’à une brève entrevue de cinq minutes en présence des policiers, au cours de laquelle il n’a pu échanger le moindre mot avec sa mère.

Le vendredi à 23 h, Malik Riahi, à l’issue d’un interrogatoire brutal et humiliant durant lequel il a dû subir les pires insultes, est forcé de signer un procès-verbal. La plupart des questions portaient sur une vidéo sur Facebook qu’il a lui-même réalisée où il dénonce l’inanité des promesses du Président Tebboune et qui a beaucoup circulé dans les réseaux sociaux. Il est aussi interrogé sur ses supposées relations avec des militants algériens de la diaspora. Malik Riahi à chaque fois, a tenu à rappeler qu’il n’appartenait à aucun mouvement et que son seul combat était celui d’un État démocratique, où les institutions garantissent les droits de chacun.

Alors que Malik Riahi devait être présenté à un médecin de son choix et subir un test / Corona, exigé par la loi, la police se contentera d’accompagner le prévenu au dispensaire juste avant sa présentation devant le procureur, pour faire constater qu’il n’a subi aucune violence physique.

Ainsi, le dimanche 3 mai 2020 au matin, il est conduit chez le procureur sous les insultes incessantes des policiers qui l’accompagnent. Les quolibets de ces policiers sont destinés à humilier le jeune et la tonalité du propos est sur le même registre « Tu n’es pas un homme, si vraiment tu l’étais, assume-toi devant le procureur et montre-lui ta virilité ». Le but de ces invectives étant de le déstabiliser au maximum avant son passage devant le magistrat.

Et de fait Malik Riahi arrive très perturbé devant le procureur, privé de sommeil, insulté, affamé et obligé de répondre par la négative à la question du procureur sur les exactions subies. Aucun espace ne lui a été donné pour exposer les scandaleuses conditions dans lesquelles on l’a emprisonné.

Une fois la présentation terminée, M. Riahi est placé dans une cellule du tribunal. À 16 heures, il apprend qu’il est condamné à 18 mois de prison. Choqué et profondément blessé, il rétorque au juge : « Hasbiya Allah wa naama el wakil (je m’en remets à Allah pour cette injustice), je ne vous le pardonnerai jamais ». Un policier se jette alors sur lui et commence à l’étrangler; le même agent qui s’était chargé qui l’avait couvert d’obscénités lors de sa détention initiale au Commissariat Central. Jeté à terre, le visage plaqué au sol, Malik Riahi est retourné avec violence pour être menotté. Il souffre tellement qu’il croit avoir l’épaule fracturée.

Le 3 mai 2020, M. Riahi est transporté en prison dans un véhicule tout-terrain. Durant le trajet, il a droit à la brutalité « de routine » des policiers qui le bousculent dans la voiture, l’insultent et l’obligent à baisser la tête.

Il quitte la prison de Ain Témouchent le 2 juillet 2020 à la suite d’une grâce présidentielle. Mais cette libération n’empêche pas la poursuite du harcèlement policier ; les pressions sur la famille du militant hirakiste sont persistantes.

L’affaire Saïd Riahi

Le 19 juillet 2020 à 9h 30 du matin, Saïd Riahi informe son frère Malik qu’il est convoqué par la police pour un motif qu’il ignore. Malik Riahi insiste pour accompagner en voiture son frère; arrivé à 10 heures au commissariat, le frère entre seul dans le bâtiment. Vers 12h 30, Malik Riahi s’inquiète et décide d’entrer à son tour dans le commissariat pour s’enquérir de la situation. On lui répond que son frère ne se trouve plus sur les lieux. Après avoir insisté longuement, une policière se résout enfin à lui répondre et l’informe que Saïd a été emmené pour présentation devant le procureur. Très inquiet, Malik Riahi court vers le tribunal où il est reconnu par les policiers et empêché d’entrer. Il contacte alors immédiatement un avocat pour assister son frère qui était sur le point d’être jugé sans la moindre assistance juridique. L’avocat fait l’impossible pour arriver à temps, il est assisté par un collègue sur place et apprend que son client est poursuivi pour une affaire qui remonte à quatre mois. Saïd Riahi avait posté une vidéo sur Facebook dans laquelle il dénonçait ce qu’avait subi sa grand-mère très âgée à l’hôpital où il l’avait emmenée en urgence après une chute ayant entraîné des blessures à la tête. Saïd avait alors l’espoir d’une prise en charge, voire une admission, mais une fois sur place, c’est un refus catégorique d’entrée qui leur a été opposé. Ce traitement discriminatoire est sûrement une conséquence de l’engagement politique de la famille Riahi dans le Hirak.

Dehors, Malik Riahi filme et attend avec quelques personnes de voir son frère, il informe entre temps le troisième frère Aziz de ce qui se passe et lui demande d’apporter un peu d’argent pour Saïd Riahi. Soudainement, quatre policiers surgissent de leurs véhicules et se dirigent vers M. Riahi qui prend la fuite. Il est rattrapé, mis à terre et roué de coups de pieds, les policiers tentant de lui arracher son téléphone. Devant cette scène, Aziz Riahi accourt et demande aux agents d’arrêter ces violences. C’est alors à son tour d’être sauvagement battu. Les trois frères sont alors embarqués au commissariat où M. Riahi cache toujours son téléphone.

Saïd Riahi, accompagné de policiers en tenue est emmené en prison pendant qu’au commissariat, Aziz Riahi et Malik Riahi sont accusés d’avoir frappé des policiers, les procès-verbaux étant déjà établis. Un officier des Renseignements Généraux prend alors à part Malik Riahi et lui signifie que s’il leur remet la vidéo, il sera relâché avec son frère. S’il refuse, ce sera la prison.

Malik Riahi supprime la vidéo de son téléphone et l’officier déchire alors les PV sous ses yeux et propose même du café et de l’eau à Malik, ce qu’il refuse. Les deux frères Aziz Riahi et Malik Riahi quittent le commissariat sans leur frère Said qui passera sa première nuit en prison.

Harcèlement continu des frères Riahi

Le 29 septembre 2020, dans un procès en appel, le tribunal d’Ain Témouchent confirme le verdict d’un an de prison ferme pour Saïd Riahi. Il n’est cependant remis en liberté que le 30 mars 2022.

Le 4 avril 2021, la police appréhende Mohamed Tadjadit dans un appartement à Aïn Benian, où il se trouvait avec Malik Riahi. Tous deux ont été placés en garde à vue, avant d’être transférés en prison. Condamné à 16 mois de prison ferme le 27 juillet 2022, Malik Riahi est toujours détenu à la Prison d’El Harrach à Alger.

Le vendredi 23 avril 2021, lors des manifestations du Hirak à Alger, Aziz Riahi est arrêté. Présenté le mardi 27 avril devant le procureur du tribunal de Sidi M’hamed, il est placé sous contrôle judiciaire.

Le harcèlement des frères Riahi illustre encore une fois les méthodes du régime algérien et de ses polices. Ce qui n’est pas sans évoquer les raids punitifs à l’époque de la sale guerre où des familles, voire des quartiers où même des villages, devaient collectivement payer pour les actes ou positions présumés de l’un des leurs.

L’objectif en l’occurrence est de frapper les esprits, de terroriser les militants du Hirak et leurs familles. En visant les frères Riahi, le parquet aux ordres abandonne une mère de famille malade et esseulée. C’est toute une génération conscientisée par le Hirak que la junte militaire veut à tout prix bâillonner et isoler du reste de la société. Une génération à qui les décideurs ne pardonnent pas d’avoir ridiculisé toute la propagande de la sale guerre et d’avoir surtout et en un temps record mis en exergue toutes les limites et dérives du régime. C’est cette jeunesse qui se situe à des années-lumière d’une façade politique sénile dont l’unique mission est d’assurer la pérennité du système de la prédation qui est à présent la cible principale de la dictature.