Peut-on encore vivre sereinement en France en tant que musulman ?
Soraya Amiri, à Paris, TSA, 28 Septembre 2022
Une année 2021 très difficile pour les musulmans en France. C’est le constat de l’European Islamofobia Report qui réunit plusieurs instituts et experts analysant l’évolution de l’islamophobie au sein de 31 pays.
Dans le dernier rapport publié par les 37 militants et experts de cette organisation, la France est pointée du doigt pour, entre autres, sa loi anti-séparatisme notamment pour « son caractère liberticide et répressif ». Le rapport cite surtout l’augmentation des actes islamophobes dans le pays en 2021.
Ce n’est pas le premier rapport qui dresse ce bilan. L’European Islamofobia Report de 2020 avait même mis Emmanuel Macron en couverture, pour illustrer l’accroissement de la haine anti-musulmans en France.
Dans ce nouveau rapport, la situation en France a été rédigée par la chercheuse Kawtar Najib, qui mène les principales recherches du projet Sama (Spaces of anti-muslim acts) financé par un fonds européen.
Cette géographe a rassemblé plusieurs éléments pour établir cette dure réalité : la politique pratiquée en France, les interactions sur les réseaux sociaux, le champ de l’éducation et les actes anti-musulmans. Mais l’auteure va plus loin. « Au-delà d’inventorier tous les actes antimusulmans qui ont eu lieu en 2021, il s’agit aussi avant tout de questionner les intentions du gouvernement français pour mettre en place une telle politique allant jusqu’à criminaliser la musulmanité » écrit le docteur Kawtar Najib.
« L’islamophobie en France est d’abord le fait de l’État qui cherche à instaurer un »Islam de France« qui enlève toute auto-détermination aux Musulmans Français pour en faire des »Musulmans sans l’Islam« », estime encore la chercheuse.
Peut-on encore vivre sa foi en toute quiétude lorsque l’on vit en France ? La question est légitime et beaucoup de Français de confession musulmane se la posent.
Des musulmans quittent la France ou se font discrets
« Lorsque je rentre du travail et qu’il fait nuit, je mets un bonnet pour cacher mon voile. J’adapte mon hijab, je fais attention à ne pas attirer l’attention, j’ai peur de me faire agresser. Quand je vois ce qui se passe dans les médias, ça me fait peur, je préfère être discrète. »
Ce témoignage est celui de Khadidja, âgée de 65 ans et qui est agent de nettoyage. Cette mère de famille d’origine algérienne et de confession musulmane vit pourtant dans une petite ville de campagne en France, où le taux de criminalité est faible.
Arrivée dans les années 80 en France, elle a vécu par succession des vagues d’acceptation et de rejet de sa différence. Pourtant, ce sont ces 10 dernières années qu’elle a le plus mal vécu. En bonne entente avec ses collègues et son voisinage, elle a pourtant senti un changement de regard des habitants de la ville sur son physique et notamment le voile qu’elle porte.
Khadidja n’est pas seule à avoir ce sentiment. Depuis le début de l’année, des titres de presse étrangère tels que The New York Times ou Middle East Eye rapportent les récits de musulmans ou de Français issus de l’immigration qui ont fait le choix de quitter la France en raison de discriminations. L’idée de pouvoir trouver du travail sans être jugé sur son nom et de pouvoir vivre sa foi sans être critiqué a été un motif de départ pour de nombreux Français de confession musulmane.
Impossible de chiffrer le phénomène, mais les exemples sont nombreux. Warda, 45 ans, franco-algérienne et musulmane, prépare actuellement son départ pour le Canada. Elle n’a jamais eu de problème pour vivre et travailler en région parisienne, mais le climat délétère en France l’a fait fuir.
Plusieurs de ses amies sont déjà parties ces dernières années. « J’ai une amie qui est déjà partie à Londres d’abord pour des raisons professionnelles, mais qui a décidé d’y rester car elle peut pratiquer sa foi sans se cacher. Son entreprise la soutient même et lui offre parfois la possibilité d’aménager son travail en fonction de ses obligations musulmanes. J’ai une autre amie qui a accepté un emploi au Maroc. Avant, elle n’y aurait jamais pensé. Maintenant, c’est à mon tour de partir pour vivre plus librement », raconte Warda.
Les Français musulmans constamment rabaissés
Difficile de faire l’Autruche, lorsque l’Islam et par extension l’immigration obnubilent les débats médiatico-politiques français. La présidentielle 2022 a relancé ces thématiques en les posant comme problèmes majeurs de la société.
L’amalgame entre la pratique de l’Islam, le radicalisme et l’immigration est servi sur la plupart des plateaux de télévision et émissions radio. Que ce soit des chroniqueurs provocateurs ou des politiques d’extrême-droite, les médias leur font la part belle dans leur programmation. Même si c’est parfois pour les contredire, les programmateurs offrent une vitrine médiatique conséquente aux anti-musulmans.
Sur le plateau de Jean-Marc Morandini, le 23 septembre dernier, un débat était lancé autour d’une rue dans la commune de Stains en Seine-Saint-Denis portant le nom de Khadija Bint Khuwaylid. Le fait qu’une rue française porte le nom de l’épouse du Prophète (QSSL) a déclenché une scène d’un racisme sans limite. Le consultant politique Garen Shnorhokian, que se revendique du parti d’Eric Zemmour « Reconquête », s’est permis de faire le lien avec, selon lui, le grand remplacement que vit la commune de Stains.
« J’ai la photo du conseil municipal, il n’y a pas un seul français de souche, le grand remplacement ! », a-t-il lancé en montrant un trombinoscope des conseillers municipaux, pas assez français pour lui.
Interpellé par Jean-Marc Morandini sur sa définition d’un citoyen 100% français, le consultant a tout simplement répondu : « un Français de souche, c’est quelqu’un dont le nom de famille est plus souvent sur les monuments aux morts que dans les fichiers de la CAF. »
Réduisant toute une immigration à un ensemble de personnes bénéficiaires des allocations sociales fournies par la CAF.
Les élus de la ville de Stains traités de la sorte ont mis en ligne une pétition pour dénoncer les propos de Garen Shnorhokian. Les conseillers municipaux ont aussi décidé de poursuivre en justice le consultant politique.
Ces mêmes élus ont également exprimé leur inquiétude pour leur sécurité. « Nous, élu.e.s de la République stanois et français, rappelons que nous sommes sous le coup de menaces de mort depuis plusieurs années, que notre engagement fragilise notre sécurité et nous dénonçons avec force le silence assourdissant des autorités judiciaires et de l’actuel Garde des Sceaux », précisent les signataires de la pétition.
En plus de mettre à mal leur légitimité à assurer leur mandat électoral et leur droit à représenter les Français, ce genre de discours donne de la matière à une xénophobie croissante.
Si l’on se concentre seulement sur les actes islamophobes, on observe une hausse de 32% sur l’année 2021 en France. Un chiffre peu commenté par les autorités françaises. Le terme même d’islamophobie fait débat et n’est pas toujours reconnu en France alors que les institutions européennes, elles-mêmes, se disent préoccupées par la montée des actes anti-musulmans dans l’espace européen.
Emmanuel Macron jugé responsable de ce climat raciste et discriminatoire
En début d’année, Shada Islam, membre du Conseil stratégique du European Policy Center à Bruxelles partageait, à travers un article publié dans le média britannique The Guardian, son inquiétude de voir Emmannuel Macron renforcer les positions françaises anti-Islam en Europe, lors de sa présidence tournante de l’Union Européenne.
Pour illustrer son propos, Shada Islam rappelait cette rencontre entre des membres du Forum Of European Muslim Youth And Student Organisations (Femyso) et Helena Dalli, la commissaire européenne à l’égalité qui avait été fustigée par Marlène Schiappa, alors ministre déléguée chargée de la Citoyenneté. Son intervention aurait sans doute entraîné le retard, puis l’annulation de cette entrevue, d’après Shada Islam.
Ce climat inquiétant pousse aussi des musulmans et des personnes issues de l’immigration à lever la voix. Des citoyens lambda aux personnalités connues, on entend comme un vent de critique. Pour la première fois, la romancière d’origine algérienne Kaouther Adimi, habituellement discrète, a dénoncé sans détours une politique anti-Islam de la part d’Emmanuel Macron.
Dans une interview accordée à Jeune Afrique à l’occasion de la sortie de son dernier livre « Au vent Mauvais », elle critique sans détour l’attitude de l’Etat français. « Quant à Emmanuel Macron, il mène une politique islamophobe, portée par un ministère de l’Intérieur d’extrême droite, raciste, qui, chaque jour, contribue à faire de la France un pays de plus en plus dangereux pour les musulmans, les Français originaires du Maghreb, etc », explique Kaouther Adimi au magazine.
Pour l’écrivaine, le passé de la France ne cesse de la rattraper et cette exclusion du musulman et de l’immigré n’est pas récente. « Il est naïf de croire qu’il n’y a pas là un héritage colonial (…) La façon de vouloir réglementer la vie des musulmans est directement inspirée de la colonisation », estime la romancière.
La Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra) qui s’est rendue aux Universités d’été de la Grande Mosquée de Paris du 16 au 18 septembre a également reconnu cette division désormais ancrée dans la société française.
Hélène Bouniol, co-présidente de la commission Éducation de la Licra a rappelé que l’organisation était aussi aux côtés des musulmans de France et qu’on ne pouvait « hiérarchiser » le racisme.
La représentante de la Licra a rappelé le rôle des acteurs politiques dans l’augmentation de la haine anti-musulmans en France. « Ceux qui diffusent le mensonge et la peur : les avides de pouvoir qui propagent des idées fausses sur les principes républicains ; non la laïcité n’est pas une loi contre les musulmans, non l’Etat n’est pas raciste. Il y a des racistes en France et nous les combattrons ensemble », a-t-elle appelé dans son allocution. Et d’ajouter, « les ennemis s’expriment par une manipulation énoncée par des militants pour l’instauration d’un gouvernement de censure. »
Le gouvernement français n’a jamais été autant pointé du doigt pour sa responsabilité dans l’exclusion des musulmans, mais aussi des personnes issues de l’immigration. Il faut dire que la liste des actes politiques favorisant la peur des musulmans et des étrangers est longue dans le bilan gouvernemental.
Les débats autour de la loi contre le séparatisme orientés sur la pratique des musulmans de France, le retour des polémiques autour du voile ou du burkini chaque année, la chasse aux sorcières opérée par le ministère de l’Intérieur contre les figures emblématiques de l’Islam de France, etc. Ce sont tous ces actes qui ont renforcé une agressivité à l’égard des musulmans.
Le manque de discernement du gouvernement français sur la question de l’Islam et l’impossibilité d’être protégé par les lois républicaines laissent craindre une insécurité croissante pour les musulmans en France.