Immigration : un boulet pour la relation France-Algérie

Soraya Amiri, TSA 16 Septembre 2022

Les relations entre la France et l’Algérie tentent de se normaliser depuis l’épisode houleux de l’automne 2021. Emmanuel Macron a sorti une armada d’outils diplomatiques lors de son long séjour d’amitié à Alger et Oran.

Elisabeth Borne, la première ministre française, pourrait également se rendre à Alger les 8 et 9 octobre afin de mettre en place une feuille de route pour concrétiser les accords de coopération promis lors de la visite du président français.

Malgré les efforts déployés pour fluidifier les relations entre l’Algérie et la France, on sent que la mécanique est un peu rouillée. Les deux pays peinent à s’entendre parfaitement et à coopérer pour que chacun puisse tirer un avantage de ce lien hérité de force du passé.

L’héritage qui les lie, apporte aussi son lot de blocages. Tout d’abord la mésentente mémorielle entre les deux pays est un sujet houleux. Il est encore difficile 60 ans après la signature des accords d’Evian de rallier les deux pays sur une seule version de l’Histoire.

Aussi, les accords qui ont résulté de l’Indépendance de l’Algérie et ensuite des négociations diplomatiques entre les deux pays, sont constamment remis en question par la France. Notamment sur le principe de circulation des personnes entre les deux pays.

D’ailleurs l’accord franco-algérien du 27 décembre 1968 qui favorise l’immigration algérienne vers la France est constamment remis en question par Paris.

Il a été révisé trois fois depuis sa signature. Il fait aujourd’hui encore l’objet constant de débats politiques en France. Durant les scrutins présidentiel et législatif, l’extrême-droite s’en est emparé pour dénoncer la nonchalance de la France à l’égard des Algériens. Ces partis qui grignotent de plus en plus le paysage politique français n’ont eu de cesse d’appeler à la suppression immédiate de ce « traitement de faveur ».

« L’Algérie est très très attachée aux Accords d’Évian et à une stipulation qui prévoit une liberté de circulation des citoyens entre les deux pays », expliquait il y a quelques jours l’ancien commissaire à la diversité sous Nicolas Sarkozy, Yazid Sabeg dans un entretien au Télégramme de Brest.

« Or, depuis 1969, constate-t-il, la France pratique l’unilatéralisme dans ce domaine ultrasensible, au lieu de poser la problématique migratoire dans un cadre approprié, avec méthode et tempérance, avec lucidité et sans démagogie. »

Mémoire et immigration sont les bêtes noires de la relation franco-algérienne. Ce sont d’ailleurs ces deux thèmes qui ont mené l’Algérie et la France à de grosses tensions en 2021.

Plus de souplesse sur les visas : une fausse promesse ?

Lors de la visite d’Emmanuel Macron en Algérie, le sujet de la réduction de moitié des visas pour les Algériens n’a pu être évité. L’Elysée a souligné le retour à une coopération plus apaisée sur la question migratoire.

L’Algérie a enfin accepté de délivrer des laissez-passer consulaires pour les citoyens algériens sans papiers et de lever l’obligation de test PCR négatif pour les renvoyer chez eux. Un signe très apprécié par la France, qui pourtant n’est toujours pas revenue sur la réduction des visas pour les Algériens. Le rythme de la délivrance de ces documents est jugé trop lent.

L’éventuelle visite en Algérie d’Elisabeth Borne à l’occasion d’un Comité intergouvernemental de haut niveau (CIHN) devrait remettre cette problématique au cœur des négociations entre les deux pays.

« Nous souhaitons avoir une approche beaucoup plus souple sur l’immigration choisie, c’est-à-dire les familles de binationaux, mais aussi les artistes, les sportifs, les entrepreneurs et les politiques qui nourrissent la relation bilatérale » avait expliqué Emmanuel Macron depuis Alger, en promettant d’avancer dans les mois à venir sur une meilleure politique migratoire en accord avec l’Algérie.

« Dans ce cadre-là, on souhaite pouvoir améliorer les délais » d’obtention des visas, avait estimé Emmanuel Macron. L’idée de simplifier les procédures pour « avoir une lisibilité plus rapide », avait également été évoquée par le chef de l’Etat français. Elisabeth Borne viendra-t-elle avec des propositions à Alger ? Ou du moins sera-t-elle ouverte à un début de négociation concrète ?

Les visas, l’épine dans le pied d’Emmanuel Macron

Il est difficile de savoir ce que peut et veut réellement mettre en place le gouvernement d’Emmanuel Macron. D’un côté, la récente venue du président français laisse penser que le dossier immigration va être relancé. De l’autre côté, de l’autre on sent beaucoup de réticence avec une insistance et une obsession sur le volet immigration illégale.

Quelques jours avant l’arrivée d’Emmanuel Macron, son entourage laissait entendre que la restriction de visas serait révisée sans préciser les contours de ce projet.

« Le fait d’avoir dû restreindre les visas était une mesure qui avait été envisagée pour débloquer les choses [le refus de l’Algérie de récupérer ses ressortissants], ce n’est pas une mesure qui a vocation à se pérenniser dans le temps », avait expliqué l’Elysée. Toutefois, le voyage présidentiel n’a strictement rien changé. Du moins pour le moment. Les quotas de visas sont toujours aussi bas.

Durant le même été, Gérald Darmanin, le ministre de l’Intérieur est venu rappeler des règles aux immigrés sur le territoire français. Dans une interview accordée au Monde en juillet dernier, il a assuré que les étrangers ayant commis « des actes graves » seraient expulsés de France. Une proposition qui rappelle étrangement les programmes des partis d’extrême-droite durant la présidentielle 2022.

A tel point que même Jordan Bardella, candidat à la présidence du Rassemblement National (ex-FN) l’a perçu comme « un petit clin d’œil qu’il fait évidemment en notre direction, mais je ne suis pas dupe de cela. »

Avec une Assemblée nationale composée de 89 députés d’extrême-droite, le gouvernement français tente de ménager tous les bords. Ce qui donne une politique du ni-ni. Ce manque de choix franc ne satisfait ni l’Algérie, ni les partis politiques anti-immigration. Pour contourner cette approche timide, Emmanuel Macron tente d’insister sur l’immigration clandestine et d’en faire un sujet central.

L’immigration clandestine, minime mais impactante

Or l’immigration clandestine est finalement minoritaire dans la circulation d’Algériens vers la France. En 2021, la France a émis 7 735 obligations de quitter le territoire à l’attention d’immigrés illégaux algériens. Aujourd’hui, on estime à plus de 16.000 Algériens qui sont dans cette situation en France. Ce chiffre mérite-t-il de paralyser toute une relation diplomatique entre les deux pays ? Quel est son poids par rapport à celui de la relation France – Algérie qui ont des intérêts mutuels en-delà des rapports bilatéraux ?

Emmanuel Macron n’avait pas manqué de rappeler à Alger que l’immigration clandestine était un sujet primordial. « On va être très rigoureux pour, ensemble, lutter contre l’immigration clandestine et les réseaux », avait-il lancé depuis Alger.

Le 5 septembre, 115 organisations installées en Algérie, au Maroc, en Tunisie et en France ont signé un appel pour dénoncer le traitement injuste que subissent les demandeurs de visas algériens, tunisiens et marocains.

Dans ce document publié le 14 septembre, les associations rappellent qu’« entre 2021 et mars 2022, 23 % des demandes de visas, par des citoyen(ne)s des pays du Maghreb, auraient été refusées en guise de sanction parce que ces pays refusent de rapatrier leurs ressortissant(e)s en situation de sans-papiers. »

Les Maghrébins qui souhaitent voyager sont punis à cause de cette obsession de l’immigration clandestine. Cette minorité pèse davantage sur les rapports entre la France et ces pays qu’une mobilité choisie ou un regroupement familial pourtant autorisé par les lois françaises. La France a rétabli le quota de visas à la normale pour la Tunisie, ceux de l’Algérie et du Maroc pourraient suivre.

Mais la réduction de visas décidée en 2021, sans oublier le tarissement des titres de séjour durant la pandémie, a laissé une certaine amertume en Algérie et chez ses voisins. Les associations maghrébines signataires de l’appel du 5 septembre estiment que « cette décision politique erronée ne résoudra rien sauf à caresser dans le sens du poil les thèses les plus extrémistes et xénophobes en France et celles des partisans d’une »Europe forteresse« ».

Une politique migratoire hésitante qui déçoit les Algériens

A trop hésiter sur sa politique, la France devient de moins en moins attirante pour les Algériens. Ceux qu’Emmanuel Macron évoquait comme de bons candidats à l’immigration se détournent de plus en plus de la France, pour d’autres pays jugés plus accueillants comme le Canada ou même la Turquie qui commence à attirer des compétences algériennes.

Le bain de foule d’Emmanuel Macron a permis de pressentir une tension entre les Algériens et le président français.

Le voyage du président a aussi fait ressortir le recul de la culture française en Algérie. La langue française est de moins en moins enseignée au profit de l’anglais.

Culturellement et sur le plan du développement de projets, des pays comme les Etats-Unis, la Turquie, la Russie ou même la Chine font un effort plus important pour investir en Algérie.

Les bourses pour les jeunes Algériens, les fonds de développement de projets d’entreprise émanent de ces pays. Même en termes de communication, leur approche de la culture algérienne est mieux perçue que celle de la France.

Plus prosaïquement, si l’on se tourne sur les réseaux sociaux qui donnent un bref aperçu de la pensée algérienne actuelle, on sent que la France est perçue négativement. Notamment pour son rejet des Algériens. Ces derniers sont las de lire des commentaires haineux anti-immigration de la part de Français qui les rejettent sur des plateformes comme Facebook ou encore Twitter.

Finalement dans cette politique girouette, la France perd petit à petit son influence en Algérie et au Maghreb en général.

La question migratoire en vient même à gangréner les autres champs de coopération. La visite d’Emmanuel Macron a offert une jolie image d’apaisement mais n’a pas offert à la France les garanties qu’elle espérait. Pas de renforcement de coopération sur la question du gaz au moment où elle en a le plus besoin, pas d’impact suffisant dans la région du Sahel, etc.

La France passe à côté d’opportunités pour contenter un discours d’extrême-droite anti-algérien. Sa relation avec l’Algérie est devenue l’otage de l’extrême-droite qui est traditionnellement hostile aux Algériens pour des raisons historiques liées à la guerre de libération nationale. En France, pour les partisans de l’extrême-droite, la guerre d’Algérie n’est pas terminée.

Le France demande beaucoup d’engagements de l’Algérie sans lâcher du lest sur des sujets importants. Et à ne jamais choisir son camp, elle risque de perdre sur tous les plans.