Les discriminations : Obstacles à la réalisation effective d’une égalité entre hommes et femmes

Maitre Nadia Ait-Zai, El Watan, 12-13-15 septembre 2022 (1e, 2e et 3e partie)

Les femmes algériennes depuis l’indépendance aspirent à l’instauration d’une égalité avec les hommes ainsi qu’à l’exercice de leurs droits fondamentaux. Elles ont placé la question de l’abrogation des lois discriminatoires à leur égard au cœur de leur combat et revendications.

Les femmes algériennes citoyennes, jouissant de droits égaux mais partiels malgré l’article 35 et 37 de la Constitution sont à l’avant-garde du vaste effort de mobilisation de la société en faveur d’une modification de certaines dispositions discriminatoires inscrites de longue date dans certaines lois, telles que le code de la famille. Le rapport mondial humain de 2020 a classé l’Algérie à la 91e place selon l’indice de développement humain, avec un score de 0,748, sur 189 pays.

D’ailleurs, parmi les objectifs de développement que l’Algérie s’est engagée à réaliser figure la promotion de l’égalité des sexes. Soixante ans après l’indépendance notre pays est encore considéré comme un pays en développement. En ratifiant en 1996 la convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, l’Algérie s’est engagée à revoir sa législation et sa pratique sociale et administrative empreinte d’inégalités.

Elle a de ce fait initié un processus de ratification des conventions internationales dès 2004, notamment celles concernant les droits politiques des femmes et la traite des femmes, accompagné de modifications significatives du code de la famille, du code pénal, du code de la nationalité et de la Constitution. Néanmoins, bien que le code pénal en 2014 ait incriminé et défini la discrimination, bien que la Constitution de 2020 en son article 40 «protège la femme contre toutes formes de violence en tous lieux et en toute circonstance dans l’espace public, dans la sphère professionnelle et dans la sphère privée», des inégalités subsistent encore en dépit des réformes politiques et législatives entreprises par l’Algérie.

CADRE JURIDIQUE POUR L’ÉGALITÉ ET LES DROITS FONDAMENTAUX DES FEMMES

La Constitution consacre la primauté du droit international dans l’ordre juridique interne et requiert que les lois nationales soient mises en conformité avec les obligations juridiques internationales du pays, (art 154). La hiérarchie des normes internationales est donc consacrée.

Les institutions de la République ont pour finalité d’assurer l’égalité en droits et en devoirs de tous les citoyens et citoyennes en supprimant les obstacles qui entravent l’épanouissement de la personne humaine et empêchent la participation effective de tous à la vie politique, économique, sociale et culturelle. Il reconnaît l’égalité des citoyens devant la loi sans que puisse prévaloir aucune discrimination pour cause de naissance, de race, de sexe, d’opinion ou de tout autre condition ou circonstance personnelle ou sociale.

Différents pactes et conventions ont été ratifiés, parmi eux les deux pactes de 1966 relatifs aux droits sociaux économiques et aux droits civils et politiques, la Cedaw, la convention sur les droits politiques des femmes en 2005 et le protocole de Maputo en 2016. En impulsant le processus de modification des lois, l’Algérie a levé la réserve portée sur l’article 9 de la Cedaw relative à l’attribution de la nationalité par la femme. La levée des réserves sur les articles 15 et 16, annoncée en 2012 devant le comité à Genève par monsieur Driss Eldjazairi tarde à se concrétiser.

1) INSUFFISANCE ET LACUNES DANS LA PROTECTION JURIDIQUE DES FEMMES

S’il y a lieu de se réjouir des réformes du code de la famille, du code de la nationalité, du code pénal (harcèlement sexuel, violence conjugale et domestique pénalisés), de la constitution en son article 35 consacrant les droits politiques des femmes, de la loi organique de 2012 permettant une meilleure représentativité des femmes en politique en adéquation avec l’article 31bis devenu article 59 dans la constitution de 2021, il faut reconnaitre que les droits politiques ont été diminués, le quota institué en 2012 a été abrogé par la loi électorale de 2021 consacrant la parité dans les listes électorales. En 2012, à la faveur des quotas, 147 femmes ont été élues députées, contre 126 en 2017. En 2021 seules 31 femmes ont été élues. Le quota est une mesure temporaire qui aide à la construction de l’égalité, la parité en est l’aboutissement.

Il convient de noter la persistance dans la législation et sa mise en œuvre de certaines dispositions et pratiques discriminatoires qui perpétuent et consolident les inégalités et la discrimination à l’égard des femmes algériennes.

CODE DE LA FAMILLE

Il faut noter que le code de la famille modifié en 2005 régit le mariage, le divorce, les effets du divorce, la garde et la tutelle des enfants, la filiation et l’héritage. Ce texte déclaré injuste et discriminatoire a pour source principale le droit musulman et les techniques juridiques modernes. Construit sur une hiérarchisation des sexes il a esquissé un modèle de famille traditionnelle dans lequel la femme devait obéissance au mari chef de famille, dans lequel la femme n’avait pas de capacité juridique du fait qu’elle ne pouvait pas conclure elle-même son mariage, son tuteur le concluait à sa place, dans lequel elle était considérée simplement comme un objet et non pas comme un sujet de droit.

Il faut noter que les modifications ont été faites sur la base des principes d’égalité et de justice. Sans avoir trop bouleversé l’architecture traditionnelle de la famille, le législateur a redonné force au consentement mutuel dans le mariage réduisant le rôle du tuteur à un simple troisième témoin, a consacré l’égalité dans l’âge au mariage, dans les rapports entre époux dans la gestion du ménage, a supprimé le mariage par procuration, le devoir d’obéissance et la notion de chef de famille, a réglementé avec plus de restriction la polygamie confiée dorénavant au contrôle judiciaire.

En cas de divorce la tutelle de l’enfant est confiée à la mère. Les nouveaux amendements ont introduit un nouveau régime matrimonial « la communauté aux acquêts afin de protéger les biens acquis des deux conjoints pendant le mariage. Rappelant la possibilité de conclure le mariage devant un notaire ou l’officier d’état civil, le législateur en 2005 a prévu que les deux conjoints peuvent stipuler dans le contrat de mariage ou, dans un contrat authentique ultérieur, toute clause qu’il juge utile, notamment en ce qui concerne la polygamie et le travail de l’épouse (Art. 19 code de la famille).

Toutefois, des dispositions discriminatoires subsistent encore et le nouvel esprit progressiste de la loi est ignoré.

Présence du tuteur lors de la conclusion du mariage d’une femme majeure

La présence obligatoire du tuteur pour la femme majeure lors de la conclusion du contrat de mariage, fusse-t-il considéré comme troisième témoin, le code de l’état civil n’en prévoit que deux sans distinction de sexe, réduit sa capacité juridique alors que le code civil prévoit en son article 40 que toute personne ayant atteint l’âge de la majorité (19 ans) jouit et exerce ses droits civils.

La polygamie

La polygamie, bien que soumise à des restrictions, à une autorisation de la première et deuxième épouse et à un contrôle judiciaire est pratiquée sans que cette procédure ne soit respectée du fait que le code autorise encore les mariages en la forme coutumière que les conjoints peuvent valider par voie judiciaire à n’importe quel moment de leur relation. La validation peut se faire bien après une séparation ou après le décès de l’un des conjoints. Il faut juste que deux témoins attestent que la cérémonie religieuse a eu lieu. Ce mariage coutumier permet à l’homme d’être polygame sans passer par la procédure mise en place par l’article 8 du code de la famille et sans que les deux épouses, première et deuxième ne sachent que l’époux est polygame. Bien des situations ont démontré que c’est au décès de l’époux que les deux femmes et enfants se découvrent.

Le Divorce

Le divorce est la dissolution du mariage, il intervient par le biais de la volonté de l’époux, par consentement mutuel des deux époux ou à la demande de l’épouse dans la limite des cas prévus aux articles 53 et 54 du code de la famille. L’article 53 prévoit 10 cas de demande de divorce par l’épouse difficilement réalisables à cause de l’impossibilité pour cette dernière d’apporter la preuve de ces situations ou motifs de divorce. La production d’un jugement pénal est exigée pour prouver l’abandon de famille, pour absence de l’époux de plus d’un an, pour violation de l’article 8 (polygamie), pour infirmité empêchant la réalisation du but visé par le mariage.

Mais comment prouver le désaccord persistant, comment prouver que l’époux refuse de partager la couche de l’épouse pendant plus de quatre mois. C’est pourquoi la femme demande le divorce par Khôl moyennant compensation financière sans l’accord du mari car il est le corollaire de la répudiation dénommée par le législateur, divorce par volonté du mari.

Effets du Divorce

Pour ce qui est des effets du divorce, bien entendu il s’agit de la garde et de la tutelle des enfants mais aussi de l’attribution du domicile conjugal pour l’exercice de la garde. (A suivre)

Par Maitre Nadia Ait-Zai

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Les discriminations : Obstacles à la réalisation effective d’une égalité entre hommes et femmes (2ème partie)

El Watan, 13 septembre 2022

Concernant la garde, cette dernière revient à la mère puis au père, il est à noter que ce dernier a été réhabilité dans sa responsabilité de père et que la lignée maternelle n’est plus favorisée dans l’attribution de la garde tel que le prévoit le droit musulman.

C’est une attribution de garde alternée entre les parents et les deux lignées maternelles et paternelles. Le père n’assume pas automatiquement la garde des enfants il faut qu’il la demande lorsque la mère se remarie. Par contre la femme qui se remarie avec une personne non liée à l’enfant par une parenté de degré prohibé est déchue de son droit de garde (Article 66).

La garde de l’enfant de sexe masculin cesse à dix ans révolus et celle de l’enfant de sexe féminin à l’âge de capacité de mariage. Le juge prolonge cette période jusqu’à seize ans révolus pour l’enfant de sexe masculin placé sous la garde de sa mère si celle-ci ne s’est pas remariée.

Attribution d’un logement décent ou à défaut un loyer

En cas de divorce, il incombe au père d’assurer, pour l’exercice de la garde, à la bénéficiaire du droit de garde un logement décent ou à défaut un loyer. Le deuxième alinéa qui prévoit le maintien de la femme dans le domicile conjugal jusqu’à l’exécution par le père de la décision judiciaire relative au logement n’est pas opérationnelle du fait de son départ volontaire ou forcé du domicile conjugal. Les juges n’en tiennent pas compte, ils condamnent simplement le mari à octroyer un logement pour assurer l’exercice de la garde ou à défaut à verser un loyer à la gardienne des enfants éludant ainsi toute référence au domicile conjugal. Le montant du loyer attribué ne permet à la mère gardienne de trouver une location décente. La tutelle des enfants et ou puissance paternelle.

La tutelle des enfants est exercée durant le mariage exclusivement par le père, à son décès elle revient à la mère et en cas de divorce à celui ou à celle à qui la garde a été attribuée. L’article 87, du code de la famille, prévoit qu’en cas d’absence ou d’empêchement du père la mère supplée ce dernier dans l’accomplissement des actes à caractère urgent concernant ses enfants. En réalité il est difficile à la mère de suppléer le père dans la gestion urgente des affaires concernant l’enfant.

D’une part il faut qu’elle prouve que son mari a réellement un empêchement ou est absent d’autre part les préposés à l’administration habitués au rôle de chef de famille pourtant abrogé exercé par le mari et père manifestent des réticences à appliquer la loi. Même lorsque la mère est divorcée, gardienne et tutrice des enfants, détentrice de son jugement de divorce elle est confrontée au comportement négatif des employés qui lui refusent l’établissement d’un passeport, d’une carte d’identité ou d’une autorisation de sortie hors du territoire nationale. Les effets du transfert de la tutelle sur l’enfant après un divorce sont réduits par des pratiques et comportements discriminatoires à l’égard de la femme.

Ayant pour source principale les règles du droit musulman et bien qu’ayant utilisé les principes d’égalité et de justice le législateur tout en modifiant le code n’a pas mis fin aux inégalités entre hommes et femmes dans la famille et particulièrement en matière de témoignage et d’héritage. Deux voix de femmes équivalent la voix d’un homme au moment de l’accomplissement d’actes civils ou commerciaux, alors qu’elles jouissent de la capacité civile tout comme l’homme à 19 ans, alors qu’elles votent à 18 ans et sont responsables pénalement à 18 ans.

Les femmes sont défavorisées en matière d’héritage, puisque la fille reçoit l’équivalent de la moitié de la part du garçon. Bien souvent la liquidation de succession est accélérée lorsqu’il n’y a pas d’héritiers mâles. Les héritiers Acebs (cousins mâles fussent-ils lointains) se manifestent pour entrer dans la succession aux côtés de la veuve et les filles du défunt.

Ce qui intéresse les personnes entrant dans la succession c’est souvent l’appartement, ce bien immobilier prisé par tant d’héritiers indirects mettant dans la précarité la veuve et les filles du défunt.
Une fois le bien vendu, les héritières femmes se retrouvent à la rue.

La loi doit protéger les héritières femmes en l’absence d’un mâle dans la succession du mari et père en optant pour la technique du RADD soit le retour au profit des filles de la part qui revient aux Acebs (dans le code tunisien les héritiers acebs sont exclus), soit leur attribuer l’usufruit du domicile conjugal et familial. En pratique, dans les régions berbérophones les femmes sont exhérédées pour ne pas disloquer la propriété, en contrepartie elles ont droit à l’usufruit de la maison familiale.

Les enfants d’un fils prédécédé viennent à la place de leur père dans la succession du grand père alors que le flou persiste lorsqu’il s’agit des enfants de la fille prédécédée. Certains notaires excluent les petits enfants de la fille prédécédé de la succession de leur grand-père maternelle, ils ne peuvent pas venir en lieu et en place de leur mère.

Code de la nationalité

La réforme du code de la nationalité en 2005 donne le même droit en vertu de l’article 06 à l’algérienne tout comme à l’algérien de transmettre sa nationalité à son enfant. Le conjoint étranger de l’algérienne peut prétendre à l’acquisition de la nationalité algérienne par le mariage et la résidence en Algérie. Toutefois il subsiste une discrimination dans l’article 18 du code de la nationalité qui dispose : «perd la nationalité algérienne la femme algérienne qui, épousant un étranger, acquiert effectivement du fait de son mariage la nationalité de son mari et a été autorisée par décret à renoncer à la nationalité algérienne.» Aucune disposition similaire pour l’homme n’est prévue dans le code de la nationalité.

Code pénal :

Les modifications apportées au code pénal en 2004 et 2015 ont érigé en infraction le harcèlement sexuel dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle ne décrivent pas les moyens de preuve que pourrait apporter la victime. Le harcèlement sexuel commis dans un endroit privé (bureau) sans témoins, est difficilement prouvé par la victime qui lorsqu’elle se plaint est souvent mutée à un autre poste ou alors poursuivie en diffamation par l’auteur qui se transforme en victime. Par contre concernant la violence conjugale le législateur permet de la prouver par tous moyens.

Bien que prenant en compte les coups et blessures à l’encontre des personnes sans distinction de sexe, le code pénal en 2015 a fini par ériger en délit la violence conjugale et domestique exercée à l’encontre des femmes mais malheureusement il l’a accompagné du pardon qui permet à la femme de mettre fin à l’action publique.

L’avortement est un délit pénal, seul est autorisé l’avortement thérapeutique. Il est difficile à la femme d’interrompre une grossesse non désirée ce qui la conduit souvent à recourir à une pratique dangereuse, l’avortement clandestin mettant en péril sa vie. En Algérie, l’avortement n’est autorisé que lorsqu’il constitue « une mesure indispensable pour sauver la vie de la mère du danger, ou préserver son équilibre physiologique et mental gravement menacé », selon l’article 77 et 78 de la loi 18-11 du 02/07/2018 relative à la santé.

Le code du travail

Le code du travail en 1990 était le seul texte où figure la définition de la discrimination et où les relations de travail sont égalitaires; La travailleuse ne souffre pas de discrimination en matière de salaire et bénéficie de la sécurité et protection tout comme l’homme. Elle bénéficie d’une protection spéciale en matière de maternité. Par contre le code du travail n’a pas encore érigé en faute lourde le harcèlement sexuel nuisant aux relations de travail et portant atteinte à l’intégrité de la femme.

Le code de la protection sociale

Ce texte est également égalitaire en matière de prestations accordées aux travailleurs sans distinction de sexe. Toutefois bien que le versement de la pension de réversion à l’homme ou à la femme ne souffre pas d’inégalité, il existe un cas de discrimination flagrant à l’égard de la veuve qui se remarie. Cette dernière perd la pension de réversion en cas de remariage alors que le veuf qui se remarie ne la perd pas.

2) PRÉJUGÉS DANS L’ADMINISTRATION

Les amendements apportés au code de la famille particulièrement ceux ayant trait à l’abrogation de la notion de chef de famille et de la suppression du devoir d’obéissance, à celui concernant la tutelle des enfants exercée par la mère en cas d’absence du mari ou en cas de divorce particulièrement ses effets, ceux concernant l’égalité des époux dans la gestion de la famille, aux effets de la kafala (transfert de la wilaya aux parents kafils ou exercice de droit de la tutelle par la mère célibataire ayant gardé et reconnu son enfant) n’ont pas été encore assimilés par les préposés de l’administration qui affichent souvent des réflexes de rejet des demandes formulées par la mère.

La Commune, la Daïra, la Casnos, les services de sécurité et autres administrations doivent être instruites des changements induits par le code.

Les juges sont confrontés à une incohérence du texte lorsqu’il s’agit de la polygamie. Malgré le contrôle judiciaire institué, les juges sont mis devant un fait accompli qui est celui de valider les mariages coutumiers autorisés par la loi. Une manière pour les particuliers de contourner les conditions de validation du second mariage. Par contre, les juges, s’agissant du nouveau cas de demande de divorce formulée par la femme qu’est le chikak, soit la mésentente, subordonnent le divorce à la production d’un jugement pénal ou de preuves. Par cette demande les juges s’en tiennent encore à leur comportement d’avant 2005 lorsque ce cas n’était pas inscrit dans la loi comme cas de divorce.

Préjugés dans la société

Le nombre de divorces a augmenté; il a plus que doublé entre 2005 et 2018. Le divorce par décision unilatérale du mari reste de loin la modalité de divorce la plus fréquente. Près de la moitié des divorces entre dans ce cadre. Le divorce par consentement mutuel où deux adultes constatent que la vie commune n’est plus possible quel qu’en soit la raison reste au point de vue du nombre la seconde modalité de divorces, mais se trouve proportionnellement moins utilisé ces dernières années (26% en 2018) qu’en 2005-2009 où plus d’un tiers des ménages y avaient recours. Le tatliq, divorce à la demande de l’épouse aux torts du mari pour mauvais traitement et autres manquements graves énumérés par le code de la famille est en diminution : en 2012, elle concernait 5.900 divorces soit plus de 10% des divorces.

Par Maitre Nadia Ait-Zai


Les discriminations : Obstacles à la réalisation effective d’une égalité entre hommes et femmes (3e partie et fin)

El Watan, 15 septembre 2022

Elle ne concerne plus que 4100 cas en 2018, soit 6% des divorces

C’est le khôl qui est le plus employé aujourd’hui par les femmes qui veulent divorcer, tandis que leurs époux refusent. Il faudrait s’interroger sur les raisons du recours préférentiel des femmes à ce type de divorce. On peut penser qu’une part des épouses qui auraient pu demander le tatliq optent pour cette modalité pour éviter de se lancer dans une procédure longue et douloureuse, surtout quand les mauvais traitements du mari sont difficiles à prouver ce que l’on ne peut pas chiffrer mais qui pèse lourd sur le quotidien des femmes

Le grand nombre de divorces pose de nouveaux problèmes pour la société en général et pour les femmes en particulier. Le nombre de familles monoparentales augmente chaque année et c’est en général la mère qui se trouve en charge des enfants. Or, le statut de femme divorcée n’est pas toujours facile, comme le détaille très bien un article de Sarah Raymouche dans Le Soir d’Algérie (30/01/2009) le divorce (mais également le veuvage) fait souvent passer de l’autonomie au tutorat.

Les femmes accueillies dans leur famille, même les femmes indépendantes financièrement et qui participent aux frais du ménage, se plaignent que «tout le monde ne se gêne pas pour surveiller leurs allées et venues».

«Louer un appartement serait mieux pour elle, dit cette divorcée interviewée, mais je n’ai pas le courage de le faire car la pression familiale et sociale est trop pesante.»

Une autre, mère de deux enfants, elle aussi accueillie dans sa famille, raconte dans le même article : «Tout le monde se donne le droit d’avoir un avis sur l’éducation de mes enfants. Je suis considérée moi-même comme une enfant. J’ai l’impression d’être surveillée par tout le monde.

Mes déplacements le sont également, J’ai plus de pression en tant que divorcée que lorsque j’étais célibataire par rapport à ma réputation. Tout le monde semble penser que je pourrai virer à la débauche à n’importe quel moment.»

3) APPLICATION DES POLITIQUES NATIONALES POUR PROMOUVOIR L’ÉGALITÉ

Le ministère délégué à la Condition féminine a mis en place en 2006-2008 diverses stratégies nationales pour promouvoir l’égalité des sexes et la non-discrimination ainsi que la lutte contre la violence à l’égard des femmes, des initiatives louables mais confrontées à un manque de ressource. La mise en œuvre de ces stratégies a été partielle. Aujourd’hui, nous sommes en attente d’une nouvelle stratégie de lutte contre les violences faites aux femmes que devrait élaborer le ministère de la Solidarité car ce dernier a absorbé le ministère délégué à la Condition féminine devenue une direction générale de la famille.

4) ÉGALITÉ DES SEXES ET PARTICIPATION DES FEMMES à LA VIE POLITIQUE ET PUBLIQUE

Les femmes ont le droit de voter et de se présenter aux élections depuis l’indépendance, soit 1962.
Le législateur a érigé l’égalité en principe constitutionnel, mais il demeure virtuel car difficile à mettre en œuvre. L’égalité en politique n’a pas été inscrite dans l’agenda des partis politiques encore moins des institutions. Le nombre de députés a oscillé entre 10 et 30 en passant par quatre en 1984. Il a fallu attendre 2008, sur impulsion du mouvement associatif suite à un plaidoyer du CIDDEF, pour que le président de la République propose un amendement de l’article 31 (art. 31bis) de la Constitution favorisant l’augmentation des chances en politique des femmes.

Cette modification a été suivie en 2012 par la loi organique prévoyant un quota de candidates dans les listes électorales par sièges à pourvoir, soit 25%, 30%, 40% et 50%. Elles ont été 143 à être élues au parlement, par contre, elles n’ont été que 4 à être au sénat. En 2017, 126 femmes ont été élues. La loi électorale de 2021 a introduit la parité entre les candidats dans les listes électorales. Si la parité n’est pas respectée dispose la loi électorale a liste sera rejetée.

Cette dernière a abrogé toutes les dispositions contraires à son contenu dont la loi de 2012 ayant introduit le quota en politique. La parité exigée dans les listes de candidature n’a pas garanti la parité en nombre d’élus femmes/hommes. Le recours à la discrimination positive en 2012 a donné des résultats probants contrairement à la parité qui n’en a pas donné en 2021. Quant aux femmes dans la haute administration et aux postes de décisions leur présence est symbolique (5 femmes ministres).

5) AUTONOMISATION DES FEMMES

Sur 11 millions représentant la population active seuls deux millions de femmes travaillent. La part de l’emploi féminin dans l’emploi total reste modeste 17,6%, globalement éloigné d’un objectif de parité comme le prévoit la Constitution. Pourtant les chiffres démontrent qu’elles sont plus nombreuses à l’université où vont-elles donc, dans l’informel pour la plupart ou restent-elles à la maison car il leur est interdit de travailler ? Le sondage entrepris par le CIDDEF, en 2008, a montré que 1 500 000 femmes ont déclaré être interdites de travailler.

Pourtant, le code de la famille en 2005, a protégé le travail de la femme en permettant à l’épouse de prévoir une clause dans le contrat de mariage protégeant son droit au travail. Paradoxalement, il peut être un motif de la déchéance de la garde si l’intérêt de l’enfant est mis en péril.
Les femmes divorcées sans ressource et sans travail exerçant la garde des enfants rencontrent bien des difficultés à leur assurer une vie décente. La pension alimentaire allouée aux enfants est insignifiante (5000 DA), souvent l’époux est dans l’incapacité d’exécuter son obligation ou refuse carrément de le faire préférant s’exposer aux sanctions pénales.

La mise en place d’un fonds de pension alimentaire a été institué pour apporter un soutien direct aux femmes divorcées mais surtout pour rappeler que la pension alimentaire est un droit de l’enfant. Ce fonds apparemment difficile à gérer à été intégré au fond de solidarité par la loi de finance de 2020.

6) LES FEMMES CÉLIBATAIRES

La loi sur la protection sociale protège les femmes célibataires qui ne travaillent pas, elles sont à la charge de leur père et au décès de celui-ci elles bénéficient d’une quote-part sur la pension de reversion versée à sa veuve. Par contre les mères célibataires, contraintes d’abandonner leur enfant à sa naissance faute de ressource mais surtout à cause du rejet de la société, ont du mal à assurer lorsqu’elle décide de garder l’enfant. Seule une allocation secours enfant, dérisoire leur est accordée par la direction de l’action sociale relevant du ministère de la solidarité et elle est insignifiante (1200 da pour l’enfant).

Conclusion

Nous avons mis en évidence les discriminations les plus visibles, consacrées par la loi pour la plupart et faciles à lever pour peu que la volonté politique existe. Cette dernière nous le pensons a existé car elle a été à l’origine ces dix dernières années d’avancées significatives mais l’elle encore aujourd’hui.

Nous avons longtemps interpellés les institutions sur la croissance des féminicides, sur l’absence d’une stratégie de lutte contre les violences faites aux femmes, sur la mise en place d’un guichet unique prenant en charge les femmes battues, sur la nécessité de revoir le code de la famille, de réinstaurer le quota pour arriver à la parité, mais en vain. Il reste du chemin à parcourir.

Le mouvement associatif constitutif de la société civile est partie prenante dans les changements entrepris mais aussi à venir pour éliminer la discrimination et rendre effective l’égalité entre homme et femmes.

Protéger la femme, c’est protéger la société.

Par Maître Nadia Aït-Zaï