Selon le site «Féminicides Algérie» : 219 cas de féminicide recensés depuis 2019

Nadir Iddir, El Watan, 8 septembre 2022

La liste des victimes de féminicide s’allonge. Un autre crime s’est ajouté récemment à la série de meurtres commis contre les femmes : Samia Dj., âgée de 40 ans et mère de trois enfants, est morte sous les coups de son mari au domicile familial à la cité Oued Dheb. «Un homme a assassiné le 30 août sa femme, Samia Dj., à l’aide d’un objet contondant, et étranglé ses trois enfants.

Le procureur de la République a confirmé l’information et a déclaré que le suspect ne souffre d’aucun trouble psychologique.[…] Il a avoué après l’interrogatoire qu’il était l’assassin», note le collectif Féminicides Algérie. Il s’agit de la 32 victime enregistrée depuis le début de l’année 2022, précise le site qui tient une veille régulière des assassinats ciblant des femmes.

Trois jours plus tôt, Ghania O., handicapée, est assassiné par son époux qui a voulu l’obliger à se prostituer. Devant son refus, il l’a frappée jusqu’à la mort, signale le site.

Le 26 août, une mère, âgée de 65 ans, est égorgée par son fils, âgé de 32 ans. La mère a subi la violence de son fils qui la battait régulièrement avec ses enfants.

Le funeste jour, la victime s’est enfuie de son domicile, mais son fils l’a rattrapée et l’a égorgée devant son domicile familial, précise Féminicides Algérie. Y a-t-il eu une hausse des cas par rapport à la même période de l’année dernière ? «Pour l’année 2021, nous étions au même nombre de féminicides au mois d’août», souligne Wiame Awres, militante des droits de la femme et co-initiatrice de l’opération de veille des crimes de féminicides. Une précision : le site se contente de mentionner uniquement les cas rapportés dans les médias, dans les réseaux sociaux «après vérification de l’information, ou suite à la prise de contact de la famille/connaissances de la victime».

Les chiffres officiels sur les violences contre les femmes restent importants.
Près de 8000 affaires liées à ces infractions ont été traitées durant les 8 premiers mois de l’année 2021 par les services de la Gendarmerie nationale (GN), a révélé Walid Riadh Boukabbou, lors de la 2e édition de l’atelier du réseau des journalistes pour la lutte contre les violences faites aux femmes et filles, organisé par le Programme des Nations unies pour la Population (FNUAP), l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC) en coordination avec le gouvernement algérien et l’ambassade des Pays-Bas en Algérie.

Le cercle familial montré du doigt

L’officier, cité par l’APS, a relevé une «légère stabilité» des actes de violence basés sur le genre, faisant savoir que sur le total des cas recensés, 51% des faits relèvent de l’humiliation et de la menace, 38% sont des agressions physiques, 4% ont trait aux atteintes à la vie personnelle des victimes, alors que 2% représentent les rapts de filles.

S’agissant de la répartition par âge, M. Boukabbou a précisé que 31% des victimes des violences ont plus de 42 ans, 28% sont âgées entre 30 et 42 ans, 24% ont entre 18 et 30 ans et, enfin, 17% figurent dans la tranche d’âge des moins de 18 ans. Le site Féminicides Algérie a enregistré le chiffre effarant de 219 féminicides depuis 2019, note Wiame Awres. Qu’en est-il du profil des victimes et de leurs assassins ? «En 2020, nous avons constaté que 54% des 55 victimes de fémincide ont été assassinées par leur partenaire ou ex-partenaire. Et 20% ont été assassinées par un autre membre de la famille. Donc, 74% des assassinats sont commis par une personne du cercle le plus proche de la victime.

Pour 2021, il y a eu 49% de femmes assassinées par un conjoint ou un ex-conjoint, donc 27 femmes. Et 31% des femmes assassinées par un membre de la famille. Donc, 80% des femmes assassinées l’ont été par un membre de leur cercle le plus proche. En 2020, 63% d’entre elles ont été assassinées à l’intérieur du domicile.

En 2022, jusqu’au jour d’aujourd’hui nous avons recensé 17 femmes assassinées par conjoint ou ex-conjoint sur un total de 32 féminicides. Donc, 53% des féminicides le sont par conjoint ou ex-conjoint», note Narimene Mouaci Bahi, militante féministe et co-fondatrice de Féminicides Algérie. Que font les pouvoirs publics et les acteurs de la société civile pour lutter contre ce phénomène ?

Les services de sécurité ont certes lancé depuis quelques années des sessions de formation sur l’accueil et la prise en charge des femmes victimes de violence, des associations de prise en charge des victimes, mais les textes juridique (code pénal), les institutions de l’Etat ne permettent pas une réponse sérieuse à ce phénomène inquiétant.

«Le Code pénal, introduit en 2015, promettait des avancées – à travers les articles 266Bis et 333Bis – en précisant les poursuites judiciaires auxquelles les auteurs de différentes formes de violence à l’égard des femmes seraient soumis, à savoir des amendes et/ou des peines d’emprisonnement.

Cependant, des zones d’ombre dans le texte permettent la perpétuation de l’assujettissement des femmes : la ‘‘ clause de pardon’’ permet à un agresseur d’échapper aux poursuites pénales lorsqu’il est officiellement pardonné par sa victime.

Le sort des femmes algériennes victimes de féminicide est partiellement dû à ce manque de protection juridique nationale contre les agresseurs potentiels», déplore EuroMed Droits, qui regroupe des organisations de défense des droits de l’homme de la région euro-méditerranéenne.


Wiame Awres. Militante féministe et co-fondatrice de Féminicides Algérie : «Une reconnaissance politique du féminicide est nécessaire»

Nadir Iddir, El Watan, 8 septembre 2022

Wiame Awres commence par définir le féminicide, qui est «le continuum et la finalité extrême des violences faites aux femmes». Faisant remarquer que les cas rendus publics sont uniquement ceux rapportés dans les médias et les réseaux sociaux, la co-fondatrice de Féminicides Algérie note que les victimes sont de tous âges. Que faudrait-il faire pour faire face à ces crimes ? «Il doit y avoir impérativement une reconnaissance politique du féminicide afin de prévenir ces meurtres. Cela passe par une connaissance de la spécificité des meurtres, des facteurs de risques, et par la suite de mettre en place les mesures préventives», suggère-t-elle.

 

-Qu’est-ce qu’un féminicide ?

Le féminicide est le meurtre misogyne des femmes, c’est le continuum et la finalité extrême des violences faites aux femmes. Il comporte des caractéristiques spécifiques et est différent des autres types de meurtres car, d’une part, il y a un caractère répétitif, les féminicides sont commis à plus de 50% par des conjoints et ex-conjoints après des violences qui peuvent durer des décennies, d’autre part, les hommes et les femmes dans la majorité des meurtres ne sont pas assassinés pour les mêmes mobiles, et la réaction sociale est différente selon le sexe de la victime. Dans beaucoup de cas de féminicide, la société accuse la victime et a de l’empathie envers l’assassin, ce qui démontre l’ampleur de la misogynie dans notre société.

-Une trentaine de cas ont été recensés par votre site (Féminicides Algérie) depuis le début de l’année, le dernier en date est celui de Samah, âgée de 29 et originaire d’Aïn M’lila. Ces cas ont-ils connu une hausse par rapport à la même période de l’année dernière ?

Pour l’année 2021, nous étions au même nombre de féminicides au mois d’août. Les cas recensés par Féminicides Algérie ne sont que les cas mentionnés dans la presse, dans les réseaux sociaux après vérification de l’information, ou suite à la prise de contact de la famille/connaissances de la victime avec Féminicides Algérie. Les cas réels sont beaucoup plus élevés. Cependant, on ne peut dire que les cas augmentent, ils sont juste plus visibles aujourd’hui.

-Que sait-on vraiment du profil des victimes et de leurs agresseurs ?

Les victimes sont de tous âges, cependant celles qui sont les plus touchées sont celles qui ont entre 25 et 45 ans. Les plus jeunes, adolescentes, sont surtout assassinées par leurs pères. Elles sont mères au foyer, ou travaillent dans différents domaines : professeur de droit, femme de ménage, avocate, journaliste, infirmière, etc. C’est pour cela qu’il y a le hashtag «Khserna wahda mena» («Nous avons perdu une des nôtres»), car les victimes peuvent être un membre de notre famille, une collègue, une voisine. Les féminicides sont le plus souvent commis dans le domicile, on somme les femmes de rester à la maison car ce lieu est supposé être un lieu sûr, or c’est le lieu où les femmes sont le plus exposées aux violences et au féminicide. Le féminicide est commis dans plus de 70% des cas à l’aide d’armes : couteau, marteau, arme à feu, etc., ce qui ne laisse aucune chance à la femme en question de survivre.

Que fait l’Etat (justice, services de sécurité, etc.) pour juguler ce phénomène ? Le fait-il suffisamment en mettant en place des moyens spécifiques ou en faisant, par exemple, évoluer le droit pénal en intégrant ce crime spécifique ?

Il doit y avoir impérativement une reconnaissance politique du féminicide afin de prévenir ces meurtres. Cela passe par une connaissance de la spécificité des meurtres, des facteurs de risques, et par la suite de mettre en place les mesures préventives. Des lois et les normes sociales se mettent en travers du chemin des femmes victimes de violences qui veulent en sortir, et elles sont poussées dans les mains de leurs bourreaux. L’Etat se doit de prendre en charge les victimes, et également les auteurs de violences afin qu’ils ne continuent pas dans ce cycle et qu’ils fassent d’autres victimes, cela passe par une prise en charge psychologique, une insertion économique, etc. Il y a un manque de formation, de moyens et d’éthique terribles dans toute la chaîne censée s’occuper de ces cas.

-Des associations sont engagées dans l’aide aux victimes de violences. Le font-elles bien ?

Certaines associations comme le «Réseau Wassyla» sont spécialisées dans l’accompagnement psychologique et juridique des femmes victimes de violences, ou encore «SOS Femmes en détresse» qui est un centre d’hébergement. Elles font un travail énorme afin d’aider les victimes, mais elles ne peuvent remplacer les institutions de l’Etat qui ont appliqué des mesures qui renforcent ces violences (code de la famille, loi relative aux violences conjugales avec la clause du pardon, etc.), et qui à côté ne mettent pas les moyens nécessaire afin de les prendre en charge (nombre rudimentaire de centres d’hébergement, manque de formation du personnel qui fait face à ces femmes-là, etc.) Les associations féministes dénoncent constamment ces lacunes, mais l’Etat fait la sourde oreille, pire, une majorité de députés sont foncièrement contre l’égalité et ne font que renforcer ces violences qui aboutissent aux féminicides.

 

Propos recueillis par Nadir Iddir