L’épineuse question des détenus d’opinion
En Algérie, des centaines de citoyens ont été interpellés, poursuivis et incarcérés depuis le déclenchement du Hirak en février 2019.
Près de 300 détenus, incarcérés pour des faits liés au mouvement, sont actuellement derrière les barreaux, selon des partis politiques et des organisations de défense des droits de l’homme.
Pour les organisations de défense des droits de l’homme et les activistes, ce sont des détenus d’opinion. Des personnalités politiques comme Abdelaziz Rahabi et des partis comme le FFS ont réclamé à maintes reprises la libération des détenus d’opinion.
Mais pour les autorités, il n’y a pas de détenus d’opinion en Algérie. Pour le pouvoir, ce sont des personnes poursuivies ou condamnées pour des délits prévus dans le code pénal.
Le Comité national pour la libération des détenus (CNLD), un collectif créé pendant le Hirak pour suivre la situation des détenus, tient un listing actualisé des personnes incarcérées, condamnées ou en détention provisoire.
Y figurent les personnes arrêtées au cours de manifestations publiques, celles ayant été poursuivies pour des publications sur les réseaux sociaux et des activistes connus.
Beaucoup sont poursuivis pour des accusations classées comme crimes en vertu de l’article 87 bis introduit dans le code pénal. Même des journalistes et des avocats sont passés par la case prison.
Avant les mesures de grâce du 5 juillet dernier, Amnesty International avait fait état de 266 détenus d’opinion dans les prisons algériennes. 44 d’entre eux ont été touchés par la grâce, mais il y a eu depuis de nouvelles interpellations et incarcérations.
Interpellé sur la question lors de sa dernière rencontre périodique avec la presse nationale diffusée dimanche soir, le président de la République a réitéré qu’il « n’y a pas de détenus d’opinion » en Algérie.
Abdelmadjid Tebboune a répété ce qu’il a eu à expliquer par le passé, à savoir que toutes les libertés sont garanties par la Constitution, à commencer par la liberté d’expression, mais celle-ci notamment ne doit pas être confondue avec l’invective et la diffamation.
Paradoxe
Comment distinguer ceux qui expriment leurs propres idées de ceux qui travailleraient donc pour des intérêts occultes ? De tels crimes sont prévus par la loi et sévèrement réprimés, mais bien entendu, il faut que la justice les prouve d’une manière formelle.
Sans preuves irréfutables de connivence et d’actes contraires aux intérêts nationaux, il s’agirait d’une interprétation élastique de la loi qui compliquerait davantage la situation.
C’est par exemple le très vague chef d’inculpation d’ « atteinte à l’unité nationale » qui a valu des peines de prison ferme à des activistes, des manifestants où des auteurs de publications sur les réseaux sociaux.
En comptant ceux qui ont été libérés, sur une grâce ou après avoir purgé leur peine, ce sont au moins plusieurs centaines d’Algériens (aucun chiffre précis n’est disponible) qui ont connu la prison sans être des délinquants. Cette situation n’est dans l’intérêt de personne, encore moins à l’image du pays.
Même s’il a toujours soutenu qu’il n’y a pas de détenus d’opinion en Algérie, le pouvoir a initié plusieurs grâces et mesures de remises en liberté collectives.
Dans les jours qui ont suivi l’élection de Abdelmadjid Tebboune, plus de 80 détenus ont été remis en liberté d’un coup.
D’autres opérations ont suivi, mais les nouvelles incarcérations n’ont jamais cessé, y compris, paradoxalement, après le lancement de l’initiative présidentielle de rassemblement et de renforcement du front interne face aux défis extérieurs. La question est visiblement épineuse et d’une grande complexité. Elle constitue l’un des principaux points d’achoppement entre le pouvoir et une partie de la classe politique.