Said Salhi : « l’avant-projet de loi sur les associations est une régression, même s’il consacre le régime déclaratif » (Entretien)

Radio M., 20 juin 2022

Le vice-président de la Ligue Algérienne pour la Défense des Droits de l’Homme ( LADDH) , Said Salhi, affirme dans cet entretien avoir consulté l’avant-projet de loi sur les associations, examiné hier par le Conseil des ministres. Il estime que le pouvoir est contraint de se conformer aux standards internationaux en matière de création des associations, mais il ne veut pas perdre le contrôle sur la vie associative.

Le conseil des ministres a, une nouvelle fois, renvoyé l’avant-projet de loi sur les associations pour enrichissement. Un commentaire ?

L’amendement de la loi sur les associations est attendu du fait qu’il y a obligation d’adaptation de la loi 12/06 en cours à la nouvelle constitution, qui consacre, entre autres, le régime déclaratif à la place du régime d’autorisation préalable. Il faut rappeler que, déjà, la loi 12/06 est largement critiquée par les associations et a été derrière la disparition de beaucoup d’associations, enregistrées sous l’ancienne loi 90/31. La loi en cours qui consacre le diktat de l’administration sous fonds d’une approche sécuritaire, n’a pas contribué au développement des associations et de la société civile. La LADDH, avec une coalition d’ associations nationales, a porté en octobre 2018 un plaidoyer avec une proposition de loi alternative pour la consécration des libertés d’association, de réunion, d’organisation, conformément au standard universel des droits humains.

Cette proposition de loi alternative puise sa force d’une longue expérience de pratique associative en Algérie. Elle propose des réponses à toutes les lacunes, entraves et faiblesses des anciennes lois, en matière de pratique associative, de partenariat avec les acteurs étatiques, les ONG et institutions internationales, du financement et la notion de l’utilité publique, de l’entrepreunariat associatif et gestion de projet de développement. Malheureusement, notre proposition n’a pas été prise en considération. Les associations, particulièrement les associations autonomes, n’ont pas été consultées ou associées à l’élaboration du nouveau projet de loi.

Ce que nous constatons, au plan de la démarche et de la forme : ce texte intervient dans un climat de fermeture et de répression des libertés fondamentales. Comme toutes les précédentes, cette nouvelle loi, en perspective, est l’œuvre du ministère de l’intérieur, donc de l’exécutif. On se pose bien la question : comment le même ministre qui est derrière la dissolution des associations et des partis politiques puisse évoluer sur le droit d’association ?

Sur le fond, l’avant-projet que nous avons pu consulter, bien qu’il apporte des éléments nouveaux dans le sens de l’allègement des procédures de création et d’enregistrement en conformité avec la constitution qui consacre le régime déclaratif, reste flou et l’administration reste inflexible sur des questions non moins importantes liées à la vie associative, la question du partenariat, des financements, des rapports avec les partis et le pouvoir politique. En résumé, l’administration garde toujours la main et le contrôle sur les associations.

Ce nouveau report du projet, par le conseil des ministres, peut-il répondre aux craintes que vous venez d’exprimer?

Il semble que le pouvoir veut lâcher du lest sur le point lié à la création des associations en consacrant le régime déclaratif. C’est une exigence des Nations Unis qui va envoyer son rapporteur en Algérie, en septembre prochain. Mais le problème ne sera pas réglé tant que la loi sur les manifestations pacifiques et réunions publiques qui continuent à consacrer le régime d’autorisation préalable, reste en vigueur. Comme Vous pouvez constater, des partis et des associations existent bien, mais ils ne peuvent rien faire, tant que le champ associatif, politique et syndical est toujours fermé.

C’est donc, le statut quo ?

Pire que le statut quo, c’est la régression. Aujourd’hui le champ associatif est totalement fermé, les militants qui continuent encore à travailler de manière autonome sont considérés comme des ennemis, jetés à la vindicte populaire et accusés d’être à la solde de l’étranger.

Le pouvoir a, en revanche, choisi sa société civile, docile, incolore et inodore. Elle est bien organisée dans l’observatoire de la société civile installé récemment par le président de la république. Pour le reste, c’est-à-dire les associations autonomes, on voit bien le sort qui leur est réservé. RAJ , SOS Bab El Oued, SDH en sont l’exemple. La situation recommande un nouveau cap, d’ouverture surtout, le reste découlera de lui-même.

Entretien : M. Iouanoughene