Agriculture : l’Algérie face à des choix stratégiques

Djamel Belaid, TSA, 04 Mai 2022

L’Algérie a réservé une enveloppe de 35 milliards de DA afin de soutenir le prix du sucre et de l’huile de table. Pour réduire les importations d’oléagineux, les potentialités de production locale d’huile ne sont pas négligeables : olive, colza, tournesol, arachide.

L’engouement des agriculteurs pour le colza est réel. En avril, la campagne s’est couverte du jaune des champs de colza en fleurs. Dans de nombreuses wilayas, des agriculteurs ont réservé quelques hectares de leurs terres à cette nouvelle culture. Dans la wilaya de Tarf, bénéficiant d’une pluviométrie exceptionnelle, les colzas hybrides de la variété Invigor (Basf) ont atteint une hauteur de près de 2 mètres.

Relance de la culture de colza, la Tunisie à l’honneur

L’Algérie n’est pas le seul pays à relancer cette culture. La Tunisie développe également un ambitieux programme. Selon l’expert tunisien Ridha Bergaoui, il serait possible de cultiver 150 000 ha. Avec un rendement moyen de 1,6 tonne/ha, la production permettrait d’atteindre 240 000 tonnes, de quoi produire environ 96 000 tonnes d’huile et 144 000 tonnes de tourteau.

« Le colza permettrait ainsi, dans quelques années, de couvrir près de 50% et 25% respectivement de nos besoins en huiles végétales et tourteaux » analysait récemment cet expert dans la presse tunisienne. Outre une importante économie en devises, une production supplémentaire de 45 000 tonnes de blé serait à prendre en compte car le colza s’avère être un bon précédent cultural pour les céréales.

Les surfaces ont atteint 15 000 ha en 2020 et 25 000 ha l’année passée. Le rendement est de 15 qx/ha mais avec des pointes à 30 qx.

Des semences hybrides à haut rendement

En Algérie, il s’agit de la deuxième année de relance de la culture du colza. Le programme du ministère de l’Agriculture et du Développement rural est ambitieux et vise la plantation de plusieurs milliers d’hectares notamment dans les zones bénéficiant de 400 mm de pluie.

Afin d’intéresser les agriculteurs, le prix d’achat du quintal de colza a été fixé à 9 000 DA contre 7 500 DA l’année passée. Il est vrai que cette culture est exigeante en engrais. Les désherbants et les semences hybrides importées ont également un coût.

L’utilisation de ce type de variétés, l’expérience acquise, les conseils de l’encadrement technique et une pluviométrie clémente ont permis une réussite de la campagne en cours. Après la floraison, les plantes ont formé des siliques (gousses) et ont bénéficié à nouveau de la pluie. De quoi permettre un bon remplissage des grains.

Le colza complémentaire des céréales

Cette année, les rendements pourraient être bien supérieurs à 25 qx/ha et assurer une confortable marge bénéficiaire mais à condition de récolter les parcelles à maturité car le colza est sensible à l’égrenage.

Autre avantage, le colza présente un effet nettoyant. Il laisse un champ débarrassé des mauvaises herbes ce qui profite à la culture de blé qui suit. A ce titre, les surfaces de colza ne concurrencent pas la production de céréales, mais la favorisent.

Le colza est aussi présent dans le grand sud algérien sous pivot. Une première mondiale. Dans la daïra d’El Kort (Timimoune), Mohammed Salaoui fait état de 80 hectares et la culture présente un bel aspect. Sur les réseaux sociaux, il note : « C’est la première expérience. Nous espérons que vous cela donnera un rendement encourageant. »

Seule ombre au tableau, quelques champs avec des colzas nains à Guelma. La qualité des semences serait en cause.

Cette production encore balbutiante pourrait permettre de réduire le niveau des importations. Les prix atteignent 1100 €/tonne contre seulement 350 €/t en 2019.

Le tournesol, un grand absent des champs algériens

Dans les années 1980, la culture du tournesol a été testée; malgré des résultats honorables (15 à 20 qx/ha), elle a été abandonnée. A l’époque, il n’existait pas d’atelier de trituration. Depuis, 2019 l’usine AGC-SIM d’El Hamoul (Oran) est entrée en production.

Le tournesol ne fait pas l’objet du soutien actuellement accordé au colza. C’est même le grand absent du programme oléagineux.

Pourtant, il existe actuellement des variétés à haut rendement résistantes au stress hydrique. Certaines variétés peuvent même être semées dès l’automne sur des sols profonds et produire 28 quintaux. Pour des tournesols semés au printemps, une irrigation d’appoint à la floraison permet des rendements de 35 à 40 quintaux.

Irrigation, privilégier les cultures stratégiques

L’irrigation d’appoint des céréales ou du tournesol pose la question des priorités à accorder aux cultures.

Récemment l’enseignant chercheur Mohamed Taher Srairi dénonçait l’utilisation anarchique au Maghreb des ressources hydriques souterraines : cultures d’agrumes plantées dans des régions ne recevant que 200 mm de pluie pour des arbres en nécessitant 1 200 mm/an, pastèque et « palmiers dattiers de variété marchande dans des confins désertiques (pluie inférieure à 50mm/an), afin de profiter de la précocité de la production et donc de prix parfois attrayants. »

La mode est aussi à la culture de banane sous serre ou d’avocatiers, une plante tropicale aux besoins de 1 600 mm par an, dans des zones ou il pleut moins de 600 mm/an. A chaque fois, « dans ces régions, il n’y a pas d’autre alternative que l’irrigation abusive durant l’été. » Le chercheur s’inquiète que la fourniture d’eau aux villes en été puisse être compromise.

Plus que jamais, la pandémie du Covid 19 et la crise ukrainienne amènent l’Algérie à s’interroger sur les choix stratégiques afin d’assurer plus sa sécurité alimentaire.