Il était une fois le hirak

Abdelghani Aïchoune, El Watan, 22 février 2022

Trois ans se sont écoulés depuis ce fameux 22 février 2019, où des centaines de milliers d’Algériens sont sortis à travers le pays pour dire non à un 5e mandat de Bouteflika et réclamer le «changement du système». Les bilans sont contrastés aujourd’hui sur ce qui a été réalisé ou non depuis, alors que les inquiétudes sont réelles sur la situation des droits humains et la liberté d’action politique.

L’approche strictement «sécuritaire», qui a été adoptée par les autorités dans leur traitement du mouvement populaire, semble se poursuivre plusieurs mois après la fin des marches hebdomadaires.

Cela fait aujourd’hui trois ans, jour pour jour, que les Algériens sont sortis en masse, un certain 22 février 2019, à travers toutes les wilayas du pays, pour, dans un premier temps, empêcher le «cinquième mandat» de l’ancien président, Abdelaziz Bouteflika, au pouvoir depuis 1999 et dont la dernière intervention publique remontait à 2013, et par la suite réclamer le changement du régime.

Un troisième anniversaire qui survient dans un contexte marqué par davantage de craintes par rapport à la situation des libertés et des droits de l’homme et alors que les marches hebdomadaires du hirak ont cessé depuis mai 2021, empêchées par les services de sécurité.

Le 9 mai 2021, le ministère de l’Intérieur avait rendu public un communiqué dans lequel il demande aux «organisateurs» des marches de déclarer, auprès de ses services, leurs noms, la date, les horaires, l’itinéraire et les slogans qui seront scandés, celles-ci ayant repris au mois de février de la même année après un premier arrêt qui a duré plusieurs mois pour cause de propagation du coronavirus (de mars 2020 à février 2021).

Que reste-t-il aujourd’hui de cet extraordinaire élan populaire qui a été encensé partout dans le monde, notamment pour son caractère pacifique ? Si le hirak a pu empêcher le cinquième mandat, qui était perçu comme une «provocation», le changement réclamé n’arrive pas, même si dans la foulée plusieurs enquêtes relatives à la corruption, ayant débouché sur des procès, ont été enclenchées, des personnalités de premier ordre de l’ère Bouteflika ayant fini en prison.

L’annonce de la démission de l’ancien Président le 2 avril 2019 a été saluée par les manifestants durant les vendredis et mardis, les deux jours hebdomadaires de manifestation, qui ont suivi. Le processus électoral mis en place, ayant mené dans un premier temps à l’élection présidentielle du 12 décembre 2019 qui fait élire Abdelmadjid Tebboune à la tête de l’Etat, après l’annulation du rendez-vous du 4 juillet faute de candidats, n’a pas convaincu beaucoup d’Algériens, y compris la classe politique de l’opposition.

Une élection présidentielle qui a enregistré un taux de participation de 39%, alors que les chiffres sont plus bas encore pour les rendez-vous électoraux qui ont suivi (23% lors du référendum sur la Constitution du 1er novembre 2020, 23% lors des législatives du 12 juin 2021 et 36% pour les locales du 27 novembre 2021).

Scepticisme

Les promesses de réformes qui ont été faites ne semblent pas, jusque-là, être suivies d’effet. Les élections de juin et novembre 2021, législatives et locales, ont reconduit pratiquement la même reconfiguration politique.

Ceci, au moment où les arrestations d’activistes du hirak se sont multipliées. Plusieurs d’entre eux sont en prison, certains ont été libérés, alors que d’autres sont en attente de leur procès. Des partis politiques et associations qui étaient présents dans le mouvement évoquent des «pressions».

C’est le cas, par exemple, pour le RCD, le MDS, dont le coordinateur national Fethi Ghares est en prison, ou le PST qui a été dissous, tout comme l’association RAJ. Une période marquée également par l’adoption de plusieurs lois ou amendements de lois, jugés «liberticides» par les formations politiques de l’opposition et les défenseurs des droits de l’homme – c’est le cas de l’article 87 bis du code pénal qui définit l’acte terroriste et le sabotage adopté en juin 2021.

L’approche strictement «sécuritaire» qui a été adoptée par les autorités dans leur traitement du mouvement populaire, semble se poursuivre plusieurs mois après la fin des marches hebdomadaires. Existe-t-il des «craintes» quelque part d’un retour du hirak, qualifié de «béni» dans un premier temps par le chef de l’Etat, et même inscrit dans le préambule de la Constitution de 2020, avant que des officiels distinguent le «hirak originel», celui qui a empêché le cinquième mandat, du «néo-hirak», qui a poursuivi les manifestations, notamment après le deuxième anniversaire et qui seraient sous l’influence de l’idéologie islamiste ?

Dans tous les cas de figure, certaines formations politiques ont commencé à faire le bilan de ce qui a été réalisé ou pas, trois ans après le déclenchement d’un mouvement de contestation d’une ampleur inégalée.

Face aux réserves des uns, notamment parmi ceux qui ont pris fait et cause pour le processus électoral engagé, le scepticisme est de mise chez beaucoup de personnalités et formations politiques de l’opposition.