Chômage, pré-emploi et CDD: Radioscopie d’un précaire marché du travail

Liberté, 8 février 2022

Même s’il est difficile de remettre en cause leur fiabilité, les statistiques officielles paraissent pourtant insuffisantes pour photographier la situation réelle d’un marché du travail fortement affecté par la pandémie et les mesures de confinement sanitaire.

Le marché du travail dans la wilaya d’Oran, qui semble se remettre lentement de la pandémie, enregistre des “performances” en matière de placement de demandeurs à l’échelle nationale derrière la capitale. C’est ce que la direction de l’emploi affirme, alors que les observateurs du marché du travail pointent de nombreux biais qui appellent à relativiser les chiffres officiels.

“Le marché du travail semble se remettre de la pandémie. Nous avons recensé 18 000 placements en 2021 contre 16 000 durant la pandémie. La wilaya d’Oran enregistre des performances en matière de placement de demandeurs d’emploi au niveau national et se situe juste derrière la capitale. Le taux de chômage de la population active a ainsi baissé de 14,46 à seulement 7,41% en 2021”, se félicite le directeur de l’emploi de la wilaya d’Oran, Abdelkader Mekki.

Le taux de chômage à Oran est désormais en deçà du niveau national, qui tourne autour de 11%. Une baisse en trompe-l’œil qui ne reflète pas la réalité du marché du travail ? Même s’il est difficile de remettre en cause leur fiabilité, les statistiques officielles paraissent pourtant insuffisantes pour photographier la situation réelle d’un marché du travail fortement affecté par la pandémie et les mesures de confinement sanitaire.

Le risque de distorsion de la réalité du marché du travail par les chiffres officiels doit ainsi être sérieusement pris en considération. Le déficit en enquêtes de terrain pouvant donner une description synchronique détaillée du marché en Algérie est un obstacle majeur pour les observateurs économiques qui essaient de suivre l’évolution de l’emploi.

La baisse du taux de chômage n’est pas un indicateur fiable de la situation du marché du travail. Les derniers rapports des institutions internationales ont averti que le taux de chômage a baissé dans de nombreux pays, non à cause d’une reprise du marché du travail, mais en raison du changement des comportements des chômeurs suite aux confinements successifs. Nombre de demandeurs ont ainsi renoncé à chercher du travail en raison des mesures de confinement sanitaire et du rétrécissement des possibilités d’emploi de “qualité”.

Emplois précaires
En Algérie, les secteurs qui recrutent le plus aujourd’hui – le BTPH et certaines activités de services – seraient en effet boudés par les jeunes, qui fuient les métiers pénibles et mal rémunérés. “Je peux placer n’importe quel demandeur à Oran, sur le champ, dans un poste d’emploi, à condition qu’il ne soit pas trop exigeant”, prétend le directeur de l’emploi, en qualifiant certains demandeurs d’emploi de “chômeurs de luxe” qui cherchent un travail facile et bien rémunéré.

“Certains jeunes chômeurs à Oran, même ceux n’ayant aucune qualification professionnelle, boudent les métiers manuels réputés pénibles (ouvriers de chantiers, maçons…). Ils préfèrent les postes d’agent de sécurité et, si possible, dans la société 2SSP chargée de la sécurisation des zones pétrochimiques et des installations de la Sonatrach, à Bethioua et à Arzew”, précise notre interlocuteur.

Si les jeunes chômeurs rechignent à travailler, c’est, en réalité parce qu’ils refusent des emplois de plus en plus précaires qui n’offrent aucune perspective de carrière ou de développement professionnel.

Le dernier rapport de l’Agence nationale de l’emploi (Anem) pour le mois de novembre 2021 confirme que les demandeurs d’emploi sont de plus en plus exigeants, particulièrement en matière de salaire et de conditions de travail. Près de la moitié des demandeurs (46% pour être plus précis) ont refusé de travailler dans le secteur privé, qui propose des salaires faibles et des conditions de travail “pénibles”.

Les demandeurs estiment également que le secteur privé offre peu de garanties d’obtenir un revenu décent dans un avenir proche. Les salaires faibles proposés par le privé restent le premier motif de refus de travail. De nombreux employeurs privés rémunèrent leurs recrues au smig ou proposent des salaires moyens entre 25 000 et 35 000 DA pour un travail à plein temps, six jours sur sept, souvent sans aucun avantage (transport, restauration, primes…).

Le privé a mauvaise presse parmi les demandeurs d’emploi qui, souvent, gardent de mauvais souvenirs de leurs premières expériences de travail dans ce secteur. “Le travail dans le secteur privé est instable, occasionnel et les conditions sont difficiles, en particulier sur les chantiers de construction. Souvent, les employeurs privés proposent des postes abrutissants et sans possibilité de faire carrière ou de gravir les échelons.

Opérateur sur machine, manœuvre de chantier, femme de ménage, vendeur, plongeur dans un restaurant…, toutes ces offres d’emploi ont en commun d’être en CDD. Le pire, c’est le salaire indécent et parfois incertain. Avec le renchérissement du coût de la vie, les salaires du privé deviennent dérisoires et il faut réfléchir à deux fois avant d’accepter un boulot”, témoigne ce père de famille qui a fait l’essentiel de sa carrière dans le privé.

Pas d’avenir dans le BTPH
Le BTPH est le secteur le plus boudé par les jeunes demandeurs d’emploi, au point que nous assistons à une pénurie de main-d’œuvre sur les chantiers, à Oran et ailleurs. Certes, les salaires faibles dissuadent la majorité des candidats, mais ce sont surtout les conditions de travail et les risques élevés d’accident qui font fuir les jeunes demandeurs. Dépenser une bonne partie de son salaire pour la nourriture et le transport avec le risque de devenir handicapé ne semble pas encourager les jeunes à faire carrière dans ce secteur.

Le déficit en main-d’œuvre dans le BTPH est, d’ailleurs, comblé par les ressortissants subsahariens qui exercent sur les chantiers au vu et au su de tous. La précarité de l’emploi et la crise sanitaire ont convaincu de nombreux demandeurs à renoncer à chercher du travail ou à opter pour le secteur informel, qui est le premier pourvoyeur d’emplois en Algérie.

Des jeunes diplômés préfèrent continuer leurs études pour optimiser leurs chances de trouver un travail qui réponde à leurs ambitions. “Les offres d’emploi sont limitées. Je préfère donc continuer mes études pour décrocher un mastère, en attendant des jours meilleurs”, témoigne ce jeune licencié.

Les chômeurs ne sont pas les seuls à avoir revu leurs exigences à la hausse. De plus en plus de travailleurs, notamment ceux qui exercent dans le privé, s’inscrivent à l’Anem pour chercher de meilleures opportunités. Sur les 84 204 demandeurs d’emploi inscrits à l’Anem dans la wilaya d’Oran, 52 040 sont sans emploi alors que 32 164 disposent d’un travail qu’ils sont prêts à quitter pour un emploi plus adapté à leurs compétences et, surtout, mieux rémunéré.

Il faut savoir qu’en Algérie, le nombre des demandeurs d’emploi enregistrés à l’Anem n’a pas cessé de progresser ces dernières années : il dépasse désormais les 2,1 millions de personnes et ce nombre risque de s’élever dans les mois à venir avec l’application de l’allocation-chômage prévue par la dernière loi de finances 2022.

71% des chômeurs en préemploi intégrés
Les jeunes chômeurs qui fuient le secteur privé sont toutefois prêts à faire des compromis pour garder un poste d’emploi, même mal rémunéré, dans le secteur public qui offre plus de garanties de pérennité. Les contrats en préemploi dans les institutions et établissements publics sont ainsi souvent considérés par les jeunes demandeurs comme un “sésame” pour accéder à un poste permanent dans le public.

Et beaucoup de ceux qui ont travaillé dans le préemploi ont des raisons de se réjouir : les pouvoirs publics ont lancé récemment une vaste opération d’intégration des jeunes bénéficiaires des dispositifs d’aide à l’insertion professionnelle (DAIP) et d’insertion sociale des jeunes diplômés (PID) dans les institutions et établissements étatiques.

À Oran, 71% des jeunes bénéficiaires de contrats de préemploi ont été intégrés dans des postes avec des contrats à durée indéterminée (CDI), affirme le directeur de l’emploi. “Au 31 décembre 2021, nous avons atteint un taux d’intégration de 71%. Au total, 3 415 jeunes ont bénéficié de l’intégration ou de la titularisation dans des postes de travail. L’opération est toujours en cours et se poursuivra jusqu’en 2023. Nous avons l’un des meilleurs taux d’intégration au niveau national”, affirme encore le responsable.

Reportage réalisé par : AREZKI M.