Le gouvernement veut revoir les modalités d’exercice du droit syndical: Quel avenir pour l’UGTA ?

Liberté, 18 janvier 2022

Pour la troisième fois en quelques semaines, le Conseil des ministres a abordé la question de l’exercice de l’activité syndicale. Si pour l’heure, les grandes lignes de cette nouvelle loi ne sont toujours pas connues, les syndicats autonomes, eux, en revanche, sont inquiets d’un possible recul du droit syndical.

Le communiqué du Conseil des ministres, rendu public dans la soirée de dimanche, ne fournit aucun détail sur le contenu de ce texte en projet. “Nous attendons toujours les détails”, indique Lyès Merabet, secrétaire général du Syndicat national des praticiens de santé publique (SNPSP).

Dans le communiqué, la présidence de la République a juste annoncé que le Conseil des ministres a examiné dans sa réunion, une série de dispositions inhérentes aux modalités d’exercice du droit syndical, dont une proposition sur la nécessité de “s’éloigner définitivement — dans le cadre de la loi — des pratiques politiciennes, et du lien organique entre les syndicats et les partis”.

Le communiqué évoque également la nécessité “d’entamer un large débat autour des propositions inhérentes aux modalités d’exercice du droit syndical, conformément à la teneur de la Constitution, des lois de la République et des lois internationales en vigueur, en prenant en considération que l’action syndicale est l’un des fondements de la démocratie, tel que stipulé dans la Constitution”.

Les dispositions proposées concernent également “le retour aux bases de l’action syndicale appliquées à l’international, à savoir la défense des droits des travailleurs et la promotion du climat de travail”, ajoute le texte. Le discours du chef de l’État sur les relations entre politiques et syndicats n’est pas nouveau.

Les autorités ont toujours voulu “distinguer” entre les activités syndicales et celles partisanes des syndicalistes. Ce qui est d’ailleurs prévu dans la loi. Mais la règle n’a jamais été appliquée au syndicat officiel, l’UGTA.

Née dans le feu de la Révolution pour l’indépendance du pays, l’UGTA a longtemps constitué une base sociale et politique pour le pouvoir en adoptant ses orientations économiques au détriment parfois des intérêts mêmes des travailleurs.

Seule à être admise dans les rencontres officielles, la Centrale syndicale, si l’on excepte la parenthèse du défunt, Abdelhak Benhamouda, a toujours servi de béquille et de porte-voix des politiques gouvernementales. Elle a toujours fait de la politique en s’impliquant même dans les campagnes électorales au profit des candidats du pouvoir.

En 2014, puis en 2019, à titre d’exemple, l’ancien secrétaire général, Abdelmadjid Sidi-Saïd avait fait campagne pour la réélection d’Abdelaziz Bouteflika, en dépit de la santé chancelante du défunt, se permettant même de brocarder ceux qui n’allaient pas choisir le président déchu.

L’ombre du BIT

Chez les syndicats autonomes, la question est pourtant tranchée. “Nous avons noté dans nos statuts qu’il faut séparer le travail syndical de l’activité partisane et qu’un membre de notre organisation ne peut pas avoir de lien organique avec un parti politique.

Mais on ne peut pas interdire à un syndicaliste d’avoir des opinions ou des avis politiques”, affirme Boualem Amoura, secrétaire général du Syndicat national des travailleurs de l’éducation et de la formation (Satef).

Ce dernier rappelle que ce qui est interdit aux syndicats autonomes est, en revanche, autorisé pour l’UGTA, le syndicat qui a toujours accompagné les pouvoirs publics. Mais derrière cette annonce présidentielle, se cache un courrier du Bureau international du travail (BIT).

Adressé aux responsables algériens en juin 2019, ce document exhorte les autorités algériennes à mettre notamment en conformité la réglementation algérienne avec les normes de l’organisation internationale. Il s’agit notamment des critères de représentativité, de la protection des syndicalistes et des financements des syndicats. Or, fait remarquer Lyès Merabet, “dans le monde entier, la représentativité d’un syndicat est reconnue dès 5% à 8%. Or, chez nous, le taux est de 20%”.

Ce seuil de représentativité est “impossible” à obtenir avec le nombre incroyable de syndicats agréés ces derniers temps. “Rien que dans l’éducation, il y aura bientôt trente-trois (33) organisations”, indique Amoura qui déplore “une volonté d’émietter l’activité syndicale de sorte à justifier l’absence de représentativité”.

L’autre sujet de préoccupation est lié à la reconnaissance d’autres centrales que celle de l’UGTA. Or, jusqu’à présent, les autorités refusent d’agréer le Conseil des syndicats algériens (CSA), dont la demande a été introduite depuis longtemps, un conseil constitué pour l’essentiel des syndicats de la Fonction publique (santé, éducation notamment).

On prête çà et là, même si rien pour l’heure ne l’indique, des intentions aux autorités de vouloir garder uniquement l’UGTA, un syndicat qui s’est effacé de la scène depuis l’émergence du mouvement populaire. Traversé par des remous, sa restructuration après l’intronisation d’un nouveau SG, se fait loin des feux de la rampe. Pourtant, “dans l’éducation, je suis certain que cette organisation (UGTA) n’est pas du tout représentative”,soutient mordicus Boualem Amoura.

Si des syndicats autonomes sont reconnus dans le secteur de la Fonction publique, ils sont quasiment absents dans le secteur économique. Deux organisations “indépendantes”, créées dans deux entités économiques, ont subi les foudres de l’administration dès lors qu’elles n’ont pas adhéré au “syndicat-maison”, l’UGTA.

C’est ainsi que le secrétaire général du Syndicat autonome des postiers, Mourad Nekkache, et un autre cadre ont été licenciés depuis 2014 pour avoir exercé l’activité syndicale en dehors de la Centrale créée par Aïssat Idir. “Une décision de justice nous a réhabilités depuis 2016. Mais jusqu’à ce jour, la direction d’Algérie Poste refuse de nous réintégrer”, regrette Mourad Nekkache.

Un autre syndicaliste, travaillant dans le secteur de la maintenance à Air Algérie, a dû renoncer à son organisation syndicale pour éviter d’éventuelles sanctions. Reste que pour l’heure, rien ne filtre sur la manière dont les autorités entendent mettre de l’ordre dans l’activité syndicale.

Pour l’instant, le projet du gouvernement est au stade de l’élaboration. Le chef de l’État a demandé “un large débat”. Une option accueillie favorablement par les syndicats autonomes. “Nous demandons à être associés à toute initiative. Nous avons déjà remis des documents dans ce sens aux autorités. Mais depuis, il n’y a rien eu de concret”, regrette Lyès Merabet.

“Il est très important d’ouvrir le débat sur ce dossier. C’est un grand chantier. Nous sommes un pays d’une grande expérience syndicale. Le syndicalisme a joué un rôle prépondérant dans l’histoire de notre pays depuis déjà le mouvement national, il a joué un rôle important également au lendemain de l’indépendance, mais aussi dans l’élaboration des politiques économiques jusque dans les années 1980.

Le syndicalisme, in fine, fait partie de la culture revendicative des Algériens. Il est ancré dans la société. Aussi, il est utile de souligner que l’activité syndicale en Algérie a toujours été pacifique. L’histoire est jalonnée de grèves menées par des syndicats et de manière totalement pacifique et sans violence.

Ce débat annoncé peut être une occasion pour capitaliser toutes ces expériences en les adaptant aux mécanismes actuels du monde du travail. Il est utile pour une refonte de la doctrine syndicale et la redéfinition des rôles de chacun, des droits et des devoirs de chaque partie : salarié, employeur, pouvoirs publics. L’activité syndicale est vitale pour la société”, relève à ce titre, Nacer Djabi (voir entretien ci-contre).

Ali BOUKHLEF