Algérie-Ligue des Etats arabes: Diplomatie sur un champ de mines

R. N., Le Quotidien d’Oran, 18 janvier 2022

L’Algérie cherche à convaincre de sa volonté de donner aux sommets africain et arabe une orientation politique qui vise à consacrer la convergence des idées et des positions de leurs pays membres en faveur, en premier, des questions à examiner le jour de leur tenue, ensuite, en faveur d’actions collectives pour amorcer le règlement des problèmes qui minent les deux régions.

Après une éclipse de plusieurs jours à cause, dit-on ici et là, d’une contamination au coronavirus, le ministre des Affaires étrangères et de la Communauté nationale à l’étranger (MAECNE), Ramtane Lamamra, a repris sa canne de pèlerin pour entamer un périple diplomatique à travers le continent africain et dans le monde arabe en prévision des sommets que les deux régions prévoient de tenir le premier le 5 et le 6 février à Addis-Abeba en Ethiopie, et le second à Alger le 22 mars prochain, date non encore annoncée officiellement. Le périple risque d’être long mais surtout contraignant pour le chef de la diplomatie algérienne tant l’Algérie semble déranger des lobbys qui s’incrustent progressivement mais sûrement dans les maillons les plus pesants des pays membres de la Ligue des Etats arabes et de l’Union africaine et aussi à proximité de toutes ses frontières. Première halte, mardi dernier, Lamamra était à Ryadh, en Arabie Saoudite, un pays dont le poids pèse lourdement sur les évolutions du monde arabe et au-delà. Élément clé dans la région du Golfe, Ryadh a plus que son mot à dire sur le déroulement du sommet de la Ligue arabe dont la tenue à Alger est annoncée par certains milieux diplomatiques pour le 22 mars prochain. Une date qui ne peut cependant être confirmée officiellement avant qu’Alger n’obtienne le consensus arabe requis pour un tel événement. Au-delà d’un communiqué du ministère algérien rapportant des circonstances diplomatiquement correctes, l’on ne saura rien de palpable sur le contenu des consultations entre les deux ministres algérien et saoudien. Lamamra était porteur d’un message écrit du président de la République, Abdelmadjid Tebboune, à son homologue saoudien le prince Mohamed Ben Salmane Ben Abdelaziz Al Saoud mais qu’il s’est cependant contenté de remettre à son homologue le prince Fayçal Ben Farhan Ben Abdallah Al Saoud. L’on relève inévitablement que le chef de la diplomatie algérienne n’a pas été reçu par le prince héritier encore moins par le roi.

Lamamra en quête d’un consensus arabe

Samedi dernier, Lamamra a atterri aux Emirats arabes unis, porteur aussi d’un message écrit de Tebboune à son homologue émirati Khalifa Ben Zayed Al Nahyan. Un message qu’il a remis à son homologue, Abdallah ben Zayed Al Nahyan, le ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale qui l’a reçu en audience à Abou Dhabi. Ni son tweet encore moins le communiqué de son ministère n’ont dévoilé la teneur de la position saoudienne et émiratie sur notamment l’ordre du jour du prochain sommet des Etats arabes. Le MAECNE a continué son périple en s’arrêtant au Caire, en Egypte, où, rapporte dimanche un communiqué de son ministère, «a tenu une séance de travail avec son homologue égyptien, Sameh Choukri, durant laquelle les deux responsables ont convenu de l’importance de hisser la cadence de coordination entre les délégations des deux pays au sein de l’Union africaine pour soutenir les solutions pacifiques aux crises, réaffirmant leur détermination à œuvrer de concert pour faire réussir le prochain Sommet arabe en Algérie». Chevauchant sur le monde arabe et l’Afrique, l’Algérie et l’Egypte portent une responsabilité double, celle d’être partie prenante dans l’évolution de la Ligue des Etats arabes et aussi de l’Union africaine. Ce qui a laissé Lamamra rappeler «les efforts inlassables de l’Algérie au niveau du Conseil de paix et de sécurité africain pour permettre à la République du Mali et à la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) de surmonter la crise actuelle de manière à préserver les acquis et les perspectives du processus de paix et de réconciliation nationale menés par l’Algérie dans ce pays frère».

Il a en outre examiné avec son homologue égyptien «les derniers développements de la crise libyenne et les perspectives d’activer la solution politique pour mettre un terme aux interventions étrangères dans ce pays frère». Notons que Lamamra a été reçu hier par le président égyptien, Abdalfattah Al Sissi, à qui il a remis un message écrit de Tebboune qu’on annonce partant prochainement pour une visite d’Etat en Egypte. Par ailleurs, à l’issue de la rencontre de Lamamra le même jour avec le secrétaire général de la Ligue des Etats arabes, Ahmed Aboul Gheit, un communiqué a fait savoir que «les deux parties ont abordé le processus de préparation du sommet arabe, mené par l’Algérie en sa qualité de pays hôte, en concertation et en coordination avec ses frères arabes et avec le total soutien du secrétariat de la Ligue arabe, en vue d’assurer la réussite de ce sommet et d’en faire une étape charnière pour l’action arabe commune».

Un ordre du jour qui fait grincer des dents

Le communiqué nous apprend par ailleurs que le chef de la diplomatie algérienne a rencontré, au siège de la Ligue arabe, la conseillère du secrétaire général des Nations unies pour la Libye, Stephanie Williams, «qui a souhaité se rendre prochainement en Algérie pour coordonner les efforts visant à mettre fin à la crise en Libye». Il est important de rappeler qu’Alger veut, pour la tenue du sommet arabe, convaincre les pays membres de (re)mettre la question palestinienne au centre de leurs préoccupations et d’accepter le retour de la Syrie de Bachar Al Assad parmi eux. Ce sont en évidence deux dossiers qui font grincer des dents à de nombreux décideurs arabes et qui pourraient faire souffrir l’Algérie dans sa quête d’un consensus en leur faveur. Les raisons d’une telle situation ne sont même pas cachées. C’est au grand jour que les Emirats arabes unis, pour ne citer qu’eux, ont reçu le 22 décembre dernier, le Premier ministre israélien après avoir normalisé, une année avant, leurs relations avec l’entité sioniste. Ryadh aussi reçoit très souvent de hauts responsables israéliens.

Si les Israéliens bombent le torse pour annoncer d’aussi importantes avancées géostratégiques, ils n’ont jamais caché qu’ils en font de même au sein du continent africain. A ne pas oublier que les pays arabes membres du CCG, le Conseil de coopération du Golfe, ont signé, en décembre dernier, un communiqué commun soulignant «leurs positions et leurs décisions constantes en faveur de l’intégrité territoriale du Maroc». Des sources diplomatiques notent au passage que «le Maroc a travaillé pendant plus d’une vingtaine d’années pour s’assurer une opinion aussi favorable auprès de ces pays». D’autres déclarations de responsables saoudiens, émiratis, bahreïnis ou jordaniens ont été faites sur la question d’un ton inhabituellement ferme et tranchant, parfois même menaçant, à l’adresse de ce qu’ils qualifient «de détracteurs du Maroc qui oseraient toucher à ses intérêts»… Ceci sans compter que le rapprochement officiel d’autres pays arabes de l’entité sioniste, en tête le Maroc, a marqué tout l’été dernier. Des responsables libyens cogitent en parallèle pour se retrouver dans les bonnes grâces de l’entité sioniste. Si certains d’entre eux s’en cachent, le maréchal Khalifa Haftar s’en vante ouvertement.

«La décision de tenir un sommet arabe en mars a été précipitée»

C’est, affirment des diplomates, «certainement à la demande de responsables israéliens que la cheffe du gouvernement libyenne a déclaré en novembre dernier céder au Maroc la candidature de son pays au Conseil de sécurité de l’UA». La décision a été annoncée sans vergogne aucune. Dans un tel climat de clivages avérés au sein du monde arabe, l’on pourrait penser que l’annonce par Alger de tenir un sommet des Etats arabes en mars prochain a été précipitée. «C’est un moment très délicat pour tenter d’arracher un consensus autour de l’ordre du jour établi par l’Algérie», estime un ambassadeur conseiller proche du dossier. D’autant que «la représentation diplomatique de l’Algérie auprès des pays arabes les plus influents est très faible», juge-t-il, en soulignant que «de prime abord, il est clair que les conditions objectives pour la tenue du sommet des Etats arabes en mars prochain ne sont pas du tout réunies». Sur le plan stratégique, l’attention est attirée sur le fait que «les déplacements de Lamamra dans un tel contexte pourraient être vains et n’apporter rien de concret à cet effet». Des milieux diplomatiques pensent qu’il est urgent que «de grandes orientations soient données et des décisions prises par le sommet de l’Etat pour limiter les dégâts d’un éventuel rejet de l’ordre du jour par les Etats arabes qui ont toujours influé sur le cours d’événements d’envergure à l’exemple du sommet arabe». Des pays qui, en même temps, ont «le bras long» jusqu’à pouvoir faire consacrer définitivement le statut de membre observateur de l’entité sioniste au sein de l’UA. A deux mois du sommet, l’on remarque que rien n’augure de l’assurance de l’Algérie de pouvoir lui réunir un niveau élevé de représentativité arabe. Si d’ici là, les pronostics dans ce sens s’amoindrissent davantage, il est clair qu’en tant que pays souverain, l’Algérie pourrait le faire reporter à une date ultérieure. Il faudrait alors peut-être s’attendre à ce qu’une telle décision puisse coïncider avec un changement de gouvernement dont l’annonce se fait persistante.