Trente ans après le coup d’État militaire : la dignité intacte du peuple algérien

Algeria-Watch, 11 janvier 2022

La situation de l’Algérie trente ans après le coup d’État du 11 janvier 1992 est extrêmement préoccupante. Les indicateurs économiques et sociaux confirment année après année le recul continu enregistré depuis 2013 et la contraction des prix du pétrole. Le chômage et la misère s’installent de plus en plus visiblement dans un environnement dégradé qui témoigne de la non-administration du pays. L’insigne faiblesse de la réaction des services publics face à la pandémie de la covid-19 illustre l’abandon des populations : l’Algérie, dans le peloton de queue dans tous les classements sociaux, compte parmi les pays aux taux de vaccination les plus faibles de la région.

Dans un contexte de hausse incontrôlée des prix, les pénuries inexplicables et récurrentes de certains produits de base durcissent les conditions d’existence du plus grand nombre. Les Algériennes et les Algériens n’ont plus d’espoir dans l’amélioration de leur situation. La fuite vers des horizons moins bouchés est la solution périlleuse, trop souvent mortelle, massivement choisie par des hommes et des femmes de tous âges et de toutes conditions. L’émigration clandestine vers la rive nord ne connaît plus de saison…

Les dirigeants ne proposent aux Harragas que des barrages de gendarmes ou des patrouilles de garde-côtes. L’Algérie, de fait, n’est plus vraiment gouvernée que par la répression policière. Dans tous les autres domaines, la faillite du régime est consommée. À la corruption et la médiocrité de ses dirigeants militaires, tous héritiers du coup d’État fondateur du 11 janvier, vient s’ajouter l’incompétence flagrante de leurs relais civils qui occupent la façade exécutive. Il suffit de se référer aussi bien aux éditoriaux véhéments mais inconsistants d’El Djeich, le journal de l’armée, qu’aux communiqués conspirationnistes de l’agence de presse officielle, l’APS…

Effondrement interne et recul externe

Sur le plan externe, l’Algérie n’est plus respectée, sa voix ne compte plus. L’intervention de l’OTAN en Libye, celle de la France au Mali et la reconnaissance de l’État d’Israël par le Makhzen néocolonial illustrent la marginalisation diplomatique du pays. La disparition de la scène continentale a permis aux ennemis du panafricanisme de consolider leur présence. Le régime n’a d’autre politique étrangère que la recherche de sponsors ou d’alliés disposés à le soutenir. Les décisions, politiquement significatives, d’associer l’armée algérienne à celle des Émirats arabes unis dans de suspectes joint-ventures ont pour effet premier d’installer un sous-traitant de l’impérialisme au cœur du dispositif stratégique national.

L’affaiblissement de la position du pays est accentué par le refus catégorique des décideurs militaires de reconnaître la plénitude de ses droits au peuple algérien. L’état-major, disposé à tous les réalignements, est contraint malgré tout de tenir compte de l’histoire et des causes défendues par le peuple. Le maintien du soutien officiel à la lutte décoloniale des peuples de Palestine et du Sahara occidental est largement dû à la solidarité populaire.

La posture du sommet du régime, entre manipulations et répression face aux attentes démocratiques du très pacifique Hirak, n’a pour résultat que de prêter le flanc aux manœuvres de déstabilisation des monarchies golfiques et de leurs alliés. Les signaux menaçants, directs ou indirects, des féodalités wahhabites et de leur protecteur israélien visent d’abord le Hirak. Car la principale source d’inquiétude des monarques et de leurs sponsors est bien la contagion démocratique et l’émergence de sociétés politiques autonomes sur le modèle du mouvement populaire algérien. En réprimant les Hirakistes, la contre-révolution répond aux attentes des autocrates, des ennemis du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et des relais de l’hégémonie dans la région.

Ces trente années sous la botte de sous-officiers issus de l’armée coloniale forment la somme des tragédies, des reculs dans tous les domaines et des occasions perdues. La responsabilité des généraux janviéristes et de leurs affidés dans le carnage des années 1990, dans les errements absurdes des années Bouteflika et dans la dérive autoritaire depuis le départ de ce dernier en 2019, est irréfutable. En effet, du contrat de Rome de 1995 au Hirak de 2019, le régime militaro-policier a systématiquement détruit chaque possibilité de sortie de la crise politique, a méthodiquement démantelé une part décisive de la base productive, a écrasé l’encadrement du pays et autorisé le gaspillage insensé de ressources non renouvelables pour l’enrichissement d’une caste de généraux associés à des hommes d’affaires et à leurs clientèles.

Le Hirak a mis à nu la dictature

Dans une exhibition d’une rare indécence, les chefs de l’armée, à la tête de groupes d’intérêts concurrents, s’affrontent en dévoilant la complète décadence de leurs mœurs et leur absence totale de moralité. En précipitant la chute d’Abdelaziz Bouteflika, le Hirak a révélé les fractures au sommet des appareils qui provoquent une suite de règlements de comptes par voie de justice. Le régime à bout de souffle, dirigé par des vieillards coupables des crimes de masse de la « sale guerre », se déchire dans un scandale permanent.

Les chefs de la police, de la gendarmerie et de l’armée sont, de notoriété publique, impliqués dans tous les trafics. Le sommet des appareils de sécurité est compromis et les noms des principaux généraux apparaissent dans des filières internationales de stupéfiants. Il se confirme ainsi aux yeux de tous que le cynisme amoral est la norme dans des cercles dirigeants. Les agissements de ces aventuriers participent d’un assaut en règle contre les fondements d’un État rétabli de haute lutte par un peuple qu’ils méprisent. Le régime criminel né du putsch du 11 janvier 1992 est antinational dans son essence et dans toutes ses expressions.

Le bilan de ces trente années est sans appel : les cercles criminels en uniforme et leurs façades civiles ne peuvent plus dissimuler derrière des leurres idéologiques l’étendue de leur immense forfaiture. Qui croit encore que ces putschistes sans envergure ont sauvé l’Algérie ? Qui peut encore admettre que ces généraux sans honneur représentent une quelconque modernité laïque ou républicaine ?

Le Hirak révolutionnaire, expression de la dignité intacte du peuple, a répondu.