Noureddine Nesrouche accusé d’“atteinte à la sûreté de l’État”

Le journaliste d’El Watan: interrogé au sujet d’un éditorial

Liberté, 29 décembre 2021

Au bout d’un interrogatoire de plusieurs heures, le journaliste Noureddine Nesrouche a été déféré, lundi, devant le procureur de la République qui l’accuse d’“atteinte à la sûreté de l’État”, avant d’être présenté devant le juge d’instruction qui le remettra en liberté provisoire. Hier, le parquet a fait appel, en demandant le placement en détention provisoire du journaliste d’El Watan. Récit.

“Pourquoi avez-vous écrit cet article ? Quelles étaient vos intentions ? Pourquoi pensez-vous que le Chili est un bon exemple ? En quoi sa révolution peut-elle être un bon exemple pour l’Algérie ? Que visiez-vous en faisant le parallèle entre la révolution chilienne et le Hirak ? Que pensez-vous du Hirak ? Avez-vous des contacts avec des ONG étrangères ? Connaissez-vous des journalistes étrangers ?”

Pendant plus de sept heures, ce lundi, de 10h jusqu’à 17h passées, des officiers des services de sécurité se relaieront pour interroger le journaliste Nourredine Nesrouche, correspondant du quotidien francophone El Watan, autour de son éditorial, paru, le 23 décembre dernier, sous le titre : “La leçon chilienne”. Un article qui fait la part belle à l’aboutissement du processus révolutionnaire de 2019, au Chili, couronné par l’élection du jeune président Gabriel Boric, 35 ans à peine. Dans son éditorial, le journaliste d’El Watan n’hésite pas à faire le parallèle entre l’expérience chilienne “réussie” et le Hirak, en Algérie, “mis en sourdine”. Extrait : “Si en Algérie, la contre-révolution, aidée par l’épidémie, a réussi à mettre le mouvement populaire en sourdine, au Chili, en revanche, le système a fini par capituler face à cette gauche renouvelée et très combative”, écrit-il, entre autres.

Ce qui, visiblement, n’a pas été du goût des services de sécurité. Or, il ne s’agit que d’un commentaire de presse. “On m’a interrogé sur mon article juste après mon interpellation devant la porte de la clinique où je m’apprêtais à me rendre pour un contrôle médical. Je suis diabétique”, relate le journaliste d’El Watan, précisant avoir été interpellé par plusieurs officiers en civil, arrivés à bord de nombreuses voitures “banalisées”, avant de l’embarquer et de le conduire aux bureaux de la DGSI. Et ce n’est que vers 17h30 que Noureddine Nesrouche quittera ces bureaux pour être conduit, cette fois, chez le procureur de la République. “Arrivé sur place, j’ai eu droit à des remontrances de la part du procureur sur mon éditorial : ‘Votre article risque d’induire en erreur. Vous ne devriez pas écrire comme cela. Les Algériens risquent de ne pas comprendre…’”, lui dit le procureur, avant d’être ensuite présenté devant le juge d’instruction. “Ce n’est qu’une fois présenté devant le juge d’instruction que j’ai découvert que le parquet m’a collé l’accusation d’atteinte à la sûreté de l’État, sur la base du fameux article 79, en demandant mon placement sous contrôle judiciaire”, affirme Noureddine Nesrouche, qui précise, par ailleurs, que le juge d’instruction, après quelques questions, l’a remis en liberté provisoire, en l’informant de sa prochaine convocation.

“On vous appellera par téléphone”, lui signifie le juge d’instruction. Ce n’est qu’après 20h que le journaliste sera relâché, avec le profond sentiment d’être “harcelé” pour avoir écrit un article de presse. “C’est clairement une attaque contre la liberté de la presse. C’est mon éditorial qui est incriminé. Il s’agit clairement d’un délit de presse”, déplore le journaliste, précisant, par ailleurs, ne pas être surpris face “à ces pratiques répressives” dans la conjoncture actuelle du pays.

“Nous exerçons un métier difficile et à risques. Et dans le contexte actuel de répression générale contre les libertés, les journalistes sont évidemment pris pour cible. Je m’y attendais”, affirme encore Nourredine Nesrouche, qui, en revanche, dit garder tout son calme. “Je reste serein. Je continuerai à écrire comme je le fais, sur le même ton. Les journalistes ne constituent pas un danger”, assure-t-il. Selon l’avocat Boudjemâa Ghechir qui s’est constitué dans cette affaire, le parquet de Constantine a fait appel, hier, en réclamant “la détention provisoire au journaliste Noureddine Nesrouche”. Affaire à suivre…

Karim Benamar