Depuis l’instauration du pluralisme, ils ne cessent de s’affaiblir: La fin des partis ?
Liberté, 12 décembre 2021
De scrutin en scrutin, les partis politiques algériens voient leurs bases sociales se rétrécir drastiquement. La fermeture du champ politique explique-t-elle ce déclin ? En partie. Mais, il existe sans nul doute d’autres raisons qui ont conduit à cette lente agonie.
C’est un fait qui confine à une véritable déconfiture politique : les partis politiques traditionnels, tous courants confondus, ne mobilisent plus les foules à l’occasion des rendez-vous électoraux et, d’une élection à une autre, ils récoltent de moins en moins de suffrages des Algériens. Les deux élections organisées cette année en sont un exemple édifiant. Pour ne prendre que les législatives de juin 2021, le nombre de votants avait été de 5 622 401 seulement contre 24 453 992 inscrits, alors qu’aux législatives du 12 mai 2012, pas moins de 9 339 026 électeurs avaient voté sur un total de 23 251 503 inscrits. Soit une déperdition de… 3 716 625 électeurs en une dizaine d’années à peine.
Plus édifiant encore, les scores réalisés par la “première force politique” du pays, à savoir le Front de libération nationale (FLN) sont un véritable cas d’école. L’écart entre le nombre de voix glanées aux législatives du 12 juin dernier et celui des autres élections du même genre organisées depuis 1997, est on ne peut plus énorme. Jugez-en : de 2 618 003 voix gagnées aux législatives de 2002, le vieux Front a perdu la moitié de son gisement électoral lors des joutes de 2007, ne recueillant que 1 315 686 suffrages avant d’amorcer une petite remontée lors des législatives de 2012 en s’adjugeant les faveurs de 1 324 363 électeurs puis s’offrir, cinq ans plus tard, une franche avancée avec 1 681 321 voix récoltées. En moins de 20 ans, l’ancien parti unique a perdu pas moins de… 2 331 003 électeurs. Abyssal !
Pis encore, le nombre de votes blancs et de bulletins nuls, qui était de 1 011 749 aux dernières législatives, dépasse presque de moitié le nombre de voix récoltées par les trois partis réunis arrivés en tête, à savoir le FLN (287 828), le MSP (208 471) et le RND (198 758), soit un total 695 758 voix. Lors de ces mêmes législatives, les cinq formations politiques qui ont eu le plus grand nombre de sièges, toutes réunies, n’ont pas atteint 5% de l’électorat qui est de 24 millions, selon la présidente de l’Union pour le changement et le progrès (UCP), Zoubida Assoul.
Avec des statistiques en continuelle baisse, les partis politiques n’ont, à l’évidence, plus la cote auprès des Algériens qui, de déconvenue en déconvenue, semblent n’avoir plus foi en la capacité de la classe politique à impulser une quelconque dynamique de changement. Question : les scores de plus en plus faibles recueillis, d’une élection à une autre, ne sont-ils pas, quelque part, le signe d’un déclin des partis ? Des responsables politiques ne l’entendent pas de cette oreille. “Il serait inconséquent de vouloir dresser un constat exhaustif sur les derniers résultats électoraux et les prestations des partis politiques, en faisant l’impasse sur le contexte global qui prévaut dans le pays depuis plus de deux ans maintenant”, soutient le membre de l’instance présidentielle du Front des forces socialistes (FFS), Hakim Belahcel, dont le parti a pris part aux élections locales du 27 novembre dernier. Son explication : “Le pays vit sous l’impact d’un flottement politique généralisé engendré essentiellement par la volonté du pouvoir de resserrer davantage, l’étau autour des libertés fondamentales, comme l’engagement et l’exercice politiques et les espaces de la libre expression.”
Pour Habib Brahmia, cadre dirigeant de Jil Jadid, les résultats réalisés lors de ces scrutins “restent très bons”. La raison ? “plus des deux tiers des sièges ont été obtenus par des candidats partisans”, dit-il. Quant à Ouamar Saoudi, secrétaire national à la coordination au Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD), un parti qui a boycotté tous les scrutins organisés depuis la chute de Bouteflika, il refuse de considérer les élections organisées depuis 2019 comme un vrai baromètre à même de donner la bonne mesure de la force de mobilisation des partis. “La raison est simple : le rejet du processus est unanime, y compris pour le référendum constitutionnel, qui n’a rien à voir avec la vie partisane”, explique-t-il. La présidente du l’UCP, elle, invoque le contexte général – répression massive contre les libertés, fermetures des médias, absence de débat contradictoire, loi électorale sans débat contradictoire, une autorité des élections anticoncurrentielles dépendant directement du Président, etc. – dans lequel se sont tenues les dernières élections pour expliquer “le désintérêt des citoyens”. “Les conditions pour crédibiliser les élections ne sont pas réunies”, assène-t-elle.
Il reste à connaître les raisons de cette désaffection électorale et si les partis n’y sont pas pour quelque chose. Ouamar Saoudi désigne un seul responsable : le pouvoir, qui veut, coûte que coûte, “imposer unilatéralement une feuille de route qui reconduit le même système politique et ses pratiques, sur fond de répression et d’atteintes massives aux libertés individuelles et collectives”. Le membre de l’instance présidentielle du FFS, lui, fait porter le chapeau de “la réticence galopante du peuple algérien à tout ce qui a trait au calendrier électoral amorcé depuis la dernière élection présidentielle” au pouvoir en place, qui “s’est engouffré tête baissée dans la réalisation de sa propre feuille de route politique” et “a préféré régenter davantage le jeu politique en introduisant de nouvelles lois destinées à fabriquer une nouvelle représentation politique nationale, coupée du réel, réfractaire au choix populaire mais surtout favorable au maintien du statu quo suicidaire”.
Nouvelles formes d’expression
Mais est-ce que la responsabilité du recul des partis incombe exclusivement au pouvoir politique, même si en effet ce dernier ne leur facilite pas les choses ? N’existe-t-il pas d’autres raisons qui pourraient expliquer cette fin annoncée de la classe politique ? De toute évidence, aucun parti ne fait son examen critique pour interroger les raisons du déclin, qui sont aussi endogènes. Parce que si les électeurs ne se déplacent pas en masse lors des rendez-vous électoraux, il faut dire aussi que les partis n’attirent plus de militants. Peu de gens adhèrent aux partis. C’est comme passé de mode. Comparativement au début de l’expérience démocratique où les Algériens prenaient presque naturellement leurs cartes de militant, 40 ans après, il ne reste presque rien de ce mouvement massif. Il est vrai que cette tendance est mondiale. L’émergence d’autres formes de lutte et d’espaces d’affirmation a pris le pas sur le cadre classique partisan. La militance a radicalement changé, dans la forme comme dans le fond. Probablement, les partis n’ont pas pu saisir cette transformation à la fois générationnelle et sociétale.
En tout cas, ils peinent à s’adapter. Enfermés dans les vieux schémas tant en termes d’organisation qu’en matière de réflexion politique et intellectuelle, ces formations semblent débordées par une dynamique globale de la société. Le Hirak en était la démonstration parfaite.
Arab Chih