Projet stratégique du Port-Centre d’El-Hamdania: Chronique d’un mystérieux blocage
Liberté, 1 décembre 2021
Inscrit en 2010, le port-centre d’El-Hamdania peine à sortir de l’eau, il est encore au stade de projet, et ce, malgré l’implication directe du chef de l’État qui a ordonné, en février dernier, le “lancement effectif dans un délai de deux mois”. Neuf mois plus tard, ce mégaprojet est encore en gestation et les travaux n’ont toujours pas débuté. Mystérieux blocage…
Dimanche 28 février 2021, lors d’une réunion du Conseil des ministres, le président de la République, Abdelmadjid Tebboune, a ordonné, lui-même, que soient prises toutes les dispositions nécessaires au lancement des travaux de réalisation du port stratégique d’El-Hamdania à Cherchell (Tipasa). Selon les termes du communiqué de la Présidence, rendu public à l’issue de cette réunion, le chef de l’État avait même fixé “un délai de deux mois, au maximum” pour le “lancement effectif” de ce mégaprojet. Neuf mois plus tard, le chantier de réalisation de ce grand port du Centre, considéré comme structurant pour le commerce extérieur et l’économie du pays, “n’a pas avancé d’un iota”, assurent des sources très au fait du dossier. Qui bloque et pourquoi la réalisation de ce projet phare sur lequel insiste le président de la République lui-même… ? Selon nos sources, plusieurs lobbies et groupes d’intérêt influents, aussi bien au niveau interne qu’externe, concourent par différentes voies et différents moyens sinon à bloquer complètement ce projet, du moins à retarder au maximum sa réalisation. Il s’agit, en l’occurrence, citent nos interlocuteurs, de réseaux d’importateurs habitués aux pratiques informelles et frauduleuses ; de certains gestionnaires des ports existants qui restent réfractaires à tout changement du système portuaire actuel et, enfin, de concurrents et autres opérateurs internationaux, dont des affréteurs et armateurs à l’affût de ports de niches et couverts par des prestataires nationaux (consignataires ou autres). Plus explicites encore, des lobbies internes de l’import-import, des opérateurs actuels du système portuaire national, y compris étrangers, mais encore des compétiteurs au sein de l’espace méditerranéen comme le Maroc et certains grands groupes français qui les soutiennent, ainsi que certains gestionnaires de ports algériens et certains grands armateurs en Méditerranée sont autant de parties qui ne voient pas d’un bon œil la réalisation d’un nouveau port stratégique et moderne au centre du pays, “car cela va grandement déranger à leurs intérêts actuels”.
Quel intérêt pourraient avoir les velléités de bloquer un projet de port présenté pourtant comme à la fois “très urgent” et “hautement stratégique” ? Il faut d’abord savoir que “réaliser le port d’El-Hamdania à Cherchell, c’est en finir définitivement avec les ports secs et, à terme, avec le système actuel de trafic portuaire dans sa globalité”. C’est également déplacer en particulier tout le trafic portuaire des conteneurs d’Alger vers El-Hamdania. Or, “tous les intervenants et lobbies du commerce extérieur et du transport portuaire, qui ont de gros intérêts dans la situation actuelle, ne veulent évidemment pas que ce projet voie le jour”, tranchent nos interlocuteurs, en rappelant que quelque 96% du commerce extérieur du pays passent par les ports et que le futur port-centre de Cherchell sera doté d’équipements de contrôle répondant à toutes les normes modernes de transparence d’efficience et managériales. “Réaliser le mégaprojet intégré du port-centre d’El-Hamdania, c’est couper court à beaucoup de pratiques frauduleuses et de corruption”, assurent nos sources. Pourtant, regrettent-elles, “le projet reste en stand-by et le chantier ne démarre toujours pas, malgré son caractère hautement stratégique et sa dimension géopolitique au vu, notamment, de l’avance prise par la concurrence marocaine et tunisienne dans le contrôle du trafic portuaire dans la région”. En outre, avancent les mêmes sources, l’urgence de créer cette infrastructure moderne est d’autant plus impérieuse que “le système portuaire actuel est désuet et ne favorise pas le développement des exportations hors hydrocarbures en raison surtout de contraintes logistiques, les coûts dans nos ports étant actuellement en moyenne de 30% plus chers que dans n’importe quel autre port…”.
11 ans de retard…
À ce jour, affirment nos interlocuteurs, le chantier de réalisation de ce mégaprojet ne démarre toujours pas, alors que toutes les conditions sont réunies pour le lancement des travaux. Ce blocage, ajoutent-ils, engendre au final des pertes sèches de l’ordre d’un milliard de dollars en moyenne par an, en raison des insuffisances du système portuaire national et de l’accumulation des surestaries (surcoûts dus au maintien en rade des navires). Sur 20 ans, font remarquer nos sources, ce manque à gagner atteint près de 20 milliards de dollars, soit 4 fois le montant total estimé pour la réalisation du port d’El-Hamdania. Initié par les pouvoirs publics en 2010, ce grand projet d’infrastructure portuaire censé être d’envergure nationale et intercontinentale est d’un coût global évalué à 4,7 milliards de dollars. En 2017, du temps du gouvernement d’Ahmed Ouyahia, le projet avait été confié aux entreprises de Haddad et des Kouninef avant que tout ne soit chamboulé à la suite de la révolution du Hirak qui a précipité la chute du régime de Bouteflika et de l’oligarchie qu’il entretenait. En décembre 2020, ce projet de port en eau profonde refait de nouveau surface à la faveur, notamment, de la création officielle de l’Agence nationale de réalisation du port-centre de Cherchell (ANRPC) affiliée actuellement au ministère des Travaux publics et chargée du suivi de la réalisation de ce projet considéré comme structurant pour le trafic portuaire et le commerce extérieur. Sa réalisation a été confiée au consortium sino-algérien, constitué du groupe CSCEC à 65%, et des entreprises publiques Cosider TP, Meditram et SNTP pour une part globale de 35%. Censé être réalisé dans un délai de sept ans, avec une mise en service progressive dès la quatrième année, ce mégaprojet bénéficie d’un financement chinois à 85% sous forme de prêt concessionnel à long terme et à taux réduit convenu avec l’Exim-bank of China. Selon nos sources, “le partenaire chinois a officiellement approuvé ce financement, mais le contrat n’est toujours pas signé par la partie algérienne”. Aussi, ajoutent ces mêmes sources, “le projet ne démarre toujours pas alors que les négociations ont déjà été menées à bien avec le partenaire chinois et que tout est fin prêt pour le démarrage des travaux de réalisation”. L’ensemble des contrats y afférents “attendent d’être signés par la partie algérienne depuis juin dernier, or, tout est encore en stand-by, alors que les entreprises de réalisation ont déjà installé leurs bases de vie sur le site du projet”, concluent nos sources. Affaire à suivre…
Par : Akli Rezouali