Lois de lutte contre la corruption : Le legs funeste de la îssaba

Nouri Nesrouche, El Watan, 21 novembre 2021

Grâce à une batterie de lois, le régime Bouteflika a neutralisé la lutte contre la corruption, provoquant une saignée historique dans l’économie algérienne.

La condamnation de Houda Feraoun à trois ans de prison a provoqué un déluge de commentaires raillant la clémence de la justice à l’égard d’une des figures de la «îssaba». Pour l’opinion publique, les responsables du régime Bouteflika ayant ruiné le pays de manière méthodique et intentionnelle sont des ennemis du peuple qui méritent les plus sévères des sanctions.

Cette logique populaire ne fait cependant pas loi et l’appareil judiciaire est contraint de juger les corrompus avec une loi qui ne considère pas leurs méfaits comme des crimes, une loi qui porte la signature du Président déchu. Avec la loi 01/06, Abdelaziz Bouteflika avait en effet castré la prévention et la lutte anticorruption en Algérie.

Au beau milieu de son deuxième mandat, et alors que les pétrodollars pleuvaient, Bouteflika avait besoin d’ouvrir une autoroute pour l’entreprise de prédation, et pour ce faire, il fallait achever de démonter l’arsenal juridique bâti par ses prédécesseurs.

Un arsenal dissuasif dressé pour protéger les richesses nationales des prédateurs. En 1966 et alors que la corruption était loin d’être fréquente, Houari Boumediène crée la Cour spéciale de répression des crimes économiques, qui rend les peines prononcées plus sévères. Un amendement intervient en 1975 pour introduire la peine de mort dans les affaires touchant à la corruption.

Ses successeurs, Chadli Bendjedid et Liamine Zeroual, feront preuve de la même volonté. Mais à partir de 1999, une nouvelle doctrine plutôt clémente à l’égard de l’esprit de lucre prit possession d’El Mouradia.

L’amendement du code pénal en juin 2001 par Ahmed Ouyahia, alors ministre de la Justice, fut le premier acte. Le nouveau code va alléger les peines prévues dans le cadre du crime économique.
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A commencer par la suppression de la peine de mort, une peine «exagérée», selon le terme employé par Ahmed Ouyahia devant le Parlement. Début 2005, Bouteflika charge son nouveau ministre de la Justice, Tayeb Belaïz, d’élaborer un projet de loi conforme, prétexte-t-on, à la Convention internationale de lutte contre la corruption que l’Algérie venait de ratifier.

En juin de la même année, l’APN de Amar Saadani adopte la loi 01/06, relative à la prévention et la lutte contre la corruption, grâce à la majorité FLN qui fait diversion pour passer sous silence le point le plus important : la décriminalisation de l’acte de corruption.

En effet, et contre toute attente, les Algériens encore sous le choc du scandale Khalifa, de par son préjudice financier et ses proportions immorales inédites, ne comprennent pas que les ennemis de la nation soient jugés comme de simples contrevenants. La loi, et en dépit des professions de foi, s’écarte des conventions onusiennes et déçoit les Algériens.

Mieux ! Une fois entrée en vigueur, la loi fut ignorée, piétinée dans ses volets relatifs à la déclaration du patrimoine, la protection des lanceurs d’alerte, ou encore la création d’un organe national de prévention et de lutte contre la corruption. Organe qui ne voit le jour qu’en 2012 et demeure privé de son indépendance à l’égard du pouvoir exécutif, condition sine qua non pour son fonctionnement et sa partialité.

Grâce à cette loi, le régime Bouteflika neutralisa la lutte contre la corruption, provoquant une saignée historique dans l’économie algérienne. Notre pire ennemi n’aurait pas fait mieux.

Dès lors, prolonger la vie de cette loi après la chute du régime Bouteflika devient pour le moins incompréhensible, d’autant qu’elle profite à ces mêmes pontes renversés par le peuple.

Alors que les autorités du monde entier rendent des sanctions de plus en plus sévères pour lutter contre le phénomène (rapport Global Bribery and Corruption Outlook 2019 du cabinet international Hogan Lovells), l’Algérie continue à combattre le crime économique armée du pot de terre. Une énigme !

Nouri Nesrouche