Le Maroc poursuit sa «guerre» contre l’Algérie: Guerre de positionnement à l’Union africaine
R. N., Le Quotidien d’Oran, 16 octobre 2021
C’est une véritable guerre de positionnement que se mènent Alger et Rabat au sein de l’Union Africaine pour tenter, chacun de son côté, de renverser les équilibres et obtenir le plus de soutiens possibles pour peser sur les décisions et dans l’examen de questions géostratégiques à l’instar de celle concernant le statut de membre observateur d’Israël au sein de cette institution continentale.
Des échos des coulisses des travaux du Conseil exécutif de l’UA, qui se tiennent depuis trois jours à Addis Abeba, nous sont parvenus en fin de matinée d’hier, de sources diplomatiques algériennes, pour nous apprendre que le Maroc a usé de plusieurs subterfuges en vue de faire barrage à la nomination du Professeur Mohamed Belhocine comme Commissaire de l’UA pour l’Education, les Sciences, les technologies et les innovations à l’UA. Bien que le choix de Belhocine a été soutenu déjà, voire pratiquement agréé, depuis juin dernier, le Maroc n’a pas cessé de tenter son annulation par les instances africaines. A propos des toutes dernières conspirations de Rabat contre Alger, nos sources diplomatiques affirment qu’elles ont été fomentées «avec le soutien flagrant» du président de la session actuelle du Conseil Exécutif de l’UA, le ministre des affaires étrangères de la République démocratique du Congo. «Rassuré par ce soutien de la RDC, la stratégie marocaine a été menée en deux étapes, la première où le représentant marocain a essayé de remettre en cause le choix du Professeur Belhocine fait par un groupe d’experts composé de personnalités africaines connues pour leur intégrité et leur compétence après qu’elles aient rejeté les deux candidatures du Maroc pour leur non qualification pour le poste(…)». Nos sources à partir d’Addis Abeba indiquent que «le Maroc n’a pas digéré le résultat d’un tel processus (…) en affirmant que son pays a été victime de marginalisation(…) et sa dernière tentative a été de constituer un tiers bloquant par un groupe de pays membres, qui, en cas de vote collectif (le vote est secret) peuvent empêcher le candidat algérien d’obtenir les 36 voix requises pour ce poste». Les diplomates affirment alors que «le Maroc a obtenu 8 voix et l’Algérie les 36 qu’il fallait pour Belhocine, dès le premier et unique tour». Il faut croire que c’est une véritable guerre de tranchées qui oppose l’Algérie au Maroc dans les instances africaines, régionales et internationales.
Une véritable guerre de tranchées
Pour preuve, dans une course effrénée et acharnée contre la montre et pour laquelle le jeu des coulisses fait rage, hier, tout de suite après la nomination de Belhocine, le Maroc a réussi à placer Fathallah Sijilmassi comme Directeur Général de la Commission de l’UA, un poste créé en 2018 lors de la tenue du 11ème sommet extraordinaire des chefs d’Etats des pays membres de l’Union au titre du processus de sa restructuration. Le Conseil Exécutif de l’UA a entériné hier le pourvoi pour la première fois de ce poste en lui choisissant le Marocain Sijilmassi, qui n’est autre que l’ancien Secrétaire Général de l’UPM (L’Union Pour la Méditerranée), et ancien Ambassadeur en France et en Belgique.
En fait, le président de la Commission de l’UA en a décidé ainsi. Moussa Faki Mahamat vient de promouvoir le Maroc au plus haut poste de la hiérarchie de l’UA en accordant à son représentant Fathallah Sijilmassi des prérogatives administratives importantes à travers une mission de «coordination opérationnelle entre les différents départements de la CUA et avec les Etats membres, ainsi que la responsabilité de veiller à une performance optimale de la technostructure panafricaine». Les nouvelles prérogatives de SIjilmassi ont été rapportées hier en primeur par l’AFP.
Contacté tout de suite après ces nominations algérienne et marocaine à ces postes clés de l’UA, l’Ambassadeur Nadir Larbaoui, Conseiller du ministre Lamamra sur les questions stratégiques, estime qu’ «il faut bien se féliciter de l’élection du Professeur Mohamed Belhocine en tant que Commissaire et qui a bénéficié d’une large majorité malgré les tentatives vaines du Maroc en coulisses pour faire échouer notre candidature après les échecs successifs de toutes les candidatures marocaines aux postes de Commissaires de l’Union Africaine». Larbaoui affirme que «grâce à son ingénierie diplomatique, le ministre Lamamra a su déjouer toutes les tentatives du voisin». Et, enchaîne-t-il, «bien que la renommée du Prof Belhocine soit incontestable, dans les joutes multilatérales dont les règles ne sont pas toujours objectives, rien n’est acquis définitivement, c’est une question de rapport de forces». Le Conseiller de Lamamra et nouveau représentant permanent de l’Algérie auprès de l’ONU, pense d’ailleurs à cet effet que «le prix de consolation octroyé par le Président de la commission au Maroc, c’est cette nomination d’un marocain en tant que DG responsable des affaires administratives de l’UA (poste non électif)».
«Les luttes demeurent acharnées et plus agressives»
Ce qui laisse Larbaoui répéter avec insistance que «la vigilance est toujours de mise». Toutefois, il regrette surtout que «malheureusement à l’époque des dépôts de candidatures, certains n’avaient pas jugé utile et nécessaire de présenter des candidatures algériennes dont les compétences sont pourtant connues et avérées». Et, conclut-il, «à l’évidence, au niveau multilatéral ou les rentes de situation ne sont jamais acquises durablement, les luttes demeurent acharnées et plus agressives pour gagner des espaces géostratégiques notamment, au sein de l’Union Africaine».
Réélu le 6 février dernier au poste de Président de la Commission de l’UA qu’il occupe depuis le 31 janvier 2017, Moussa Faki Mahamat, cet ancien haut responsable tchadien semble beaucoup pencher en faveur du royaume marocain dont le retour au sein de l’UA a été acté en 2017. C’est Moussa Faki qui a décidé en juin dernier d’avaliser l’entrée de l’entité sioniste au sein de l’UA en lui accordant le statut de membre observateur. A peine quelques jours après, le 22 juillet, l’israélien Aleli Admasu lui a présenté ses lettres de créances en tant qu’ambassadeur à l’UA. «Cela corrige une anomalie qui a perduré pendant près de deux décennies et représente une partie importante du renforcement des relations extérieures d’Israël», avait souligné le ministre israélien des Affaires étrangères, Yaïr Lapid, dans un communiqué qu’il avait rendu public. Il faut rappeler que les équilibres au sein de l’UA ont été dangereusement bouleversés et ce, depuis que 46 de ses Etats membres ont officialisé leurs relations avec Israël sur les 55 qui la composent.
Le ministre des affaires étrangères et de la communauté nationale à l’étranger qui se trouve depuis le 13 octobre à Addis Abeba, avait réussi dés lors de convaincre le président de la commission de l’UA d’inscrire à l’ordre du jour de cette 39ème session, l’examen de ce statut africain tant controversé accordé à Israël.
Lamamra en a en évidence discuté avec plusieurs de ses homologues qu’il a rencontrés dès son arrivée mercredi dernier en Ethiopie. « Ravi de rencontrer, peu avant le début de la 39e session du Conseil exécutif de UA, mes collègues, ministres des Affaires étrangères de l’Afrique du Sud, de la Zambie, du Togo, de Burundi, du Tchad, du Nigéria et de Djibouti, avec lesquels j’ai évoqué les principales questions à l’ordre du jour de notre réunion », a tweeté le chef de la diplomatie algérienne.
Après avoir été reçu par la présidente de la République démocratique fédérale d’Ethiopie, Sahle-Work Zewde, au siège de sa résidence, Lamamra s’est notamment entretenu avec des responsables de haut niveau à la Commission de l’UA, dont le président de la Commission de l’UA, Moussa Faki Mahamat, «avec lequel il a abordé les domaines de coopération entre l’Algérie et l’UA et les voies et moyens de les consolider dans le cadre des agendas africains communs en matière de paix, de sécurité et du développement. Les deux parties ont échangé les vues sur les principaux points inscrits à l’ordre du jour de la 39e session du Conseil exécutif de l’UA soulignant la nécessité d’oeuvrer au renforcement de l’unité et de la solidarité au sein de l’organisation africaine et d’écarter tous les facteurs de nature à impacter négativement l’action africaine commune», rapporte un communiqué du MAECNE.
Lamamra a, par ailleurs, rencontré le personnel de l’ambassade d’Algérie à Addis-Abeba, «incitant ces derniers à redoubler d’efforts en vue de consolider le rôle important de l’Algérie au sein de l’UA, eu égard à ses contributions historiques et précieuses dans la défense des causes du continent, et son rôle pionnier dans l’instauration et la promotion des cadres et des politiques de l’action africaine commune dans tous les domaines» dit encore le communiqué du ministère.
Peu avant, le ministre a tweeté que lors des travaux de la session du Comité Exécutif, «nous avons souligné la nécessité de rationaliser les ressources financières internes pour éviter une trop grande dépendance vis-à-vis des partenaires internationaux».
En sus de son examen de la décision du président de la Commission de l’UA d’accorder à Israël le statut d’observateur auprès de l’organisation panafricaine, le Conseil exécutif de l’UA devait discuter d’un nombre de dossier «liés à la mise en œuvre de l’Agenda 2063, aux perspectives de renforcement de la coopération entre les pays du continent en matière de lutte contre la pandémie du Coronavirus, des sujets liés à l’action africaine commune et aux moyens à mettre en place pour permettre aux institutions continentales telles que le Parlement africain de bien mener leurs missions, définir le thème principal du prochain sommet et approuver le budget de l’organisation pour l’exercice 2022».