Tebboune, Macron et la rente « néocoloniale » : un rentier peut en cacher un autre

A.T., Algeria-Watch, 16 octobre 2021

Depuis le début du Hirak, les rapports France-Algérie ressemblent à un sitcom qui, à chaque tournant, nous offre de nouveaux épisodes plus pathétiques les uns que les autres. Récemment, le président français Emanuel Macron a qualifié le pouvoir algérien de « système politico-militaire… construit sur une rente mémorielle ».

Pour nous, la nature du pouvoir algérien, à savoir l’autocratie de l’état-major et de l’armée ne sont pas à débattre, encore moins avec le président français ; dans ce système, c’est l’état-major avec une poignée de généraux de l’ombre tous aussi criminels les uns que les autres qui décident du devenir du pays. Cette vérité sur la nature du pouvoir algérien, sur son DRS, ses tortionnaires, ses prédateurs et sa justice, le Hirak l’a dévoilée et criée de manière claire et irréversible. Et les propos ou opinions du président Macron – qui n’a jamais caché son soutien à Tebboune – ne peuvent en aucun cas nous concerner, surtout en cette période électorale où l’art de ratisser large prend pleinement son sens, aussi bien pour capter les descendants de harkis, les frustrés de l’extrême droite que notre diaspora très sensible au Hirak et qui pourrait, par naïveté ou par paresse politiques, y voir les prémices d’une altération, voire d’une désolidarisation de la France avec les généraux.

Le peuple algérien a pensé et entamé sa révolution en rupture totale avec l’état-major et en opposition à cet État soumis aux militaires et dont Tebboune n’est qu’un commis. C’est pourquoi, concernant la « rente mémorielle », ce même peuple qui a assisté impuissant à la pantalonnade entre Macron et Tebboune à propos de réconciliation, d’archives et du rapport franco-français de Benjamin Stora, est en droit de s’interroger. Et de faire les rappels qui s’imposent à une France qui choisit à quel moment le pouvoir est « légitime » pour parler au nom des Algériens et à quel moment il ne l’est plus.

Qui sont les véritables rentiers mémoriels dans un pays où le coup d’État de 1962 et ses chars ont replongé les Algériens dans un État colonial avec tous ses codes et modes de fonctionnement, sa bestialité et sa terreur, sa rapine et ses inégalités ? Dans un contexte international particulièrement menaçant pour les peuples, leur liberté et leurs richesses, s’inscrire contre l’impérialisme et ses officines expertes pour faire et défaire les États a un prix pour les Algériens qui ont choisi la voie de la lutte et de la révolution. Et Macron le sait, c’est pourquoi ses propos sont aussi porteurs de menaces envers sans doute une équipe de généraux qui en fait trop ou n’en fait pas assez, un jeu auquel la dite Françalgérie est bien rodée – d’où par exemple l’empressement de Tebboune, via son dernier show télévisé, de rappeler sa soumission totale et inconditionnelle à l’Africom (et donc à la CIA et au Mossad).

Nous rappelons ainsi deux points qui nous semblent importants.

1) D’abord, d’un point de vue formel, les déclarations de Macron offrent un alibi pour la junte, ces dernières s’apparentant à une remise en question du pouvoir. Au moment où les généraux et leur agent Tebboune sont aux abois, embourbés dans des règlements de compte sur fond de crise économique aiguë et de répression acharnée contre les militants du Hirak sous couvert d’une nouvelle guerre antiterroriste ubuesque, ces déclarations sont paradoxalement une aubaine pour le pouvoir qui se voit offrir une chance de se positionner comme le preux défenseur de la nation, de l’histoire et de la révolution de 1954. Mais le peuple, martyrisé par la répression et la paupérisation endémique et qui a bien noté le soutien de Macron au Tebboune élu de l’armée, ne prendra jamais au sérieux le discours français à propos du système politico-militaire : le Hirak a prouvé que les généraux algériens sont des forces antinationales et les garants de la pérennité du système colonial dessiné et entretenu par la France dès les premières heures de l’indépendance. Ces généraux que semble découvrir Macron aujourd’hui ne peuvent être ni les garants de la souveraineté populaire ni de l’honneur de la nation algérienne.

2) Ensuite, au vu du développement récent dans le Sahel, il semble que Macron lance un avertissement à des généraux qu’il a de tous les points de vue dans sa poche. En terme géostratégique, Macron serait-il plus inquiet que les Américains de la potentielle présence russe au Mali ? Cherche-t-il seulement à rappeler à la junte que tout éloignement de la sphère d’influence française peut leur coûter cher ? Les récents voyages du chef d’état-major Saïd Chengriha chez Poutine en seraient-ils l’élément déclencheur ? Par sa déclaration, Macron rappelle le rôle subalterne que jouent les militaires algériens dans la sphère des puissances étrangères ; veut-il rassurer les anciens et non moins fidèles serviteurs du néocolonialisme français, à savoir Nezzar et Toufik, leurs seconds couteaux et leurs enfants spirituels ? Macron sait que même si les généraux s’entretuent, ils seront toujours dépendants de leurs bailleurs de fonds étrangers. Et par ces méandres mémoriels, il a juste voulu assurer à l’ancienne puissance coloniale sa place d’interlocuteur privilégié, quelle que soit l’issue des incessantes guerres de clans du régime.

Un rentier peut donc en cacher un autre : Macron n’est que le rentier de l’ordre néocolonial. Et pour que cet ordre se maintienne en Algérie, il est impératif que les militaires gardent le pouvoir. Dans ce sinistre échiquier où la souveraineté populaire représente le plus grand des dangers, les généraux continueront d’être les vassaux des puissances étrangères.

On pourra encore longtemps disserter sur la présence ottomane, sur les guerres puniques, la nature de l’État algérien en 1830 ou encore sur les enjeux mémoriels liés à l’invasion coloniale française. Mais la question qui nous intéresse est de savoir si l’Algérie dispose ou non d’un État avec des institutions. Malheureusement, le Hirak réprimé ne cesse de le dire, il n’y a que cette fameuse Dawla Askaria (Etat militaire) avec ses façades institutionnelles sous le contrôle total de l’armée. La Dawla Madaniya (Etat civil) reste donc le seul garant du peuple algérien face aux puissances impérialistes, à leurs sarcasmes, leurs leçons, leur terrorisme et leurs menaces.