Tewfik Hamel, chercheur en histoire miliraire: « Il y a une sorte d’ivresse de puissance dans le comportement du Maroc »
Pour Tewfik Hamel, le discours du roi Mohammed VI, en apparence conciliant, ne changera en rien à l’hostilité croissante de Rabat envers Alger.
Liberté : Le roi du Maroc a longuement évoqué l’Algérie dans son dernier discours, se montrant plutôt conciliant. Pourquoi ce changement de ton ?
Tewfik Hamel : Plutôt que de parler d’apaisement ou d’attitude conciliante, je pense qu’il s’agit d’une démarche logique dictée par les récentes révélations en lien avec le scandale Pegasus.
Le roi du Maroc veut minimiser la gravité de l’opération d’espionnage massive menée contre l’Algérie et d’autres pays. C’est à l’aune de cette affaire qu’il faudra analyser le discours du roi Mohammed VI qui a consacré une bonne partie de son discours à l’Algérie, avec, en apparence, une main à Alger. Tout chef d’Etat entreprend cette attitude envers un autre Etat victime d’une attaque comme celle qu’a subie l’Algérie, un pays voisin du Maroc de surcroît.
Le discours conciliant du roi Mohammed VI s’inscrit donc naturellement dans une attitude d’apaisement, sachant que les dégâts causés par la vaste opération d’espionnage menée par Rabat contre Alger ne resteront pas impunis.
Dans son communiqué, après l’éclatement de l’affaire Pegasus, le ministère des Affaires étrangères algérien a affirmé clairement que l’Algérie se réservait le droit de riposter à l’attaque marocaine. Mohammed VI tente par conséquent de limiter les dégâts et de prendre les devants en adoptant un ton “apaisant”. Cela, en apparence. Dans le fond, dans chaque continent, il y a des Etats, des régimes et les idéologies qui ont cherché la domination à l’échelle régionale.
Il n’est donc guère surprenant que le Maghreb ne fasse pas exception.
L’histoire de la région a été plus caractérisée – et de plus en plus avec le temps – par des régimes et des Etats qui cherchent leurs propres intérêts quel que soit l’écran de fumée utilisé afin de dissimuler des objectifs inavoués. Chaque Etat a son propre modèle de comportement et d’alignement.
Comment cette nouvelle attitude du Maroc pourra-t-elle influer sur les rapports entre les deux pays ?
Entre Alger et Rabat c’est la guerre improbable. Par conséquent et en raison de différents facteurs structurels, les deux Etats sont engagés dans des stratégies d’usure où chacun compte sur le facteur temps, que l’épuisement de l’un conduira au changement fondamental de position de l’autre. Le Maroc ne changera rien à son hostilité vouée à l’Algérie.
Il continuera à adopter une attitude belliqueuse suivant ses intérêts. Le discours du roi Mohammed VI intervient dans un contexte où le Maroc se montre de plus en plus offensif à l’égard de l’Algérie, notamment depuis que l’administration Trump (ancien président américain Ndlr) a plus ou moins reconnu la marocanité du Sahara occidental, mais, et c’est important de le souligner, sans pour autant que son projet soit accepté.
Le Maroc considère toujours que l’Algérie est seule responsable du blocage du projet marocain pour le Sahara occidental.
Comment évolueront les rapports entre les deux Etats ?
Les relations entre Alger et Rabat sont très tendues. Les événements récents (affaire Pegasus) font partie d’une politique d’escalade adoptée par le Maroc, traduisant sa volonté d’imposer son plan d’autonomie pour le Sahara occidental et rejeter ses engagements internationaux et les résolutions de l’ONU.
Sur le plan régional, le Maroc est une puissance révisionniste, un Etat qui n’est pas satisfait de ses frontières actuelles et cherche, à un horizon indéterminé, à modifier le statu quo. Il faut savoir que la constitution marocaine ne définit pas les frontières du Maroc. La volonté du roi de ne pas prolonger l’accord de transit du gaz vers l’Espagne fait partie d’une stratégie globale offensive pour faire pression sur Alger et aller vers une totale rupture.
Il y a une sorte d’ivresse de puissance dans le comportement marocain. Il tend à surestimer ses capacités. Et souvent le Maroc a fait des pas en arrière.
Propos recueillis par : K. B.