Des faillites d’entreprises en cascade : Quel rempart face à la crise socio-économique ?

Nadjia Bouaricha, El Watan, 12 juillet 2021

Faillite, un terme lourd qui revient souvent ces derniers mois, durant lesquels de nombreuses entreprises n’ont pas pu résister face à la crise. L’impact de la Covid-19 risque de laisser des séquelles sur de nombreuses années, alertent des organismes internationaux, alors que le virus continue de semer la terreur dans le monde.

En Algérie, et avec l’absence d’un système de statistiques fiable, cet impact semble bien plus important que les quelques chiffres avancés par-ci par-là. Une enquête du Centre de recherches en économie appliqué pour le développement (CREAD) rendue publique, il y a quelques jours, a été effectuée sur une période allant de juin à juillet 2020, soit à un moment où la Covid était à ses débuts, et où les mesures de confinement total étaient à leur maximum.

Il faut donc s’attendre à des niveaux d’impact bien plus important sur une période plus longue allant au-delà d’une année depuis le début de la pandémie. Cette enquête donc, qui a reçu le feed-back d’une soixantaine d’entreprises, révèle que ces dernières ont perdu une moyenne de 50% de leur chiffre d’affaires. Dans une large mesure, les PME ont été les plus touchées.

Cette catégorie d’entreprises, qui a du mal à trouver l’aide financière nécessaire auprès des banques bien plus encline à financer les grandes entreprises et surtout publiques. Dans le secteur du transport de marchandises, la perte est estimée à 90% du chiffre d’affaires, suivi par les secteurs des services et de l’industrie agroalimentaire. 63% des entreprises sondées ont dû arrêter leur activité. Au mois de mars dernier, le président de la CIPA avait alerté sur le risque de disparition de plus de 40% des entreprises, notamment dans le secteur du BTPH. Selon l’enquête du CREAD, 56% des travailleurs n’ont pas pu rejoindre leur lieu de travail durant la période de confinement surtout dans le cas du secteur du BTPH. Des compressions du personnel ont accompagné ces pertes de chiffres d’affaires des entreprises, et le nombre de chômeurs ne cesse d’augmenter, notamment parmi les nouveaux diplômés qui ont eu du mal à trouver du travail dans ce contexte de crise sans fin.

Les catégories professionnelles les plus touchées par la perte d’emploi sont, selon la même enquête, les apprentis à hauteur de 20%, les indépendants 14%, les salariés 7% et 6% des employeurs. Ces chiffres ne reflètent que la seule période de l’enquête, et sont susceptibles d’être bien plus importants.

Parmi d’autres impacts de la crise, la diminution des revenus des salariés. Dans une déclaration à la presse avant de prendre son nouveau poste de Premier ministre, Aymen Benabderrahmane, avait souligné que l’Etat a déboursé 99,2 milliards de dinars sous forme de primes exceptionnelles aux travailleurs, 73,1 milliards de dinars pour les opérations de solidarité avec les familles et les travailleurs exerçant des activités précaires.
Selon l’enquête du CREAD, plus de 35% des sondés n’ont pas été informés des programmes du gouvernement face à la crise.

Les sondés, notamment les jeunes, ont exprimé leur insatisfaction par rapport aux mesures gouvernementales. Les associations des patrons d’entreprise ne cessent de critiquer la faiblesse de l’aide de l’Etat aux opérateurs économique en crise. «Sauf données dont nous ne disposons pas par manque de communication des institutions concernées, la réponse de l’Etat a été extrêmement sous dimensionnée par rapport à l’ampleur de la crise. Combien de personnes ont-elles bénéficié d’aides directes de l’Etat au travers du dispositif des 10 000 DA et pendant combien de mois ? Combien de micro-entreprises et petits métiers ont-il bénéficié de l’aide des 30 000 DA et pendant combien de mois ?

Combien d’entreprises ont réellement bénéficié d’échéancier fiscal et CNAS/Casnos avec annulation de pénalités comme promis par les plus hautes autorités ? Combien d’entreprises et de ménages ont réellement bénéficié de rééchelonnement de crédits sans surcoût ? Combien d’entreprises ont bénéficié de crédits relais pour continuer à exister à minima au moment où leur chiffre d’affaires s’est effondré ?» s’interroge Ali Harbi, consultant en stratégie de développement durable et directeur du cabinet AHC Consulting. L’économiste déplore l’absence de bilan «sur ces dispositifs» qui selon certains sondages privés, ont été «très limitées en volume et dans le temps» (lire l’entretien en lien).

Des mesures invisibles sur le terrain

Notre interlocuteur et concernant la mesure de rééchelonnement des dettes des entreprises par les banques, déplore encore l’absence de données. «Cette mesure touche combien de monde ? Qui en sont les bénéficiaires ?», se demande-t-il, en notant que la question qui n’a pas été traitée est « la création d’un fonds de garantie souverain auquel auraient pu s’adosser les banques pour rééchelonner des dettes, étendre des crédits, prendre d’autres risques, y compris sur de nouveaux crédits pour les entreprises en difficulté». Sans ce fonds, l’économiste soutient que «les banques ne peuvent accorder de rallonges de crédit qu’aux entreprises déjà riches et aux entreprises étatiques».

Ceci et d’indiquer entre autres solutions à la crise que traversent les entreprises, qu’un élément clé de la reprises «dépendra de la décision ou pas des pouvoirs publics à réduire le recours à la main-d’œuvre étrangère sur les marché publics en tout genre ce qui permettrait de redistribuer plus de valeur ajoutée en local». M. Harbi note que la crise actuelle de l’investissement dans le secteur de l’industrie, des services et de l’agriculture, n’est pas due à la Covid mais à l’absence totale de politique industrielle et de cadre réglementaire et institutionnel qui doit aller avec. Notre interlocuteur soutient que l’agriculture algérienne a besoin d’un relais agro-industriel et de service de marketing de qualité «sinon l’effort d’augmentation quantitative des productions vont toujours conduire aux crises récurrentes de gestion des excédents saisonniers».

La crise sanitaire n’a fait qu’accentuer la descente aux enfers d’une machine économique fragilisée par l’absence d’une vision politique réaliste, prospective et efficace sur la situation. Les entreprises devront faire preuve de génie et essayer de tirer leur épingle dans un environnement où tout est crise, à commencer par une situation politique instable. La faillite est à la fois une conséquence de la crise mais aussi une cause ; celle des pouvoirs publics donnant l’impression d’être enfermés dans une tour et ne laissant pénétrer que les voix enchanteresses de sirènes complètement en déconnexion avec la réalité.