Vingtième anniversaire de la marche du 14 juin 2001 : Un événement qui n’a pas livré tous ses secrets
Hafid Azzouzi, El Watan, 15 juin 2021
La marche historique du 14 juin 2001 a été réprimée par les services de sécurité pour se transformer rapidement en émeutes sanglantes qui ont fait huit morts, des centaines de blessés et plusieurs arrestations.
La répression sanglante de la marche du 14 juin 2001 à Alger laisse inévitablement des séquelles indélébiles dans la mémoire de ces citoyens venus, en plusieurs centaines de milliers, de Kabylie pour déposer la «Plateforme d’El Kseur» à la présidence de la République après des semaines d’embrasement dans la région.
Le document en question résume leurs principales revendications, soigneusement élaborées lors des premiers conclaves des Archs et entérinées dans la région d’El Kseur, à Béjaïa. Toutefois, cette action historique a été réprimée par les services de sécurité pour se transformer rapidement en émeutes sanglantes qui ont fait huit morts, des centaines de blessés et plusieurs arrestations.
Pour Moh Saïd Zeroual, ancien délégué des Archs, «le 14 juin 2001 est la journée la plus longue, la plus triste et la plus sanglante aussi». Oui, c’est l’image que gardent aujourd’hui les participants à cette manifestation. «Ce jour restera gravé à jamais dans nos mémoires et sera un rappel pour les générations à venir. Le pouvoir avait répondu à des revendications populaires par la violence à l’égard des citoyens innocents. Qui est responsable de cette tragédie ? Le rapport de l’enquête menée par le professeur Mohand Issad, décédé en 2011, n’a-t-il pas identifié les commanditaires du massacre ?» s’interroge-t-on aussi à Tizi Ouzou, où les citoyens estiment que «les commanditaires et les auteurs de l’assassinat des jeunes en Kabylie doivent être jugés».
La question liée à l’impunité des responsables de la mort des 128 personnes durant les événements du Printemps noir est remise souvent en avant à chaque occasion. «Il faut qu’ils soient traduits devant le tribunal», insiste-t-on.
Les événements du Printemps noir ont laissé beaucoup de stigmates en Kabylie. Des blessés oubliés et laissés-pour-compte dans une déception qui laisse inexorablement sans voix.
L’exemple de Hakim Arezki, qui a perdu la vue après avoir reçu deux balles durant les émeutes de 2001 à Azazga, est l’illustration de ces jeunes qui sont devenus handicapés à vie parce qu’ils sont sortis pour crier leur colère suite à l’assassinat de Massinissa Guermah à l’intérieur de la brigade de la gendarmerie de Beni Douala.
Ces blessés souffrent le martyre en raison de l’absence d’une prise en charge en mesure de leur faciliter la vie. Ils sont considérés comme des «victimes des événements ayant accompagné le mouvement pour le parachèvement de l’identité nationale» suite au protocole d’accord paraphé, en 2004, entre l’Etat et la délégation des «Archs dialoguistes» sur l’application de la Plateforme d’El Kseur, dont l’exigence de la satisfaction de toutes les revendications semble être oubliée.
Et ce, depuis le processus de normalisation de la Kabylie, entamé juste après la réélection de Bouteflika pour un 2e mandat. Alors que des officiels étaient empêchés de visite en Kabylie, Ahmed Ouyahia, en sa qualité de chef de gouvernement, s’est rendu, le 18 avril 2005, à Agouni Arous, dans la daïra de Beni Douala, à l’occasion d’un recueillement sur la tombe de Guermah Massinissa.
Ce fut un signe avant-coureur pour normaliser la région. «La Kabylie a toujours été utilisée pour régler les problèmes des luttes de clans», estime-t-on aussi à Tizi Ouzou, où le Printemps noir est, pour certains, considéré comme «la plus grande manipulation de l’histoire» et, pour d’autres, comme «un virage raté pour amorcer une dynamique populaire nationale afin d’aboutir à l’instauration d’un Etat de droit et des libertés démocratiques».
De leur côté, les familles des «martyrs du Printemps noir» pleurent toujours leurs enfants ravis aux leurs dans une tragédie qui n’a pas encore livré tous ses secrets.