Les réformes économiques contrariées par l’instabilité politique

Avec des institutions en mal de légitimité

Samira Imadalou, El Watan, 14 juin 2021

Alors que la transition démographique s’est accélérée au cours de ces trois dernières décennies, engendrant l’explosion des besoins à tous les niveaux, la transition économique tant prônée dans les discours politiques depuis le milieu des années 80’ n’a pas suivi.

Dépendante des réformes qui ont buté sur des résistances politiques et administratives, le passage à une économie productive loin de la rente et des calculs politico-financiers a au final été avorté.

Un avortement causé justement par l’instabilité du cadre juridique régissant l’économie, induite à son tour par l’incohérence des politiques adoptées par les différentes équipes gouvernementales qui se sont succédé au fil des ans. Des programmes pour des équipes qui, pour la majorité d’entre elles, n’ont pas mené à bon port les réformes pour lesquelles elles ont été installées.

Déjà à ce niveau, ce ne sont pas les perturbations qui ont manqué avec des remaniements périodiques sans changements de fond dans les stratégies mises en œuvre. A chaque fois qu’un nouvel Exécutif arrive, les programmes sectoriels sont chamboulés et enregistrent des retards de réalisation puisque à chaque ministre ses priorités. Des priorités qui ont collé tout au long de ces dernières années aux intérêts des uns et des autres.

C’était le cas dans l’industrie avec le dossier de l’automobile notamment, l’agriculture, les télécoms, l’énergie et le commerce. Des secteurs qui ont évolué au rythme de l’instabilité réglementaire. Ce qui a bloqué l’essor de l’investissement productif. Dans tous ces dossiers, les parlementaires n’ont eu aucun poids.

Majoritairement acquis au pouvoir en place, ils ont fait passer comme une lettre à la poste les projets de lois proposés par le gouvernement. Ils ont même défendu certains lobbys, comme celui de l’importation de la friperie.

Pour rappel, l’interdiction de l’importation de la friperie, instituée dans la LFC 2009, votée par ordonnance, n’a pas été du goût des députés. Deux ans après, en 2011, un amendement pour la levée de l’interdiction proposé par quatre députés (deux du RND, un du MSP et un autre indépendant) avait même été adopté par la commission des finances et du budget de l’APN.

C’est dire le rôle de cette Assemblée et son faible effet sur la transformation de l’économie algérienne qui continue à payer les frais de cette «légèreté» institutionnelle à travers une crise permanente enfoncée par l’instabilité politique.

C’est dans ce contexte qu’une nouvelle Assemblée est en voie d’être installée dans un contexte des plus difficiles avec d’importants défis à relever. Entre la crise de l’emploi qui s’annonce, la gestion des effets économiques de la pandémie, la diversification de la production et des exportations hors hydrocarbures, la transition énergétique et le stress hydrique, ce ne sont pas les dossiers à prendre en charge qui manquent, mais plutôt les outils à mettre en place à cet effet, à commencer par la bonne gouvernance économique.

Continuité

Pour l’heure, tout porte à croire que ce sera l’enchaînement des pratiques anciennes au moment où l’on nous parle d’une Algérie nouvelle. C’est ce que pensent d’ailleurs des analystes que nous avons contactés.

«De manière plus précise, je crois qu’une fois passé le cap de ces législatives, c’est l’enchaînement classique qui va être déroulé, installation de la nouvelle APN, formation d’un nouveau gouvernement qui va présenter son programme, lequel ne sera pas très différent de l’actuel et des précédents. Je pense qu’il n’y aura ni évaluation ni changement, mais une continuité peut-être en pire», estime Mohamed Bouchakour, économiste. Et d’ajouter : «L’instabilité politique continuera sur fond de stabilité institutionnelle et c’est celle-ci qui compte plus que celle-là pour le pouvoir.»

Pour d’autres, comme nous le soulignera Omar Hemissi, professeur en gestion, l’instabilité actuelle est symptomatique de la situation globale qui prévaut depuis 2013 et qui ne parvient pas encore à trouver l’issue salutaire escomptée, ce qui pèse sur l’économie.

«Les turbulences que connaissent les institutions de l’Etat ont en effet pesé sur un contexte déjà chargé de tiraillements entre les décisions pour le moins impopulaires et les attentes de la société», estime-t-il soulignant que les multiples ajustements suggèrent que la gouvernance économique relève d’une instance qui se situe au-dessus de la sphère gouvernementale.

Pour M. Hemissi, une gouvernance économique performante est d’abord subordonnée à la pertinence des mécanismes mis en place et à la cohérence des actions coordonnées entre les différents secteurs. Ce qui n’est pas le cas.